Les interventions en séance

Droit et réglementations
Yves Détraigne 31/05/2011

«Proposition de loi relative à la protection de l՚identité»

M. Yves Détraigne

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Jean-Paul Amoudry ne peut être présent aujourd’hui, mais, faisant mien l’essentiel des observations qu’il aurait aimé développer, je n’ai aucun mal à lui prêter ma voix. Nous abordons ce soir un phénomène de délinquance nouveau, relativement peu connu du grand public et dont l’ampleur est difficile à délimiter. Si l’on a ainsi du mal à quantifier ce phénomène, une chose est cependant certaine : il se développe. Premier constat : les cas d’usurpation d’identité sont en augmentation, d’autant qu’Internet démultiplie les possibilités d’usurpation. Second constat : nous ne disposons que de peu d’outils permettant de lutter efficacement contre cette forme de délinquance. Ce double constat démontre la nécessité d’une intervention du législateur. Le but de la proposition de loi qui nous est soumise est donc de renforcer les moyens de lutte contre les fraudes à l’identité, tout en simplifiant la vie quotidienne des citoyens en leur permettant de prouver facilement leur identité. Si, sur ces questions, ce texte est le premier à être débattu devant le Parlement, il n’est pas le premier à avoir été élaboré. De fait, depuis 2001, pas moins de trois projets de loi ont été conçus, chacun des gouvernements qui se sont succédé ayant réfléchi à la possibilité de mettre en place une carte d’identité biométrique, outil permettant une lutte efficace contre l’usurpation d’identité. Si le projet de « titre fondateur d’identité », annoncé en juillet 2001, n’a pas dépassé le stade des travaux préparatoires, le projet INES, pour « identité nationale électronique sécurisée », s’est, lui, concrétisé dans un avant-projet de loi soumis à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, en mai 2005. Ce projet fusionnait les procédures de délivrance du passeport et de la carte nationale d’identité. Toutefois, l’avant-projet de loi « INES » a finalement été retiré. Deux autres projets l’ont suivi, en 2006 et 2008, mais ces travaux n’ont pas davantage abouti au dépôt d’un projet de loi devant le Parlement. Seule la création du passeport biométrique, opérée par voie réglementaire, conformément aux engagements européens de la France, constitue une réelle avancée en la matière. Jusqu’à l’adoption récente de la loi dite « LOPPSI 2 », l’usurpation d’identité ne constituait pas une infraction spécifique. L’article 226-4-1 du code pénal punit désormais d’un an d’emprisonnement et de quinze mille euros d’amende le fait d’usurper l’identité d’un tiers ou de faire usage d’une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, que ces faits soient commis ou non sur un réseau de communication au public en ligne. Cet outil répressif sera utile. Cependant, le moyen le plus efficace de lutte contre l’usurpation d’identité réside sans aucun doute dans la création de titres d’identité plus fiables et plus sécurisés que ceux qui existent aujourd’hui. Les auteurs du texte que nous examinons aujourd’hui nous ont rappelé les raisons pour lesquelles il était nécessaire d’aller plus loin. Je ne reprendrai pas ici l’ensemble des dispositions de la proposition de loi et me bornerai à rappeler que son principal objet est la création de titres d’identité biométriques et d’un fichier central national correspondant. En tant que membre de la CNIL, notre collègue Jean-Paul Amoudry est particulièrement attentif à toutes les problématiques mettant en jeu aussi bien l’utilisation de données à caractère personnel que la création de nouveaux fichiers. J’ajoute que, en tant que coauteur, avec Anne-Marie Escoffier, du rapport d’information déposé au nom de la commission des lois La Vie privée à l’heure du développement des mémoires numériques, je suis moi-même assez sensible à cette question. Or, comme l’a justement rappelé M. le rapporteur, « les données biométriques ne sont pas des données personnelles comme les autres ». Si la CNIL n’a pas émis de contre-indication à l’usage des données biométriques, je rappelle qu’elle recommande, selon les prescriptions de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, de veiller à la proportionnalité entre les objectifs fixés, les moyens mis en œuvre et les atteintes possibles aux libertés individuelles. D’une manière générale, la CNIL considère comme légitime le recours, pour s’assurer de l’identité d’une personne, à des dispositifs de reconnaissance biométrique dès lors que les données biométriques sont conservées sur un support dont la personne a l’usage exclusif. En revanche, elle est plus réservée à l’égard de la constitution de bases centralisées de données biométriques, dont elle estime qu’elle doit être justifiée par de forts impératifs de sécurité. Aussi, je tiens à saluer l’interprétation retenue par la commission des lois. En effet, il était important de limiter l’usage du fichier biométrique à la seule lutte contre la fraude à l’identité, en doublant les garanties juridiques de garanties techniques, avec un dispositif de liens faibles. De fait, l’utilisation du fichier central biométrique dans le cadre de recherches criminelles, pour identifier une personne à partir des seules empreintes retrouvées sur le lieu d’un crime, suscite des interrogations : les impératifs de sécurité publique peuvent-ils justifier les restrictions apportées à l’exercice des libertés individuelles et au respect de la vie privée du plus grand nombre ? À terme, ce fichier pourrait porter sur l’ensemble de la population française, ce qui constitue, par rapport aux fichiers de police actuels, un changement d’échelle sans précédent. En effet, contrairement à ce qui prévaut actuellement, l’enregistrement dans la base biométrique ne concernera pas exclusivement des personnes faisant l’objet d’une suspicion légitime. C’est pourquoi je me félicite que notre rapporteur ait considéré que, le fichier visant à améliorer la lutte contre la fraude à l’identité, il convenait d’en limiter l’usage à cette seule finalité et d’interdire toute utilisation à des fins de recherche criminelle. Je salue également le fait que les garanties juridiques apportées à l’utilisation du fichier se doublent d’une garantie matérielle qui rendra concrètement impossible l’identification d’une personne à partir de ses seules empreintes digitales ou de la seule image numérique de son visage. Il était également important d’assurer la traçabilité des consultations et des modifications effectuées dans le fichier central. En effet, le texte issu des travaux de notre commission prévoit expressément que le traitement de données à caractère personnel qui permet l’établissement et la vérification des titres, autrement dit le fichier central, sera utilisé « dans des conditions garantissant […] la traçabilité des consultations et des modifications effectuées par les personnes y ayant accès ». Enfin, j’évoquerai l’intérêt que présenterait ce futur titre sécurisé pour l’application de la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, qui vise à lutter contre le surendettement. Cette loi a mis à l’étude les conditions juridiques et matérielles d’une centrale de crédit, appelée à enregistrer les données de quelque 30 millions de personnes. La fiabilité de ce dispositif repose sur une exacte identification des personnes, permettant d’écarter les risques de fraude et d’homonymie. Or, à ce jour, le seul moyen d’identification qui ait été jugé fiable est le numéro de sécurité sociale, ou numéro d’inscription au répertoire, le NIR, dont l’usage est réservé à la sphère sociale. Son utilisation hors de ce périmètre nécessiterait l’élaboration de procédures particulièrement complexes. Aussi la mise en service d’un titre d’identité sécurisé constituerait-elle une avancée fort utile pour le fonctionnement de cette centrale de crédit. Cela constitue pour moi une raison supplémentaire, s’il en était besoin, de soutenir l’initiative de nos collègues Jean-René Lecerf et Michel Houel. Pour conclure, je tiens à saluer l’excellent travail de notre rapporteur François Pillet, dont la mission était, en ce domaine très technique, d’une réelle complexité. Le texte qu’il nous soumet aujourd’hui me paraît équilibré. C’est pourquoi le groupe de l’Union centriste votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)