Les interventions en séance

Budget
29/10/2012

«Projet de loi organique, relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques»

M. Jean Arthuis

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d’abord remercier le rapporteur général de la commission des finances, le rapporteur général de la commission des affaires sociales et le président de la commission des finances de nous avoir éclairés sur le contenu de ce projet de loi organique. Naturellement, tout dépend du regard que l’on porte sur ce dernier : il peut apparaître comme un carcan ; il peut aussi apparaître comme un exercice de rhétorique parlementaire… Ce projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques répond à deux impératifs : d’une part, nous conformer aux engagements résultant du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire ; d’autre part, nous permettre de prendre toutes dispositions nécessaires pour sortir enfin de notre triple addiction au déficit, à la dépense publique et au surendettement. C’est parce que le traité, au-delà de son apparence de rigueur, ouvre la porte à des débats académiques, au risque de les voir devenir parfois ubuesques, du fait de la référence au solde budgétaire structurel, à l’effort structurel ou bien au produit intérieur brut potentiel, que le Gouvernement aurait dû choisir une démarche rigoureuse. En fait, et je le regrette, le texte qui nous est soumis opte pour la commodité, la facilité, bref, oserais-je dire, pour le minimum syndical. Nous avons besoin de règles simples, robustes, car les concepts retenus par le traité vont nous égarer en ouvrant des discussions confuses, dogmatiques, probablement incompréhensibles et sans fin. La commission présidée par Michel Camdessus en 2010 avait écarté cette référence « structurelle » pour des raisons de pédagogie. Quel serait, en effet, le produit intérieur brut si le plein emploi était assuré, si les 3 millions de chômeurs retrouvaient un emploi ? Vous imaginez, mes chers collègues, quelles discussions enflammées nous allons devoir affronter. Avant de parler de solde structurel et de PIB potentiel, il serait sans doute judicieux de mettre en œuvre des réformes structurelles, précisément : je pense à l’abrogation des 35 heures, à l’allégement des charges sociales, qu’il faudrait sans doute financer par un surcroît de TVA, sans encourir le risque d’une inflation des prix dès lors qu’il s’agit de produits élaborés sur notre territoire national. J’ose espérer que la gouvernance de l’Eurogroupe définira les concepts et les modalités d’évaluation de l’effort structurel, du solde structurel et du produit intérieur brut potentiel. Ce que je crois être une faiblesse du traité appelait de notre part une régulation claire. Le Gouvernement, malheureusement, fait le choix du « clair-obscur » et s’expose à trois critiques. Première critique : alors que de nombreux pays de l’Union européenne ont eu le courage de dissiper l’ambiguïté en s’en remettant à des institutions indépendantes pour établir les prévisions macroéconomiques, nous restons dans un système d’auto-prévision pour arrêter la projection pluriannuelle des finances publiques et les projets de loi de finances. Nous savons trop bien que tout gouvernement chargé de cette évaluation est suspect de pratiquer le volontarisme politique, c’est-à-dire l’excès d’optimisme. Il est en effet plus aisé d’arbitrer le niveau des dépenses publiques lorsque les hypothèses de croissance sont élevées et qu’elles accréditent un niveau substantiel de ressources. Face à nos vicissitudes, je croyais que nous allions enfin nous conformer aux exemples que nous donnent plusieurs pays européens – je pense aux Pays-Bas, à la Grande-Bretagne –, en prenant appui sur des instituts ou des autorités indépendants. C’est une recommandation que formule de longue date notre commission des finances. De droite ou de gauche, les gouvernements ont toujours voulu garder la main sur les hypothèses macroéconomiques. Faut-il rappeler la constance et l’ampleur des écarts constatés pour justifier une réforme radicale ? Nous attendions une rupture avec cette pratique contestable ; il n’en est malheureusement rien. Les prévisions vont rester sous le contrôle du Gouvernement. Il est vrai que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même ! Je remercie Mme Des Esgaulx d’avoir rappelé que Philippe Marini et moi-même avions proposé qu’une autorité indépendante européenne établisse les hypothèses macroéconomiques. Ma deuxième critique a trait à la composition du Haut Conseil des finances publiques. Certes, pour donner crédit à ses projections, à ses programmations pluriannuelles, le Gouvernement se propose de créer un « organisme indépendant, placé auprès de la Cour des comptes, présidé par le Premier président de la Cour des comptes », chargé d’émettre des avis sur les prévisions gouvernementales et sur les programmations des finances publiques. Les membres de cet organisme indépendant sont si indépendants « qu’ils ne sont pas rémunérés ». Pour ma part, je considère