Les interventions en séance

Droit et réglementations
29/02/2012

«Projet de loi, relatif à la majoration des droits à construire »

M. Pierre Jarlier

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, décidément, cette période pré-électorale ne nous permet pas de légiférer dans de bonnes conditions, c’est le moins que l’on puisse dire ! La situation est même surréaliste, voire caricaturale. Moins de quinze jours après la déclaration du Président de la République du 29 janvier, le projet de loi relatif à la majoration des droits à construire a été présenté en urgence à l’Assemblée nationale. Les élus, comme beaucoup de socioprofessionnels, ont regretté cette précipitation et le manque de concertation en amont de l’élaboration d’un texte qui vise à modifier considérablement les compétences fondamentales des communes, à savoir le droit des sols et l’urbanisme, sans parler des conséquences immédiates qu’ eues l’annonce de cette mesure : blocage des promesses de vente des terrains dans l’attente d’une majoration des droits à construire, mais surtout augmentation des prix, avec la perspective d’une belle inflation du coût du foncier ! Aujourd’hui, moins d’une semaine après la discussion du texte à l’Assemblée nationale et seulement vingt-quatre heures après son examen en commission au Sénat, c’est un autre sujet qui nous est soumis en séance publique. J’en veux pour preuve que même le titre du projet de loi initial a été modifié et qu’il n’est plus question de droits à construire dans le texte issu des travaux de la commission. Certes, l’aliénation du domaine privé de l’État à un prix inférieur au marché lorsqu’elle est destinée à permettre la réalisation de programmes de logements au moins pour partie sociaux est une démarche positive, mais elle ne constitue qu’une réponse partielle à la crise du logement, comme d’ailleurs l’augmentation des droits à construire initialement prévue par le projet de loi. En réalité, au-delà de cette modification profonde apportée au texte, c’est une promesse électorale qui s’est substituée à une autre, et je pense sincèrement que le Parlement ne peut légiférer efficacement en suivant le rythme des déclarations successives des candidats à l’élection présidentielle. Cela étant dit, la France compte aujourd’hui 3,5 millions de demandeurs de logement, dont 1,4 million attendent l’attribution d’un logement social. Monsieur le ministre, je profite de cette occasion pour vous dire que cette situation concerne aussi les habitants de l’Auvergne. Il sera d’autant plus difficile de répondre à leurs attentes en matière de logements sociaux que nos organismes d’HLM ont subi un prélèvement de 2 millions d’euros au titre de la fameuse péréquation, parfaitement injuste, qui a été mise en place l’an dernier. Nous approuvons donc l’objectif de créer rapidement des logements. La densification, donc l’augmentation des droits à construire, peut constituer une réponse adaptée si elle satisfait à plusieurs conditions : être en cohérence avec le projet urbain défini par les élus ; reposer sur une base juridique solide pour éviter les contentieux, déjà nombreux en matière de droit des sols ; faire l’objet d’une concertation avec la population, dans le respect de notre Constitution ; enfin, être mise en œuvre dans le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales et de leur compétence en matière de droit des sols. Force est de constater que ces conditions ne sont pas vraiment réunies dans le cadre du dispositif qui nous a été proposé, et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, ce dispositif est applicable de façon arbitraire sur l’ensemble du territoire, et ignore ainsi les spécificités locales. De ce fait, il remet en cause les choix opérés par les assemblées délibérantes à l’issue d’une réflexion collective sur le développement de leur territoire, qu’il s’agisse de la forme urbaine, de la mixité sociale ou de l’habitat. Nous sommes là bien loin de la politique d’urbanisme de projet que vous préconisez, monsieur le ministre ! En deuxième lieu, le dispositif impose, avant même que l’organe délibérant ne décide du champ d’application de la mesure, une concertation avec les habitants sur la base d’une note d’information, alors que c’est précisément l’inverse qu’il faudrait faire. À l’évidence, la pression d’intérêts particuliers risque de s’exercer, en l’absence de définition préalable d’un cadre compatible avec l’esprit du projet urbain défini dans le PLU. Nous sommes, là encore, bien loin de l’urbanisme de projet. En troisième lieu, cette mesure ne contraindra pas les collectivités qui, par principe, se prononceront contre, non pas parce qu’elles ont déjà mis en œuvre la densification sur leur territoire, comme le permet déjà le droit existant, mais parce qu’elles sont fondamentalement opposées à toute contrainte de ce type, malgré le manque patent de logements, notamment sociaux, sur leur territoire. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes qui n’appliquent pas l’article 55 de la loi SRU. Ce sont pourtant ces communes que le texte devrait viser spécifiquement. La mesure sera donc vraisemblablement inefficace là où elle devrait être appliquée en priorité. Ce constat m’amène à proposer à notre assemblée l’adoption d’un article additionnel qui tend à réintroduire sous une autre forme le principe de la majoration des droits à construire dans le projet de loi. Il s’agit d’abord de cibler la mise en œuvre de la majoration des droits à construire sur les secteurs tendus qui connaissent un déséquilibre manifeste entre l’offre et la demande de logements. Je propose ensuite d’instaurer dans ces secteurs un débat préalable obligatoire en conseil municipal pour définir les modalités de cette densification. Une telle mesure serait doublement utile. D’une part, la tenue de ce débat assurerait la cohérence de la majoration des droits à construire avec le projet urbain, notamment avec les objectifs fixés à l’article L. 121-1 du code de l’urbanisme, qui est le pivot du projet d’aménagement et de développement durable, le PADD, en matière de respect des objectifs de développement durable, de mixité sociale, de diversité des formes urbaines. D’autre part, cela permettrait que le dispositif puisse concerner toutes les communes situées en secteur tendu sans qu’une délibération puisse s’y opposer, dès lors que son champ d’application serait défini par l’organe délibérant. Ainsi, la concertation pourrait se dérouler sur la base d’objectifs fixés par les élus. Cette méthode aurait de surcroît l’avantage de privilégier l’intérêt général de la commune et de la prémunir contre la pression des intérêts particuliers qui ne manquera pas de se manifester si le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale est rétabli. Enfin, le principe de spécialité des compétences des établissements publics de coopération intercommunale n’est pas compatible avec la possibilité, pour une commune, de prendre une décision contraire à celle de l’EPCI compétent en matière d’urbanisme. Une telle possibilité est pourtant prévue dans le texte initial ; il faut évidemment supprimer cette disposition. Monsieur le ministre, mes chers collègues, quelle que soit l’issue de nos débats de ce soir sur une approche trop réductrice et segmentée de la crise du logement dans notre pays, il est temps de placer le logement au rang de grande cause nationale et de préparer à ce titre un grand projet de loi sur ce sujet, ainsi que sur la mobilisation du foncier, intégré dans un nouveau plan de cohésion sociale. Je forme le vœu que ce soit une priorité de la prochaine législature, quel que soit le résultat des élections à venir. (Applaudissements sur les travées de l’UCR, du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)