Les interventions en séance

Budget
Vincent Delahaye 29/02/2012

«Projet de loi de finances rectificative pour 2012-Nouvelle lecture»

M. Vincent Delahaye

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je voudrais, à l’occasion de cette nouvelle lecture du projet de loi de finances rectificative pour 2012, poser trois questions. La multiplication des questions préalables qui empêchent le débat est-elle une bonne chose pour le Sénat ? Je n’ai pas encore répondu à cette question ! (Sourires.) Sur le fond, ce projet de loi de finances rectificative va-t-il dans le bon sens ? Enfin, pourquoi ne pas retenir les propositions que j’avais faites lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2012 ? Tout d’abord, cette nouvelle lecture résonne étrangement dans cet hémicycle. En effet, le Sénat, sur proposition de la majorité de notre commission des finances, a préféré éluder la discussion de ce premier projet de loi de finances rectificative pour 2012 en déposant une motion tendant à opposer la question préalable. Une fois de plus, nous devons nous prononcer sur une motion de procédure, bref, sur une énième manière de nous dédouaner de notre responsabilité et de notre rôle de parlementaire, qui est, je le rappelle, de débattre, d’amender, de voter ou non la loi... Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Nous avons été privés du débat sur le projet de loi de finances pour 2012, nous avons été privés du débat sur le plan de sauvegarde des finances publiques, et nous serons manifestement privés du débat sur le présent texte une fois de plus ! (M. Jean-Marc Todeschini s’exclame.) Autant dire que nous nous défaussons sur nos collègues députés ! Ce procédé n’est pas acceptable ! Les auteurs de la question préalable déposée sur ce texte mettent en avant l’absence d’urgence comme de nécessité des dispositions en cause. Je m’étonne de ces arguments : de fait, la compétitivité de notre économie exige des mesures d’urgence. Quant aux dispositions relatives à l’équité fiscale, à la lutte contre la fraude, à la solidarité européenne, qui font également partie de ce texte, elles me semblent de nature à être adoptées dès maintenant. On ne peut faire grief au Gouvernement de travailler jusqu’au bout et de proposer des mesures susceptibles de renforcer la compétitivité de notre économie et de créer des emplois. J’ai écouté avec attention les propos de notre rapporteur général. C’est à croire que ce n’est jamais le bon moment pour aborder des sujets cruciaux. Nous ne parlons, somme toute, que de l’orientation à donner aux structures de notre économie pour les prochaines années : rien que cela ! Eh bien, je suis de ceux qui pensent que non, la croissance et l’activité n’attendent pas les élections ! Nos concitoyens continuent de travailler, de produire et de consommer. On n’arrête pas d’un trait la machine économique. Du reste, celle-ci a cruellement besoin d’une révision d’ensemble et de courageuses réformes structurelles, au regard de notre déficit commercial abyssal et d’un taux de chômage inacceptable. Jusqu’à la dernière minute, le Gouvernement reste légitime à gouverner et à réformer. C’est là la substance même de ce que l’on nomme la continuité de l’État : il n’y a pas de vacance du pouvoir, surtout pas en pleine crise économique. Alors que nous ne sommes même pas assurés d’éviter la récession en 2012, il est irresponsable d’affirmer qu’il est trop tard pour réformer. Au contraire, il faut poser les véritables questions, quel que soit le calendrier. Les citoyens trancheront au printemps prochain. Pour l’heure, notre devoir est d’assumer notre rôle institutionnel plutôt que d’apporter de l’eau au moulin de ceux qui appellent de leurs vœux la disparition du Sénat. Or il est regrettable de constater que, depuis le mois d’octobre dernier, le Sénat n’assume plus véritablement ni totalement son rôle institutionnel. Le Sénat ne saurait être réduit à une simple caisse de résonance de l’opposition à la majorité présidentielle ! Cette attitude mine profondément la légitimité de notre institution et celle de nos mandats. (Mme Annie David s’exclame.) Nous ne pouvons pas nous permettre de devenir un simple frein aux rouages institutionnels de la République. Sous la IIIe République, on disait du Sénat qu’il offrait « le temps de la réflexion ». Aujourd’hui on aurait plutôt tendance à croire qu’il est devenu le « lieu de l’expédition ». (M. David Assouline s’exclame.) Mais n’oublions pas le fond du présent texte. Il s’agit de poser les premiers jalons d’une refondation structurelle de notre économie. Et le succès de cette entreprise passe par trois axes majeurs : stimuler notre compétitivité, renforcer l’équité de notre système fiscal et consolider nos outils pour lutter contre la crise des dettes souveraines. Les différentes dispositions de ce collectif budgétaire vont dans le bon sens, indéniablement. L’OCDE a d’ailleurs salué récemment les différentes réformes entreprises par la France