Les interventions en séance

Aménagement du territoire
30/03/2011

«Proposition de loi relative à l’urbanisme commercial»

M. Jean-Claude Merceron

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis le début des années soixante, l’urbanisme commercial a subi une mutation profonde, marquée par deux phénomènes majeurs.
D’une part, le développement du commerce de grande surface a été conforté depuis très longtemps par une forte pression à la baisse sur les prix des produits de consommation courante, notamment dans les secteurs de l’alimentation et de l’habillement.
D’autre part, une conception de l’urbanisme qui consistait à attribuer une fonctionnalité spécifique à chaque quartier de la ville a prévalu. Ce vieux rêve de Le Corbusier, aujourd’hui dépassé, a poussé à la création de zones exclusivement commerciales dans la périphérie des villes.
Succès apparent de cette politique : 70 % du chiffre d’affaires commercial en France est aujourd’hui réalisé en zone périurbaine, contre 30 % en Allemagne.
Mais l’on constate aussi, avec regret, les effets de cette conception irrationnelle de l’urbanisme commercial : dévitalisation de nos centres-villes, érosion des commerces de proximité, implantation anarchique de hangars défigurant le paysage, sans parler des effets sur l’environnement d’une ville dont la séparation entre zones commerciales et zones d’habitation rend indispensable l’usage de la voiture.
Depuis quarante ans se sont donc développées sous nos yeux des « métastases » périurbaines, spécialisées pour les unes dans les commerces de grande surface, et pour les autres dans le logement.
Face à cette situation, nous avons tenté, en vain, depuis la loi Royer et jusqu’à la loi Raffarin de 1996, de contrôler les implantations commerciales.
Mais la tendance s’est inversée, puisque la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a relevé les seuils d’autorisation pour les implantations commerciales, privilégiant ainsi une lecture économique et concurrentielle par rapport à une conception soucieuse d’un aménagement et d’un développement urbains harmonieux et durables.
Le Parlement semble heureusement se réapproprier cette question.
L’excellent rapport du député Charié, décédé depuis lors, dressait un constat à la fois réaliste et accablant de la situation, tout en suggérant des pistes d’amélioration. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs trouvé leur place dans le texte que nous examinons.
L’adoption par le Sénat, à la fin de l’année 2009, de la proposition de loi relative à l’amélioration des qualités urbaines, architecturales et paysagères des entrées de villes de notre collègue Jean-Pierre Sueur a en outre permis de souligner la piètre qualité de l’environnement offert par les zones périurbaines. Ce sujet avait ému la Haute Assemblée tout entière.
Je salue aujourd’hui l’initiative du député Patrick Ollier, devenu ministre. Elle doit permettre de redonner à l’urbanisme commercial ses lettres de noblesse.
Le texte qui nous est soumis favorise en effet, par le biais des documents d’aménagement commercial, le développement harmonieux, concerté et prospectif du commerce sur nos territoires, selon des objectifs pertinents : la limitation de l’étalement urbain, la prise en compte des transports collectifs, la diversité commerciale, la revitalisation des centres-villes...
Si ces objectifs sont louables, la proposition de loi issue de l’Assemblée nationale était loin d’être satisfaisante. Je salue donc le travail de la commission, notamment de son rapporteur, notre collègue Dominique Braye, qui a en partie corrigé les insuffisances du texte voté à l’Assemblée nationale.
J’espère encore, monsieur le rapporteur, après la discussion tonique et quelque peu fermée de ce matin en commission, que vous prendrez en considération les propositions des sénateurs centristes.
Dans ce débat sur l’urbanisme commercial, les membres du groupe de l’Union centriste attachent une importance particulière à trois principes majeurs, qui ont dicté les amendements qu’ils ont déposés.
Premièrement, la loi doit être de qualité. Il est inopportun et de toute façon impossible de tout prévoir dans un texte législatif. Plus la loi se perd dans les détails, moins elle est cohérente et applicable en pratique.
À l’inverse, la sécurité juridique, la clarté et, in fine, l’efficacité du texte que nous allons adopter sont essentielles, puisque ce dernier fixe un cadre dans lequel les élus locaux pourront constituer les documents d’aménagement commercial en fonction du contexte local, au terme d’une réflexion qui prendra en compte les besoins des habitants.
Le respect de la liberté des élus locaux est la deuxième valeur que le groupe de l’Union centriste entend défendre.
Respecter les libertés locales est d’autant plus important que l’urbanisme est une compétence essentielle des maires, qu’ils exercent en concertation dans le cadre des intercommunalités. Respecter la liberté de ces élus ne signifie pas pour autant ne rien exiger d’eux. Encore une fois, la loi peut fixer un cadre dans lequel s’exerce cette liberté.
Troisièmement, nous devons nous attacher à poursuivre un aménagement commercial durable. Or ce ne sera le cas que si celui-ci porte sur l’amélioration de l’existant, par opposition à la construction de zones toujours nouvelles, prises sur des espaces naturels et agricoles.
Tant les lois sur le Grenelle de l’environnement que la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche érigent la limitation de la consommation des espaces agricoles en principe de valeur législative. Il est de bon sens que le cadre que nous allons fixer à l’urbanisme commercial réponde à ce même souci.
