Les interventions en séance

Affaires sociales
31/07/2012

«Projet de loi relatif au harcèlement sexuel-Conclusions de la Commission Mixte Paritaire»

Mme Muguette Dini

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, voilà bientôt trois mois que le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 222-33 du code pénal réprimant le harcèlement sexuel, a rendu son verdict et a décidé d’abroger ce texte. On peut admettre que cette décision ait été justifiée en raison de l’imprécision de l’incrimination. Au jour de son abrogation, l’article 222-33 du code pénal définissait le harcèlement sexuel comme « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ». Il était le produit de strates législatives successives, ayant conduit à un assouplissement progressif des conditions d’incrimination et à une dilution de l’élément matériel du délit, si bien que c’est le verbe « harceler » qui contenait toute la substance de l’incrimination. Du fait de cette imprécision, ce texte était difficilement applicable et souvent mal appliqué. En effet, ce flou a permis que de nombreuses plaintes pour agression sexuelle aient été requalifiées en harcèlement sexuel. Le Conseil constitutionnel ne pouvait donc que conclure que cet article 222-33 était contraire à la Constitution, en ce qu’il méconnaissait le principe de légalité des délits et des peines. Cela dit, si cette décision ne souffrait aucune critique sur le plan juridique, elle s’est révélée catastrophique pour de nombreuses victimes : le Conseil constitutionnel ayant jugé que sa décision s’appliquait sans délai, cette décision a emporté, dans le tourbillon de la suppression du texte de loi, non seulement les poursuites engagées, mais aussi les condamnations prononcées. On sait tout le tort et toute l’injustice que cette décision brutale a pu causer aux victimes – majoritairement des femmes – dont les procédures étaient en cours : annulation de toutes ces actions sans recours possible à une autre plainte, préjudice moral et financier souvent irréparable, et, injustice suprême, annulation des condamnations prononcées et non encore exécutées. En somme, tous les harceleurs qui n’avaient pas encore été définitivement condamnés ont été disculpés. Quelle déception, quelle humiliation, quelle amertume, quelle souffrance pour toutes ces victimes ! D’où l’importance des dispositions de l’article 7 du projet de loi, adoptées sur l’initiative de nos collègues députés, maintenant la compétence de la juridiction correctionnelle pour statuer sur les demandes d’indemnisation des victimes. En effet, le fait que cette réparation puisse être obtenue devant le juge correctionnel épargnera à ces victimes le nouveau parcours du combattant que nécessiterait l’introduction d’une nouvelle action devant le juge civil. Mais trêve d’amertume et de critiques ! Aujourd’hui nous pouvons nous réjouir. Oui, nous sénateurs, pouvons nous réjouir d’avoir réagi rapidement, par la création d’un groupe de travail, dont les études préparatoires et les réflexions ont été en grande partie reprises par le Gouvernement. Nous pouvons nous réjouir d’avoir voté un projet de loi cohérent qui, amélioré par l’Assemblée nationale, constitue un texte solide, précis, applicable immédiatement et traduisant de véritables avancées. Parmi celles-ci, je souhaite – rapidement – citer la création de l’Observatoire national des violences envers les femmes, l’intégration de la vulnérabilité économique et sociale comme circonstance aggravante, le renforcement du droit des associations, ou encore la reconnaissance, comme facteur de discrimination, de l’identité et de l’orientation sexuelle. Bien entendu, je n’oublie pas toutes les autres dispositions, qui ont été largement évoquées par M. le président de la commission des lois ainsi que par vous, madame la garde des sceaux. Je salue la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale et retenue par la commission mixte paritaire pour le II de l’article 1er. Les substantifs « ordres », « menaces » et « contraintes » posaient problème aux associations de défense des droits des femmes parce que trop proches de ceux de la définition de l’agression sexuelle et du viol ; les associations craignaient la requalification de ces derniers en harcèlement sexuel. Ce risque est écarté. De plus, madame la garde des sceaux, nous avons noté que vous vous engagiez à faire en sorte que la circulaire d’application de la loi insiste sur ce point. On sait que le harcèlement sexuel est particulièrement prégnant dans le monde professionnel. Le projet de loi a pris en compte cette réalité, en complétant le code du travail : outre l’intégration in extenso de la définition du harcèlement sexuel, il impose l’affichage sur le lieu du travail des articles du code pénal concernés. Pourquoi ces dispositions d’affichage sont-elles si importantes ? Parce qu’elles donnent du harcèlement sexuel une définition compréhensible par tous ; parce que, grâce à l’affichage, ces dispositions seront mieux connues des victimes ; parce que ces dernières pourront être efficacement soutenues par des associations compétentes ; mais aussi parce que ces dispositions seront connues des harceleurs potentiels ; parce que ceux qui n’étaient pas conscients que leur comportement relevait d’un délit passible de lourdes peines y réfléchiront peut-être à deux fois avant de prononcer des propos graveleux ou d’avoir des gestes et attitudes provocateurs. Les dispositions de ce texte de loi vont non seulement dans le sens d’une réelle égalité entre les hommes et les femmes, mais aussi dans celui d’une reconnaissance formelle du fait que les femmes ne sont pas des objets sexuels, qu’elles ont le droit au respect de leur dignité et qu’elles n’ont pas à subir ce qu’elles ne désirent pas. Le combat pour protéger les femmes des violences sexuelles semble être sans fin. Quand les hommes de notre pays admettront que les femmes sont leurs égales, quand ils les respecteront sans les considérer avec condescendance, nous pourrons peut-être relâcher nos efforts. Mais un long chemin reste à parcourir ! Pour s’en convaincre, il suffit de se souvenir des propos ridicules et terriblement sexistes tenus à l’encontre de Mme la ministre de l’égalité des territoires et du logement, Cécile Duflot, il y a seulement deux semaines, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Quel exemple pour ceux que nous représentons ! On peut parfois être découragé, je suis parfois découragée, devant si peu de progrès ! Nous en sommes certainement en partie responsables, nous, les parents, pas toujours attentifs aux dérives verbales de nos fils, pas suffisamment réactifs pour protéger nos filles. C’est la société tout entière qui a un devoir d’éducation à l’égalité sexuelle, au respect de l’autre, en particulier du plus faible. Je sais que ce volet éducatif ne pouvait être pris en compte dans le cadre de cette loi et je compte sur vous, madame la ministre, pour que le sujet soit rappelé au ministre de l’éducation nationale. Madame la ministre, je tiens à saluer votre réactivité face à la décision du Conseil constitutionnel. Je tiens aussi à saluer votre écoute, votre capacité à prendre en compte ce qui vous a paru améliorer votre projet de loi. Je vous remercie pour toutes les victimes à venir d’avoir su rapidement proposer et faire voter ce texte. Madame la ministre, je souhaite terminer mon propos en insistant sur l’urgence de travailler à une évolution des délais de prescription de l’action publique des délits et crimes en général, ainsi qu’à une nouvelle échelle des peines. Les victimes de violences sexuelles nous le demandent et nous devons évoluer en ce sens pour mieux les aider à se reconstruire. Mais aujourd’hui, madame la ministre, le groupe de l’Union centriste et républicaine, que je représente, votera les conclusions de la commission mixte paritaire sur ce texte. (Applaudissements.)