Les interventions en séance

Collectivités territoriales
Jean-Léonce Dupont 29/06/2010

«Discussion en deuxième lecture du projet de loi, de réforme des collectivités locales»

M. Jean-Léonce Dupont

Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, entre les travaux de l’Assemblée nationale, du Sénat et d’autres groupes de travail, les rapports relatifs aux collectivités locales se sont multipliés ces dernières années. Ils portent sur la réorganisation territoriale, sur la clarification des compétences des collectivités, sur les relations de ces dernières avec l’État et sur la mutualisation de leurs moyens. À ces nombreuses réflexions s’ajoute, bien sûr, la contribution du comité pour la réforme des collectivités locales, mis en place afin de « formuler toutes propositions de nature à engager une réforme profonde et ambitieuse du mode d’administration du territoire [...] ».
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les travaux préparatoires à la réforme annoncée des collectivités ne manquent pas ! Les constats sont unanimes : enchevêtrement à l’excès des compétences des collectivités, trop grand nombre et morcellement des structures d’administration territoriale, nécessaire réforme des finances locales, dans un contexte marqué par une augmentation importante des dépenses des collectivités locales et une diminution des recettes.
Le projet de loi que nous examinons est censé s’être nourri de ces divers rapports. Toutefois, étonnamment, la réforme proposée aujourd’hui par le Gouvernement s’appuie sur une analyse que je qualifierais d’erronée et manque profondément de clarté.
Compte tenu du temps qui m’est imparti, je ne formulerai que quatre remarques pour étayer ma vision de la situation.
Tout d’abord, le texte cherche à promouvoir des synergies entre les départements et les régions, avec la création de conseillers territoriaux se substituant aux conseillers généraux et régionaux actuels. À défaut d’avoir pris une décision sur la suppression d’un échelon institutionnel – une question qui fait débat –, le Gouvernement crée un nouvel élu, chargé de « donner plus de cohérence aux politiques locales ». En soi, pourquoi pas ? Néanmoins, soyons honnêtes sur les conséquences d’un tel choix : la réduction du nombre d’élus, donc de cantons ou de territoires, conduira à favoriser les pôles urbains ; les circonscriptions étant agrandies, les élus seront moins proches de leurs concitoyens ; enfin, ne sous-estimons pas le risque de professionnalisation de la fonction d’élu territorial, problème que vient de soulever M. Christian Poncelet.
Le Gouvernement présente la création de ces nouveaux élus et la réorganisation des collectivités en pôles unissant les départements et les régions comme des gages d’efficacité pour les territoires.
Or, ainsi que l’illustre parfaitement le rapport du Sénat sur la mutualisation des moyens des collectivités, c’est à l’échelon des communes et des intercommunalités que les synergies et la mise en commun de moyens doivent être recherchées. C’est à ces deux niveaux que nous pouvons optimiser les dépenses et réduire le nombre des services administratifs. La Cour des comptes relève d’ailleurs ce paradoxe : malgré le développement de l’intercommunalité et le transfert de compétences depuis les années deux mille, entraînant de fait la création de postes de personnels communautaires, les communes ont continué à augmenter leurs effectifs. C’est de cette façon que les administrations « doublonnent » ! Entre les communes et les intercommunalités, ce sont entre 35 000 et 40 000 postes qui sont créés chaque année.
Certes, les articles 33, 34 et suivants du projet de loi vont dans le sens d’une recherche de maximalisation des ressources et des services dans le cadre communal et intercommunal. C’est une avancée, et c’est bien là que se situe la véritable révolution pour les territoires ! Ce n’est pas à l’échelon des départements et des régions que les synergies produiront beaucoup d’effet...
En outre, la diminution du nombre d’élus nous est présentée comme une garantie d’économies. En réalité, c’est l’inverse qui risque de se produire : la réforme devrait être dispendieuse.
Je sais que le sujet n’est pas médiatiquement vendeur ces temps-ci, mais je voudrais dire que le coût des élus est marginal : dans mon département, il représente non pas 5 % ou même 1 % du budget, mais seulement 0,18 % ! En revanche, il serait intéressant de connaître le coût, pour chaque région, de la réalisation d’une salle de réunion pour les 200 à 300 conseillers territoriaux et, surtout, celui des personnels nécessaires à la gestion de ces mini-parlements.
Avec cette réforme, le Gouvernement affiche également comme ambition de rendre plus lisible l’architecture territoriale de notre pays.
Je crois, au contraire, que, avec la création de métropoles aux contours indéfinis et l’absence totale de clarification des compétences de chaque niveau de collectivités, ce texte rend encore plus complexe la situation.
Des métropoles capables de rivaliser avec leurs homologues européennes et internationales, nous y sommes bien sûr favorables ! Mais, pour être la hauteur du défi, ces métropoles doivent, à mon avis, comprendre une population d’un million d’habitants, avoir un aéroport international, pouvoir accueillir des sièges de multinationales. Or, compte tenu des spécificités de la France, cinq ou six métropoles sont envisageables, pas plus ! Et une fois les métropoles instaurées, qu’adviendra-t-il du reste du territoire environnant non membre de cet EPCI ? Le texte est muet sur ce point, alors que la métropole aura absorbé les principaux viviers, social, économique, financier...
C’est pourquoi j’ai déposé un amendement tendant à prévoir que, dans le département siège de la métropole, les communes non membres seront rattachées aux départements voisins.
Je voudrais terminer en évoquant le mode de scrutin prévu pour l’élection des conseillers territoriaux.
Je suis convaincu qu’un système analogue à celui qui est applicable pour les élections sénatoriales aurait été la solution pour représenter au mieux les territoires ruraux comme les territoires urbains. Cependant, en première lecture, je m’étais rangé au dispositif proposé par le groupe centriste, qui avait obtenu l’avis favorable du rapporteur et du Gouvernement. Le mode de scrutin devait alors combiner un scrutin uninominal et un scrutin proportionnel, assurant à la fois une bonne représentation du territoire et l’expression du pluralisme politique comme de la parité.
Le Gouvernement s’était alors engagé au maintien de ce dispositif. Monsieur le ministre, après ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale, nous considérons que la parole donnée devant le Sénat a été trahie. La suppression de l’article 1er A en commission des lois a chamboulé momentanément le texte. Malheureusement, cet épisode n’a pas amené le Gouvernement à réfléchir sur l’engagement qu’il avait pris devant notre assemblée, puisqu’il a déposé un amendement tendant à rétablir le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours.
Je suis pourtant convaincu que le lien entre le territoire et la représentation qui vise à garantir pluralisme et parité ne sont pas antinomiques. C’est la raison pour laquelle le mode de scrutin doit combiner un scrutin majoritaire à deux tours assorti d’une dose de proportionnelle. En conclusion, tout le monde l’aura compris, cette réforme ne m’enthousiasme pas. Je trouve qu’elle pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.) Entre les régions, les départements, les communes, les divers EPCI, les éventuelles fusions de départements et régions, les métropoles, les pays, aux compétences de plus en plus floues, je souhaite bien du plaisir aux élèves qui, demain, auront à apprendre la carte administrative de la France ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)