Cette triple démarche a donc conduit le groupe de l’Union centriste à déposer un certain nombre d’amendements.
Afin d’assurer une perfection juridique au texte que nous allons voter, je vous soumettrai, mes chers collègues, non seulement un amendement rédactionnel, mais aussi des amendements de fond. Je pense en particulier à celui qui tend à ce que les élus fixent les conditions ou prescriptions d’urbanisme dans les zones périurbaines. C’est une condition de l’opposabilité, c’est-à-dire de la portée réglementaire du document d’aménagement commercial.
Si cette proposition n’était pas adoptée, le DAC connaîtrait sans aucun doute le même échec que les schémas départementaux de développement commercial, puisque personne ne pourrait se prévaloir, en cas de recours contre un permis de construire, d’une méconnaissance de ses objectifs ou de ses prescriptions.
Bien entendu, rendre obligatoire la réflexion sur les prescriptions prévues aux alinéas 7 à 9 de l’article 1er, notamment sur celles qui concernent la desserte et la qualité architecturale, ne signifie pas que les élus devront retenir obligatoirement toutes les prescriptions. Ils pourront estimer que l’une d’entre elles n’est pas nécessaire si les contingences locales le justifient.
L’idée clairement exprimée dans l’objet de l’amendement auquel je fais référence est de rendre indispensable la conduite d’une réflexion sur chacune des prescriptions du DAC, faute de quoi nous passerons à côté de l’objectif recherché par les auteurs de la proposition de loi !
Le DAC doit pouvoir en outre être révisé pour s’adapter à nos modes de consommation, marqués aujourd’hui par l’essor des commandes sur Internet livrées à domicile, ou le retour des moyennes surfaces dans les centralités urbaines.
Par ailleurs, afin de garantir le respect de la liberté des élus, il nous a semblé opportun de n’intégrer dans les schémas de cohérence territoriale qu’un cadre laissant aux élus la possibilité de déterminer les implantations commerciales parcelle par parcelle, au travers du plan local d’urbanisme. Ma collègue Valérie Létard, auteur d’un amendement ayant cet objet, aura l’occasion de défendre plus avant cette proposition ultérieurement.
Enfin, en vue de limiter l’étalement urbain, nous avons déposé un amendement visant à privilégier les implantations commerciales dans le tissu urbain existant grâce à la rénovation des quartiers.
Tels sont, mes chers collègues, le sens de la démarche des membres du groupe de l’Union centriste et les points sur lesquels porteront leurs amendements.
Nous soutiendrons la présente proposition de loi si nous obtenons des réponses satisfaisantes aux préoccupations que je viens d’exposer. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte qui est soumis à notre vote constitue une avancée majeure en matière de réglementation des implantations commerciales.
On peut se satisfaire de la suppression des autorisations commerciales et de l’insertion de la réglementation des implantations commerciales dans le droit de l’urbanisme.
En inscrivant les objectifs et en conditionnant certaines implantations commerciales à certaines « prescriptions » d’urbanisme dans les documents d’aménagement commercial, on donne la possibilité aux élus, grâce à de nouveaux outils, de maîtriser le développement anarchique des zones commerciales qui enlaidissent nos entrées de ville.
Je salue l’un des rares apports de notre discussion en séance publique, consistant à laisser aux SCOT le soin de localiser les aires d’implantations commerciales et aux PLU, lorsqu’ils existent, de les délimiter. Cela permet de redonner aux maires, dans le cadre des PLU, la maîtrise de l’organisation commerciale.
Parce que les implantations urbaines ne sont soumises qu’aux objectifs du DAC, alors que les zones périurbaines font l’objet de prescriptions plus strictes, nous saluons également l’apport de ce texte dans la revitalisation de nos centres-villes.
Les élus disposent désormais d’une boîte à outils plus complète.
Certes, ils avaient déjà, depuis quarante ans, des outils efficaces, comme les POS, les PLU et les seuils d’autorisation, qui leur permettaient de réguler les implantations commerciales. Mais ce n’est pas tant les outils que leur sous-utilisation par les élus qui les ont rendus si peu efficaces face à l’enlaidissement des entrées de ville.
En résumé, la qualité des entrées de ville et leurs fameuses « boîtes à chaussures » devraient changer avec ces nouveaux outils réglementaires, à condition que les élus s’en emparent et ne se décident pas uniquement en fonction de considérations fiscales. C’est pour cette raison que nous avons souhaité aller plus loin, en favorisant la réflexion des élus avant qu’ils n’opèrent un choix, afin d’améliorer la portée pratique de la loi.
Mais, face à des objectifs qu’elle semblait partager – je pense en particulier à la nécessité de faciliter et non pas de compliquer la bonne exécution du texte à l’échelon local –, la commission, notamment son rapporteur, s’est montrée fermée à la discussion. J’espérais au moins une ouverture en séance publique.
J’ajoute qu’un sujet de cette importance aurait mérité que nous y consacrions plus de temps, et je regrette la précipitation dans laquelle nos débats se sont déroulés.
De ce fait, le texte est encore imparfait. Heureusement, l’esprit qui l’anime en sauve les imperfections, et c’est pour cette raison que nous le voterons.