Les interventions en séance

Budget
28/11/2012

«Projet de loi de finances pour 2013-Article 44»

M. Jean Arthuis, rapporteur spécial de la commission des finances

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie Marc Massion, qui a rappelé les aléas qui affectent le budget 2013 de l’Union européenne. Je précise que je partage la plupart des observations qu’il a formulées. J’y apporterai cependant quelques nuances, et je n’en arriverai pas à la même conclusion que lui. Je veux tenter, mes chers collègues, de vous en donner les raisons afin que, peut-être, je puisse emporter la conviction de certains d’entre vous. Je ferai d’abord une remarque sur la structure du budget communautaire. Il s’agit pour caricaturer et comme nous l’a indiqué à Bruxelles, voilà environ un mois, le président de la commission des budgets du Parlement européen, Alain Lamassoure, de la même structure d’ensemble depuis trente ans, en recettes comme en dépenses. Et le pire est que l’on compte continuer cette partie de poker pour la programmation 2014-2020, avec la reconduction, en gros, de la politique agricole commune, des fonds structurels, des rabais et des corrections, chaque État membre défendant ses positions habituelles en fonction de ses intérêts financiers bien compris … Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Au moment où la dépense publique doit plus que jamais répondre de son efficacité, une telle inertie est folie. Mes chers collègues, le budget européen est devenu une cagnotte, mais distribuer de l’argent ne suffit pas à faire une politique. Se rend-on bien compte que les subventions versées au titre de la PAC tendent à transformer certains de nos agriculteurs en « rentiers de la terre » et vont à l’encontre d’une politique cohérente entre les différentes filières de nos productions agricoles ? Nous allons importer 40 % de la volaille consommée en France, 35 % de la viande porcine et 20 % de la viande bovine. Qu’est-ce à dire sinon que l’élevage connaît une diminution de sa production et qu’on va le délocaliser, comme le seront aussi, par voie de conséquence, les activités agroalimentaires, avec les emplois qui s’y attachent ! Ce processus est engagé. Est-ce le résultat que nous attendons de la PAC ? La flambée du prix des céréales et les conditions dans lesquelles sont attribuées les subventions conduisent à cet état de fait, manifestement contraire à nos objectifs de cohésion sociale et de développement économique. Se rend-on bien compte que les fonds structurels sont des « activateurs de dépense publique » en raison de leur fonctionnement par cofinancement des États membres ? La politique de cohésion a contribué au surendettement de nombreux États membres, dont la Grèce et l’Espagne ! Se rend-on bien compte que le système actuel des ressources propres n’est pas que complexe ? Il est opaque et injuste, avec le rabais britannique, les rabais sur ce rabais, les corrections sur la ressource propre TVA et, enfin, les chèques forfaitaires annuels. Le chèque britannique avait peut-être, à un moment donné, une justification par rapport à la PAC. Mais est-on conscient de ce que capte la Grande-Bretagne du fait de ses activités financières à la City ? Qu’est-ce qui justifie le maintien d’un tel chèque ? Ce système est, convenons-en, anti-communautaire ! Il perpétue des logiques nationales, au détriment de toute intégration politique.
Telles sont les remarques que je tenais à formuler au sujet de la structure du budget communautaire.
