Les interventions en séance

Education et enseignement supérieur
Jean-Léonce Dupont 29/04/2014

«Proposition de loi, tendant au développement, à l’encadrement des stages et à l’amélioration du statut des stagiaires »

M. Jean-Léonce Dupont

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous nous accordons tous pour dire que les stages en entreprise sont un vecteur important de professionnalisation et constituent un lien entre le système éducatif et l’entreprise. L’enjeu est donc de permettre aux jeunes de se former tout en répondant aux besoins des entreprises. Ne pas dissuader les entreprises de prendre des stagiaires tout en protégeant mieux ces derniers doit être notre objectif. Aujourd’hui, le nombre de stages en milieu professionnel s’élève à environ 1,6 million par an, contre 600 000 en 2006, comme l’a dit M. le rapporteur. Le nombre de stagiaires a presque triplé en dix ans. Les stages abusifs sont estimés à 100 000 par an, soit 8 % du nombre total. Gardons à l’esprit le fait que 92 % des stages se déroulent dans de bonnes conditions. Il nous revient par conséquent de limiter les pratiques abusives sans accroître les contraintes pesant sur les entreprises. Un certain nombre de dispositions visant à encadrer les stages ont déjà été adoptées, notamment sur l’initiative des centristes. Ainsi, avec la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale, a instauré le principe du versement obligatoire d’une gratification pour tous les stages en entreprise d’une durée supérieure à deux mois consécutifs. De plus, des règles ont été établies afin d’éviter les comportements abusifs de certaines entreprises. On peut citer, notamment, l’interdiction des stages hors cursus, la création d’un délai de carence entre deux stages, la possibilité de déduire la durée du stage de la période d’essai en cas d’embauche. Enfin, la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites a également permis que les stages en entreprise de plus de deux mois puissent, le cas échéant, être retenus à hauteur de deux trimestres dans le calcul des droits à la retraite. La proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui vise à aller plus loin. Au-delà du fait que les entreprises nous réclament à cor et à cri une stabilité des règles applicables, le présent texte risque de passer à côté de l’objectif affiché. Instaurer de nouvelles contraintes à l’égard des entreprises se retournera contre les stagiaires qui, demain, risquent d’avoir du mal à trouver des entreprises acceptant de les accueillir. Nous tous, mes chers collègues, recevons des dizaines de demandes de stages et connaissons les difficultés rencontrées par les jeunes en la matière et leur angoisse. Ainsi, mettre en place un taux maximal de stagiaires par entreprise est une fausse bonne idée. Cette mesure, en limitant la possibilité de recourir à des stagiaires, aurait des conséquences négatives, en particulier dans les petites entreprises. Or, chacun le sait, le tissu économique de notre pays est principalement constitué de petites entreprises. On peut donc légitimement s’inquiéter. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que les entreprises de moins de dix salariés ne soient pas concernées par ce plafond. De même, la suppression de toute dérogation à la durée maximale de six mois de stage causera des dommages collatéraux. La rédaction actuelle de la proposition de loi interdit de ce fait la possibilité de prendre une année de césure ou d’effectuer un stage de longue durée à l’étranger, cela vient d’être dit. Cela me semble être un non-sens, car ces options facilitent l’insertion des jeunes au moment de la recherche d’emploi. De plus, certaines formations exigent, en particulier dans le secteur agricole – n’est-ce pas, madame Férat ? – des stages d’une durée supérieure à six mois. Par ailleurs, l’extension aux stagiaires de certains droits salariaux en matière, par exemple, de durée du travail ou de congés familiaux constitue pour les stagiaires, qui doivent rester avant tout des élèves en formation, un glissement vers le statut de salarié. Ne nous y trompons pas, mes chers collègues, cette mesure risque de constituer un signal très négatif pour les entreprises, amenant certaines d’entre elles à renoncer à prendre des stagiaires, dont la productivité n’est naturellement pas la même que celle d’un salarié. De plus, le fait de confier le contrôle de la situation des stagiaires aux inspecteurs du travail plutôt qu’aux autorités académiques participe de ce glissement du statut de stagiaire vers celui de salarié. Toute assimilation du stage à un contrat de travail vient à l’encontre du principe même du stage, dont l’objet est de contribuer à la formation des jeunes. C’est pourquoi, si nous devons encourager les entreprises à accueillir davantage de stagiaires, nous devons également éviter les abus. La prévention de ces excès repose en grande partie sur la responsabilité conjointe de l’ensemble des signataires de la convention de formation, particulièrement de l’établissement d’enseignement, émetteur de la convention. Or, avec le présent texte, vous vous contentez d’augmenter les obligations des employeurs, ce qui, vous en conviendrez, est assez incohérent par rapport au choc de simplification que vous prétendez vouloir mettre en œuvre. Un stagiaire devra désormais avoir non seulement un tuteur, mais aussi un référent, bénéficier d’un volume pédagogique minimal, et être inscrit au registre unique du personnel : autant de contraintes supplémentaires et de rigidité, assorties de pénalités qui risquent de dissuader les entreprises et les collectivités de prendre des stagiaires. Je pense, entre autres, aux start-up, grandes utilisatrices de stagiaires. Pour notre part, nous proposons davantage de souplesse. Nous suggérons, par exemple, que la détermination des horaires de présence des stagiaires relève de la convention de stage. Le stagiaire qui s’absenterait quelques jours pour passer des examens, des entretiens, ou encore pour assister à des cours, en conviendrait avec son tuteur et ne serait pas pénalisé. Si l’objet de ce texte est véritablement d’empêcher les abus liés aux stages, pourquoi ne pas inscrire clairement dans la loi l’interdiction des stages postérieurs à la formation, effectués à l’issue d’un cursus universitaire ? Les jeunes qui auront la chance de décrocher un stage seront bien protégés, mais ils seront, hélas !, de moins en moins nombreux, au moment où justement il faudrait développer les stages, puisque la qualification et l’employabilité des jeunes passent par des contacts avec la pratique professionnelle. De surcroît, les stages sont indispensables pour valider nombre de diplômes professionnalisant – ce n’est pas Mme la secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche qui me contredira. Certains jeunes risquent ainsi d’être privés de diplômes, faute de trouver un stage. En résumé, avec ce texte, qui donnera, il est vrai, plus de droits au stagiaire, le risque est grand de voir se réduire drastiquement le vivier des offres de stages – je ne partage pas l’optimisme de M. le rapporteur –, car les employeurs seront de toute évidence effrayés par ces mesures dissuasives et inutilement coercitives. Si je voulais résumer d’une phrase mon propos, je dirai, comme Catherine Procaccia : « le mieux est souvent l’ennemi du bien ». Nous ne devons plus nous contenter de bonnes intentions, de ce qui semble superficiellement aller dans le bon sens. Nous devons au contraire entrer, selon la volonté gouvernementale – c’est en tout cas ainsi que je l’ai comprise –, dans l’ère de l’efficacité. C’est ce à quoi les membres de mon groupe aspirent. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)