Les interventions en séance

Droit et réglementations
François Zocchetto 29/04/2014

«Proposition de loi relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen d’une condamnation pénale définitive»

M. François Zocchetto

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il faut avant tout constater que la révision des condamnations pénales reste d’une rareté extrême. Depuis l’entrée en vigueur de la loi de 1989, qui résultait, comme le texte qui nous est soumis cette après-midi, de l’initiative parlementaire, seules neuf condamnations criminelles ont été révisées. Neuf révisions seulement en vingt-cinq ans ! On peut s’en féliciter. Toutefois, il est permis de douter qu’il n’y ait eu, dans notre pays, que neuf erreurs judiciaires en un quart de siècle. En réalité, on le sait, plusieurs obstacles s’opposent à la mise en œuvre de la procédure de révision. La présente proposition de loi apporte de nombreuses améliorations à ces procédures, par l’instauration d’une juridiction unique chargée indifféremment des demandes en révision et en réexamen. En matière de révision, le présent texte apporte également des modifications, par le renforcement des conditions d’exercice de ce recours. Une étape importante a été franchie en 1989. La loi alors adoptée a, d’une part, judiciarisé l’intégralité de la procédure, et, d’autre part, affirmé très clairement le principe selon lequel la révélation d’un fait nouveau ou d’un élément inconnu au jour du procès peut être prise en compte non seulement lorsqu’elle démontre l’innocence, mais aussi lorsqu’elle fait naître un doute sur la culpabilité. Tous les orateurs qui viennent de se succéder à cette tribune l’ont souligné, c’est là un progrès considérable. Globalement, il faut bien le reconnaître, depuis les premiers textes datant du début du XIXe siècle jusqu’à la dernière loi, adoptée en 2000, laquelle renforce la protection de la présomption d’innocence, la procédure de révision a été continuellement élargie. La présente proposition de loi, inscrite à l’ordre du jour du Sénat sur l’initiative du RDSE, est issue du travail de qualité effectué par les députés Georges Fenech et Alain Tourret. Pourtant, la tâche est plus délicate qu’il n’y paraît au premier abord. Il convient en effet de concilier deux impératifs contraires, mais inhérents au fonctionnement même de notre système judiciaire : d’un côté, le souci de la vérité, c’est-à-dire cette impérieuse nécessité de lutter contre l’erreur judiciaire et de savoir la réparer lorsqu’elle survient, ce qui n’est pas simple ; de l’autre, le respect de l’autorité de la chose jugée. Nous, législateurs et démocrates, le savons bien : une fois que la justice s’est prononcée sur le sort d’un accusé ou d’un prévenu, l’autorité de la chose jugée constitue un principe essentiel au maintien de l’ordre juridique. C’est un pilier essentiel de l’État de droit, mais aussi une garantie de la paix sociale. Cependant, dans certains cas, ce principe ne peut être invoqué par les magistrats comme un obstacle au réexamen d’une affaire, car il n’est pas de pire injustice que de voir un innocent en prison. C’est de la capacité de notre système judiciaire et de notre devoir de législateur de reconnaître et de réparer nos propres erreurs et nos défaillances, qu’elles soient ou non imputables à un juge, à un enquêteur ou à un fait extérieur. Cet enjeu est essentiel : de ce dispositif dépend la confiance que chacun de nos concitoyens place dans la justice de notre pays.
Nous souscrivons donc sans réserve au constat dressé par les auteurs de cette proposition de loi, quant à la nécessité, également soulignée chaque année dans les rapports de la Cour de cassation, de réformer la procédure actuelle dans un sens favorable aux victimes d’erreurs judiciaires.
Le principal apport de cette proposition de loi, c’est la création d’une juridiction unique de révision et de réexamen. Aujourd’hui, trois organes de révision coexistent – je n’y reviendrai pas. La création d’une cour unique présente à ce titre plusieurs avantages. Premièrement, elle ne remet pas en cause la pertinence de la distinction entre le recours en révision et le recours en réexamen consécutif au prononcé d’un arrêt de la CEDH. Deuxièmement, dans un souci d’impartialité, elle permet de mieux séparer le stade de l’instruction et celui du jugement, en distinguant deux formations. Troisièmement, garantir l’effectivité du recours en révision, c’est donner à la justice les moyens d’instruire les demandes en révision tout en veillant à encadrer suffisamment ces nouveaux droits dans le respect du contradictoire. Dans les faits, la Cour de cassation se heurte aujourd’hui à de nombreux obstacles, lorsqu’elle est chargée d’instruire les demandes en révision de nature criminelle. À cet égard, le présent texte comprend des mesures de bon sens, permettant de lever certains d’entre eux. Je pense notamment à la systématisation de l’enregistrement sonore des débats. Notre rapporteur, Nicolas Alfonsi, a accompli un travail très important sur le texte qui nous est parvenu de l’Assemblée nationale. Je tiens à mon tour à saluer la qualité du rapport qu’il a rédigé, ainsi que la pertinence des nombreux amendements qu’il nous a proposés en commission, lesquels ont été adoptés sans difficulté. Néanmoins, j’insisterai sur l’une des modifications auxquelles nos débats de commission ont été consacrés : il s’agit de la notion de « doute ». Dans notre droit positif, le fait nouveau ou l’élément inconnu doit être « de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné ». Le texte adopté par les députés indique, quant à lui, que le fait nouveau ou l’élément inconnu est « de nature à établir l’innocence du condamné, ou à faire naître le moindre doute sur sa culpabilité ». Il s’agit évidemment de propositions tout à fait différentes, même si les nuances peuvent paraître mineures. Nous avons précisément souhaité les examiner de près, et notre commission des lois a considéré, à juste titre, que l’expression « moindre doute » n’était pas satisfaisante d’un point de vue juridique et a donc adopté un amendement de notre rapporteur tendant à supprimer le mot « moindre ». L’alternative est élémentaire : il y a un doute ou il n’y en a pas. Le « moindre doute » n’existe pas en matière pénale. Avec l’ajout de cet adjectif, nos collègues députés avaient probablement souhaité inciter les magistrats à se montrer moins sévères qu’ils ne sont supposés l’être actuellement dans leur appréciation du doute. Au contraire, il nous paraît préférable de les laisser décider souverainement si le fait nouveau fait naître ou non un doute dans leur esprit quant à la culpabilité du condamné. Ainsi, mes chers collègues, ces précisions étant ajoutées, le groupe UDI-UC votera cette proposition de loi, qui procède d’une évolution nécessaire des procédures de révision et de réexamen, en espérant que les apports importants du Sénat soient préservés et figurent effectivement dans le texte qui sera définitivement adopté par le Parlement. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)