au cours des dernières années, à l’heure même où la Banque mondiale se montre de plus en plus pessimiste quant à l’avenir du régime de croissance de la Chine. Le monde change plus vite qu’on ne pouvait le croire, et la France a son rôle à jouer dans le siècle à venir. Certes, la TVA antidélocalisation aurait pu être mise en œuvre plus tôt, elle aurait dû être plus forte car, comme chacun sait, cette mesure ne produira ses effets qu’à moyen voire à long terme. Certes, la taxe sur les transactions financières n’est pas assez forte et son assiette n’est pas encore européenne. Et pourtant le présent texte a le mérite de mettre en œuvre ces mesures, que les centristes appellent de leurs vœux, dans leur grande majorité, et depuis de nombreuses années ! À ce titre, je salue le travail accompli par notre collègue Jean Arthuis, qui s’est imposé comme un pionnier majeur de cette modernisation tant attendue. Ce texte a également l’intérêt de créer une banque de l’industrie, permettant de renforcer le soutien dont les petites et moyennes entreprises ont besoin pour se développer et pour embaucher. Par ailleurs, le présent projet de loi de finances rectificative permet de renforcer l’apprentissage, voie essentielle vers l’emploi pour tous les jeunes qui cherchent à fonder leur avenir sur des bases solides. Oui, mes chers collègues, le sentier de la croissance, la voie de la création d’emplois en nombre ne se dessineront qu’à force de réformes structurelles, et non en arrosant d’argent public le sable de nos déficits. Si la relance budgétaire assurait nécessairement la croissance économique, notre taux de croissance serait bien supérieur à 2 % ! Or il n’en est rien. À mes yeux, ce texte trace la voie de mesures structurelles qu’il faudra renforcer dans les mois à venir. En outre, ce projet de loi de finances rectificative acte, malheureusement, une hausse sensible de notre déficit public. Cette augmentation est liée à la prise en compte de la solidarité à l’égard de la zone euro – 6,5 milliards d’euros supplémentaires, tout de même ! –, qui est la conséquence du laxisme budgétaire des pays européens, y compris de la France. (Mme Gisèle Printz manifeste son exaspération.) Je crains que nous ne soyons qu’au début d’un processus appelé à se poursuivre et à exercer ses effets néfastes sur nos finances publiques pendant un bout de temps ! De fait, il faudra bien payer nos dettes même si certains – y compris dans cet hémicycle – persistent dans l’illusion que l’on peut emprunter à perte de vue. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Cette illusion est dangereuse pour nos compatriotes, à qui, même en période électorale, il ne faut pas faire croire que l’on peut continuer impunément à vivre au-dessus de ses moyens. Le texte dont nous discutons aujourd’hui corrige également la prévision de croissance qui, en définitive, avait été retenue à l’automne dernier. J’en viens aux deux propositions que j’avais alors formulées sur ce point, et que je renouvelle aujourd’hui. Tout d’abord, j’avais proposé d’adopter la prévision de croissance issue du consensus des économistes – celle-ci s’établissait alors entre 0,9 % et 1 %   – diminuée, par mesure de prudence, de 0,5 %. Vous le remarquerez, si cette proposition avait été retenue, nous n’aurions pas à revenir aujourd’hui sur cet élément majeur pour l’élaboration de nos prévisions budgétaires. La réalité nous a rattrapés : force est de constater que nous n’avons pu faire l’impasse sur un ajustement à la baisse de nos prévisions en matière de croissance et donc de recettes fiscales à périmètre constant. Par ailleurs, nous devrons tôt ou tard – mais le plus tôt sera le mieux ! – opérer une importante réduction de nos dépenses publiques. Là aussi, il nous faut en finir avec cette trop grande timidité qui nous empêche de prendre le problème à bras-le-corps. Si nous réduisons la dépense publique de 1 euro pour chaque euro d’impôt supplémentaire, comme je l’ai proposé, il y a fort à parier que nous trouverons une clef de réduction de notre déficit structurel. Madame le ministre, mes chers collègues, la crise n’est pas terminée, en dépit des conditions plus favorables dont nous disposons actuellement pour financer notre dette. Le présent collectif budgétaire ne répondra pas à tous les défis posés à notre pays, à nos entreprises et à notre population active. Pourtant, il désigne une voie nouvelle qui mérite d’être explorée, mais qui, avant tout, aurait mérité d’être débattue ! Je regrette que la majorité sénatoriale nous prive de ce débat fondamental, et même si, à mon sens, les mesures qui nous sont proposées sont à la fois trop tardives et trop peu fortes, sur le fond, ce texte va incontestablement dans le bon sens. C’est pourquoi le groupe de l’Union centriste et républicaine votera, dans sa grande majorité, contre la motion tendant à opposer la question préalable qui nous est soumise aujourd’hui. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)