Les interventions en séance

Economie et finances
Catherine Morin-Desailly 30/11/2010

«Projet de loi de finances pour 2011, Mission Enseignement scolaire»

Mme Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec un budget de 62 milliards d’euros, le concours de plus d’un million d’agents de la fonction publique en charge de douze millions d’élèves, l’enseignement scolaire est assurément une priorité de l’action gouvernementale. Reste que, selon les estimations, 130 000 à 150 000 jeunes sortent encore du système éducatif sans aucune qualification. Cela représente 20 % d’une classe d’âge, un jeune sur cinq !
Hormis assurer le socle commun de connaissances, comme le réaffirme la loi sur l’école de 2005, la mission de l’éducation nationale doit porter une ambition fondamentale.
Cette ambition doit être de « favoriser la réussite », mais aussi et surtout d’« assurer l’épanouissement personnel et intellectuel des élèves » afin que ceux-ci fassent le meilleur choix, soit celui de l’enseignement supérieur, soit celui de la professionnalisation. Il faut que ce choix, les jeunes soient aidés à le faire de manière éclairée, qu’ils soient soutenus et conseillés tout au long de leur parcours, que ceux qui les conseillent connaissent vraiment le monde du travail, de l’entreprise et cessent de les orienter par défaut.
La question de l’orientation reste un immense problème. La mission « Jeunesse » que nous avons conduite il y a deux ans au Sénat l’a bien rappelé : l’orientation, de par son mode organisationnel, est l’une des grandes carences de notre système. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire quelles sont ces nouvelles mesures, que vous avez évoquées lors de votre audition, qui ont été mises en œuvre depuis la rentrée scolaire ?
L’école, dont le système, vous en conviendrez, est très normatif, ne convient pas à tous. Je pense aux jeunes qui sont en situation de décrochage scolaire ou à ceux rendus inadaptables en raison de leur situation sociale ou familiale. Pourtant, tous les jeunes ont droit à la scolarité. Il faut donc trouver des voies et des moyens pour répondre à cet impératif.
En ce sens, l’ouverture lors de cette rentrée scolaire des établissements spécifiques, tels que les internats d’excellence ou les établissements de réinsertion scolaire, est une bonne chose.
Avec des classes de taille adaptée, un « dépaysement » des jeunes par rapport à leur milieu souvent précaire, un encadrement spécialisé, les ERS sont une solution à la violence de certains jeunes en situation de « précarité éducative et scolaire ». Ainsi, malgré les incidents de Craon, en Mayenne, l’expérimentation doit absolument se poursuivre.
Acceptons de mettre les moyens correspondant à cette ambition pour l’enseignement scolaire en termes non seulement d’enseignants, mais également de personnel d’assistance éducative : assistantes sociales, médecins scolaires, psychologues, CPE, ... Ce sont eux qui permettent de prévenir certaines violences ou décrochages. Rappelons, comme notre rapporteur spécial, que la médecine scolaire reste le parent pauvre de l’éducation nationale, hélas !
On comprend qu’il faille que chaque ministère participe à l’effort de redressement des déficits publics de notre pays, mais quand on parle des « leviers d’efficience de l’enseignement scolaire », notamment des moyens à mettre en œuvre pour ne pas remplacer un enseignant sur deux partant à la retraite, je trouve qu’il y a là un risque. Certes, il nous faut raisonner en termes de taux d’encadrement, mais il y a tout de même des postes spécifiques qui disparaissent. Je pense aux RASED.
Je pense également à la suppression des intervenants en langues étrangères en primaire. Permettez-moi de vous dire en tant que linguiste que, en dépit de la bonne volonté des instituteurs pour se former, rien ne remplacera les professionnels ou les locuteurs natifs pour mettre en place correctement les bases et les premiers réflexes.
Aussi je voudrais que les discussions sur les rythmes scolaires, qui procèdent d’une excellente initiative, soient menées non pas au travers du prisme de la réduction des moyens, mais en fonction de l’intérêt des jeunes et d’un système équilibré. Nous serons très attentifs sur ce point.
On remarque bien l’écueil qu’il y a à ne raisonner qu’en termes de réduction d’effectifs. L’enseignement privé sous contrat, comme l’a également rappelé M. le rapporteur spécial, qui connaît une forte croissance depuis 2002, devrait fermer ces trois prochaines années 1 000 écoles, 100 collèges, et 70 lycées.