Permettez-moi maintenant d’évoquer la programmation budgétaire pour la période 2014-2020. Je rappelle que cette question est encore en débat puisque le Conseil européen des 22 et 23 novembre dernier n’a pas permis d’aboutir à un accord. Je note d’ailleurs que ce dernier était annoncé comme décisif parce qu’il avait précisément pour objectif d’en finir avec les négociations, en vue de parvenir – enfin ! – à un compromis. J’indique que les propositions de la Commission européenne sont, selon moi, inacceptables ; Marc Massion et moi-même en étions d’ailleurs déjà convenus voilà un an : alors que les propositions de la Commission étaient alors de 972 milliards d’euros de crédits de paiement sur sept ans, elles ont été portées, après avoir été actualisées le 6 juillet dernier pour tenir compte, essentiellement, de l’adhésion à venir de la Croatie à l’Union européenne, à 988 milliards d’euros au titre des crédits de paiement et à 1 025 milliards d’euros au titre des crédits d’engagement. Ces propositions ne sont pas sincères. En usant d’un premier artifice dans sa présentation, la Commission européenne minore les crédits qui seront mobilisés : elle communique en effet en euros constants, alors que seule une présentation en euros courants permettrait d’apprécier l’impact réel des propositions sur les contributions nationales. Ainsi, la réalité de l’augmentation de la dépense qui, chaque année, devra être réévaluée de l’inflation est volontairement masquée. J’observe que tous les États membres calculent leurs contributions en euros courants et qu’ils font de même avec leurs programmations pluriannuelles quand ils en élaborent. J’ajoute que, par un second artifice, la Commission européenne dissimule les tensions importantes que sa programmation exercera sur les finances des États membres : elle multiplie ainsi les débudgétisations incompréhensibles qui dégonflent artificiellement son projet. Non seulement sont maintenus hors budget général de l’Union européenne et hors cadre financier pluriannuel le Fonds européen de développement, le FED, avec 30 milliards d’euros prévus pour la période 2014-2020, ainsi que les mécanismes de stabilisation financière, mais, surtout, passeraient hors budget des politiques pourtant communautaires financées sous plafond dans le cadre actuel, comme le projet ITER ou le programme GMES. En euros courants, si l’on considère le périmètre classique de financement de l’Union européenne, auquel on ajouterait le FED et d’autres politiques débudgétisées, le total de la dépense serait de 1 191 milliards d’euros au titre des crédits de paiement et de 1 231 milliards d’euros au titre des crédits d’engagement, soit environ 200 milliards d’euros de plus que le projet initial de la Commission européenne. À cet égard, je vous invite, mes chers collègues, à regarder le graphique éloquent qui figure dans le rapport de la commission des finances. Bref, par des artifices de présentation et par des débudgétisations inacceptables, la Commission européenne formule un projet de programmation pour 2014-2020 qui constitue une entorse au principe de sincérité budgétaire. En outre, le niveau de dépenses proposé est tout simplement insoutenable, et il contredit notre stratégie de retour à l’équilibre. Or, contrairement à ce que laisse penser le travail de la Commission européenne, l’Europe ne peut pas se placer en dehors des efforts exigés en matière d’assainissement des finances publiques ; monsieur le ministre, ce n’est pas vous qui me démentirez… Elle doit plus que jamais dépenser mieux. À cet égard, je recommande un renforcement de la mise en œuvre vigilante du principe de subsidiarité, au regard duquel devraient être systématiquement examinés le budget, le fonctionnement et les politiques de l’Union européenne. Pour finir de vous convaincre, mes chers collègues, j’élargirai mon propos en parlant de la gouvernance de la zone euro. Dire que « le pire est passé », comme l’a affirmé il y a quelques semaines le Président de la République, François Hollande, relève de l’erreur d’appréciation ou, pis, d’une sorte de malhonnêteté.
Quoi qu’il en soit, c’est crier victoire un peu trop vite !
Le mécanisme européen de stabilité n’est pas un dispositif suffisant ; il appelle une gouvernance appropriée. Marc Massion l’a rappelé, l’union bancaire est un progrès prometteur. Mais, au moment où la Banque centrale européenne commence à se comporter en banque fédérale, elle attend son interlocuteur politique ! Le 6 mars dernier, j’ai remis un rapport au Premier ministre, dans lequel j’ai formulé quelques propositions, notamment la création d’un poste de ministre de l’économie et des finances, qui puisse prendre appui sur un véritable Trésor public européen, ainsi que la mise en place d’une capacité budgétaire de la zone euro. Nous ne pourrons pas éluder indéfiniment ces questions. En matière de contrôle prudentiel, il serait bon, monsieur le ministre, d’aller voir ce qui se passe du côté de Chypre. Peut-être aurons-nous quelques surprises : ce pays a demandé, au mois de juin dernier, une assistance financière. Soyons donc attentifs à ce qui nous attend. Pour le moment, on s’en tient à une sorte de window dressing, à de l’habillage de dispositions déjà adoptées, à l’image du plan de 120 milliards d’euros du Pacte pour la croissance et l’emploi annoncé par le Conseil européen le 29 juin 2012. En la matière, ma position est divergente de celle de Marc Massion : tout cela est très bien sur le plan rhétorique, mais, sur le fond, rien, strictement rien, n’a changé, monsieur le ministre ! L’euro a été jusqu’à aujourd’hui un anesthésiant, mais une monnaie ne suffit pas à faire un projet politique ! Jusqu’à quand allons-nous continuer à entretenir une illusion d’Europe ? Nous vivons sous sédatif, et si nous renonçons à reprendre sérieusement en main le projet politique européen, le réveil risque fort d’être très douloureux ! Il y a un an, lors du même débat, je vous avais fait part, mes chers collègues, de mon incompréhension à l’égard de la Commission européenne et du Conseil, qui ont laissé filer la Grèce dans une politique de trucage et de maquillage de ses comptes, transformant ainsi le pacte de stabilité et de croissance en un pacte de tricheurs et de menteurs.