que c’est là un étrange arbitrage. Au surplus, il peut y avoir un conflit d’intérêts, puisque quatre magistrats de la Cour des comptes sont appelés à siéger au sein de cette instance, qui sera en outre présidée par son Premier président. Or ces magistrats, qui ont réalisé des progrès considérables dans les diligences qu’ils accomplissent pour parvenir à certifier la sincérité des comptes publics, ont acquis une compétence en matière d’appréciation de l’exécution budgétaire. Il s’agit ici d’exprimer une opinion sur des prévisions, ce qui est un exercice tout à fait différent. Pour ma part, je considère qu’il y a une sorte de conflit entre ces deux missions. Je pense qu’il faudra par ailleurs que les magistrats de la Cour des comptes puissent aller jusqu’au bout et que nous puissions instituer la certification de sincérité des comptes des collectivités territoriales. M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales a eu raison de rappeler les problèmes de calendrier que pose l’expression de cette opinion. Il faudra, au surplus, que nous puissions consolider les comptes publics dans des délais suffisamment rapprochés de la fin de l’exercice budgétaire pour pouvoir en tirer des enseignements dans la perspective du débat d’orientation budgétaire et de l’élaboration des lois de finances à venir. En tout état de cause, je le répète, il faudra aller jusqu’au bout. Pour ma part, je regrette que l’on n’ait pas institué un organisme indépendant, auquel on eût confié la responsabilité d’établir ces prévisions, et je crains un mélange des genres s’agissant des magistrats de la Cour des comptes siégeant au sein du Haut Conseil des finances publiques. Autre critique, les membres du groupe de l’UDI-UC estiment que les prescriptions prévues à l’article 3 du traité, relatives à l’introduction d’un mécanisme de correction automatique des écarts significatifs, sont ignorées dans le projet de loi organique. Il s’agit là d’une omission majeure, qui tend à détourner le texte de l’objectif visé. Le Gouvernement prend le risque qu’on le suspecte de rester dans le flou et l’approximation, peut-être pour prolonger un déni de la réalité. Or l’ampleur de la crise ne nous autorise plus à tergiverser. Je crains fort que votre dispositif, messieurs les ministres, ne finisse au rayon des lois relevant davantage de la gesticulation que du souci de l’efficacité. Dans ces conditions, pour sortir de l’ambiguïté, il est vital que le Parlement assume pleinement ses prérogatives et se dote de moyens d’expertise en vue de forger sa propre opinion sur les hypothèses de croissance et leur lien avec l’évolution des prélèvements obligatoires. Il importe de sortir au plus vite de ce qui s’apparente à une alchimie aux allures de mystère, donnant à penser que le « doigt mouillé » sert d’instrument de mesure. Récapitulons : le dispositif est imprécis, dénué de sanctions concrètes, et donc d’application très flexible ; c’est un toilettage des procédures de programmation actuellement en vigueur. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous présenterai, au cours de l’examen des articles, plusieurs amendements visant à donner plus de rigueur et de corps à ce projet de loi organique. Il s’agira, dans un premier temps, d’éviter les abus manifestes de la part du Gouvernement, qui priveraient le TSCG et le présent projet de loi organique de toute portée, en cassant le thermomètre. Deux amendements, à l’article 9 et à l’article 16, ont pour objet de faire en sorte que la trajectoire du PIB potentiel utilisée par le Haut Conseil pour évaluer le solde structurel soit celle du rapport annexé à la loi de programmation des finances publiques, en renforçant la portée des avis défavorables du Haut Conseil. Je proposerai également une série d’amendements tendant à inscrire dans le projet de loi organique que le refus du Haut Conseil d’avaliser les prévisions macroéconomiques entraînera l’insincérité de l’ensemble des textes financiers. Je voudrais mettre à profit l’examen de ce projet de loi organique pour corriger une modification que nous avons apportée en 2005 à la loi organique de 2001 relative aux lois de finances, concernant les engagements « hors bilan ». Je veux parler du recours aux contrats de partenariat public-privé et aux baux emphytéotiques administratifs : ces modes de financement innovants constituent une facilité, utilisée pour éviter d’avoir à constater la dette effective. J’espère, messieurs les ministres, que l’amendement correspondant retiendra votre attention et que, dans l’article d’équilibre relatif au plafond d’endettement, il sera également fait mention du plafond d’engagements au titre de ces dettes implicites liées à des partenariats public-privé ou à des baux emphytéotiques administratifs. Nous souhaitons que ce texte contribue à renforcer la confiance, qu’il soit un instrument de meilleure coordination pour la gouvernance de la zone euro, ainsi qu’un instrument de pilotage de nos finances publiques. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)