Que l’on soit pour ou contre l’enseignement privé – ma remarque s’adresse à certains de mes collègues –, reste que ce sont des élèves qu’il faudrait de toute façon scolariser.
Portons cette ambition : que l’éducation nationale soit attentive aux besoins de chacun, en les adaptant à l’évolution des jeunes et selon les territoires. En ce sens, la recommandation du député Frédéric Reiss visant à sortir du modèle de l’école unique, en prônant l’esprit d’initiative des équipes, l’élaboration d’expérimentations à partir d’un projet commun, doit être suivie.
S’adapter aux évolutions rapides de notre monde, voilà une obligation ! L’école du XXIe siècle doit prendre en compte que l’internet et les nouvelles technologies sont devenus omniprésents dans notre quotidien, avec toutes les conséquences culturelles, sociales et économiques que cela induit. Les jeunes de primaire, qui savent se servir d’un téléphone mobile, d’un lecteur MP3 ou d’un iPad, sont certainement de plus grands utilisateurs de l’internet et de supports numériques que leurs enseignants.
Or, si ces nouveaux médias sont incontestablement une source d’enrichissement des connaissances, ils représentent un risque de perte de repères et de manque de hiérarchisation de l’information. La dissolution du sens critique, la mise en péril de leur intimité, les effets sur la santé, la violence des images, dont le rôle ne peut être minimisé, sont des craintes que l’on peut avoir.
Il est frappant de constater, alors que les jeunes vivent désormais dans un monde multimédiatique omniprésent, que l’école et la famille les laissent sans accompagnement par rapport à ces nouveaux outils. La proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, dont j’ai eu l’honneur d’être rapporteur pour avis, a été l’occasion d’une prise de conscience du rôle fondamental que doit assumer l’école de la République.
Intégrer ce monde numérique dans sa culture et ses pratiques est essentiel. Or l’école est en décalage, en termes de supports pédagogiques, avec l’environnement numérique dans lequel ces jeunes grandissent. La France est classée vingt-quatrième sur vingt-sept par la Commission européenne pour l’utilisation des technologies numériques à l’école. C’est inquiétant !
Par ailleurs, au-delà du simple enseignement dans le cadre du brevet informatique et internet, le B2i, les enseignants sont-ils vraiment sensibilisés au rôle éducatif qui doit être le leur ?
Lors de votre audition, monsieur le ministre, vous nous aviez précisé que vous feriez l’annonce au salon de l’éducation, le 25 novembre, d’un plan de développement des usages du numérique à l’école. Peut-on maintenant en savoir plus ?
Dans ce domaine, je note que le projet de budget n’a pas prévu de crédits dédiés. À cet égard, je regrette que le plan de développement du numérique dans les écoles rurales, qui a été un grand succès, n’ait pas été prolongé. Des demandes sont en effet restées insatisfaites malgré la rallonge budgétaire consentie l’année dernière et au-delà des 70 millions d’euros qui avaient été répartis par académie afin de permettre le cofinancement de tableaux numériques.
C’est pourquoi je me félicite que notre commission, sur l’initiative de son président, propose d’introduire dans le projet de loi de finances, via un amendement, une enveloppe de 25 millions d’euros. Il y a en effet une attente forte sur ce sujet, attente que j’ai encore pu mesurer dans mon propre département, vendredi dernier, lors d’une visite de canton.
Même si ce ne sont pas les mêmes missions budgétaires, 25 millions d’euros, c’est également le coût de la carte musique. En l’occurrence, peut-être y aurait-il un choix à faire ? Quoi qu’il en soit, il nous faut avant tout répondre à une priorité, à savoir la formation des jeunes.
Toujours dans ce domaine, on pourrait aussi évoquer la formation initiale et continue des enseignants, cette dernière étant notoirement insuffisante dans de nombreux domaines. Au reste, cela ne date pas d’aujourd’hui. Nombre d’anciens enseignants qui siègent dans cet hémicycle pourraient en parler en connaissance de cause.
La formation est un vaste sujet. C’est aussi dans ce secteur qu’il y aurait matière à agir, pour autant qu’on ait réglé ce qui cause beaucoup d’inquiétudes ces derniers temps : la mastérisation. Notre collègue Jean-Jacques Pignard évoquera en détail ce point.
Voilà, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques remarques que je souhaitais faire au nom du groupe de l’Union centriste. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)