Nous n’avons pas encore apporté de réponses politiques à ces errements ! Il y avait pourtant urgence ! Eh bien l’urgence est toujours là : le projet politique européen a besoin d’hommes pour le porter.
Pour conclure mon intervention, je plaiderai en faveur du rôle des parlements nationaux. Dans le système communautaire actuel, les parlementaires nationaux se limitent à autoriser un prélèvement sur les recettes de l’État. Nous ne débattons pas, mes chers collègues, du niveau de ce prélèvement, pas plus que nous débattons de l’usage qui en sera fait au travers des dépenses de l’Union européenne. Convenons-en, une telle situation n’est pas satisfaisante. Un budget dont les dépenses sont arrêtées par les autorités communautaires, mais dont 85 % des ressources restent dépendantes de décisions des parlements nationaux, porte atteinte au principe du consentement à l’impôt, essentiel dans une démocratie. Une plus grande reconnaissance du rôle des parlements nationaux paraît donc nécessaire. Nous devons, mes chers collègues, prendre toute notre place dans la réflexion en cours sur la réforme du budget communautaire et dans la coordination des finances publiques des États membres. Je propose, par exemple, que nous soyons appelés à voter dans le cadre de la loi de finances initiale non seulement notre contribution au budget communautaire, mais aussi la totalité de nos engagements à l’égard de la zone euro, à l’instar de notre contribution au mécanisme européen de stabilité, directement par apports en capital ou par « engagements hors bilan », soit respectivement 16,3 milliards d’euros et 126,4 milliards d’euros pour la France, pour un total de 142,7 milliards d’ici à 2016, ce qui représente 20 % du total des contributions. Lorsque survient un sinistre au sein de la zone euro, lorsqu’un État membre est en difficulté, c’est non pas le budget de l’Union européenne qui participe, mais les États membres qui inscrivent, dans leur loi de finances, leurs contributions respectives. Ce niveau de solidarité est sans commune mesure avec ce qui existe entre les membres de l’Union européenne. C’est pourquoi il nous faut une véritable gouvernance économique, financière et budgétaire de la zone euro. Je suggère aussi que les parlementaires nationaux de la zone euro soient représentés : ce serait l’amorce d’une seconde chambre dans l’Union européenne, qui aurait pour mission de surveiller et de contrôler la gouvernance de la zone euro. Il vient un moment où il faut savoir dire « non » ! Mes chers collègues, ce moment est venu ! Aussi, je vous invite à rejeter l’article 44 du projet de loi de finances pour 2013. Au moment où l’Europe reçoit le prix Nobel de la paix, elle devient le maillon faible de la croissance mondiale. Son budget et sa gouvernance doivent lui permettre d’assurer un rôle stratégique dans la guerre économique, afin de nous aider ainsi à sortir de la crise. Je voterai contre cette contribution, tout en sachant que cela ne changera rien : l’exercice auquel nous sommes conviés est parfaitement formel ! Toutefois, nous devons exprimer au moins nos ressentiments, nos attentes et notre impatience. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – M. Pierre Bernard-Reymond applaudit également.)