Les interventions en séance

Culture
28/10/2010

«Proposition de loi relative aux œuvres visuelles orphelines»

M. Jean-Jacques Pignard

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, lors de la réunion de la commission le 20 octobre, plusieurs intervenants ont déploré que l’étude de cette proposition de loi ait été perturbée par des débats d’une tout autre nature nous ayant contraints à des horaires démentiels.
Ainsi, pour ma part, délégué par mon groupe pour assurer en séance les permanences de fin de semaine, je n’étais pas à Paris ce mercredi et je n’ai pas pu assister aux travaux de notre commission. Je n’en ai pas moins lu attentivement le texte proposé et les arguments développés par le rapporteur, et ils m’ont convaincu.
En les reprenant à mon compte, j’ai bien le sentiment d’enfoncer une porte ouverte et de ne rien vous apprendre. Mais si répétition il y a, elle ne prolongera que de quelques minutes ce débat. On sera loin des 145 heures du débat sur les retraites, dont nous sortons épuisés, mais vivants !
Comme vous tous, je me félicite de cette initiative, qui honore leurs auteurs et répond, fût-ce partiellement, aux attentes des professionnels. Néanmoins, il faut se garder de deux écueils à propos des œuvres orphelines : l’angélisme et la précipitation.
Attention d’abord à un certain angélisme ! On s’apitoie généralement sur un orphelin... Mais le fait de s’apitoyer sur lui ne doit pas masquer la diversité des situations et leurs complexités : il y a de vrais orphelins, des demi-orphelins et parfois même des faux orphelins.
La proposition de loi donne une définition : « L’œuvre orpheline est une œuvre dont le ou les titulaires des droits ne peuvent pas être déterminés, localisés ou joints, en dépit de recherches appropriées. »
Trois éléments caractérisent cette définition.
Il s’agit, d’abord, de l’existence d’un ou de plusieurs titulaires de droits. Cette précision est importante, car une œuvre peut être collective ou composite. Dans ce cas, il peut être possible de ne localiser qu’une partie des auteurs, ce qui rend l’œuvre partiellement orpheline.
Il s’agit, ensuite, de l’impossibilité de déterminer, de localiser ou de joindre ces titulaires.
Il s’agit, enfin, de la preuve que des recherches diligentes ont été effectuées.
Sans anticiper sur l’examen de l’amendement, je précise que je partage totalement l’avis selon lequel la phrase retenue est floue. En revanche, l’expression « avérées et sérieuses », recommandée par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, semble adaptée.
En clair, pour nous garder de l’angélisme, disons clairement qui est orphelin, qui ne l’est qu’à moitié et qui ne l’est pas du tout.
Le texte de la proposition de loi ne traitant pas ce sujet, ce serait aux sociétés de gestion collective de l’apprécier.
Il apparaît donc nécessaire qu’une instance paritaire représentative des auteurs et des utilisateurs soit chargée de définir les critères.
Gardons-nous aussi d’une certaine précipitation. La rédaction des articles 2 et 3 soulève plusieurs difficultés. Tout d’abord, leur champ d’application couvre non seulement les photographies, comme pourrait le laisser supposer l’exposé des motifs, mais aussi un ensemble d’œuvres protégées.
Deux remarques peuvent être formulées :
Premièrement, outre le fait que la proposition de loi aurait pu mentionner la notion d’image fixe, l’étendue du champ paraît large au regard du caractère dérogatoire du dispositif proposé. Par ailleurs, il n’a pas été constaté de phénomène d’orphelinat, par exemple pour des œuvres relevant de l’architecture ou de la peinture.
Des questions telles que le reversement des droits en cascade qui pourraient se révéler nécessaires n’ont pas été tranchées.
Deuxièmement, la commission estime qu’il serait prudent d’appréhender toutes les questions relatives aux œuvres orphelines pour les secteurs de l’écrit et de l’image fixe, mais qu’il serait évidemment prématuré de vouloir l’étendre dès à présent au secteur de l’écrit.
Par ailleurs, le fonctionnement des sociétés de perception et de répartition des droits, les SPRD, paraît aussi confus et dangereux. Elles seraient à la fois juge et partie. Rien ne précise dans quelles conditions seraient délivrées les autorisations d’exploitation.
Faut-il enfin trancher aujourd’hui, alors qu’une directive européenne est annoncée pour la fin du mois prochain ? J’entends bien le scepticisme de certains sur l’efficience de cette date, mais si la directive est effectivement publiée le 23 novembre, comme l’assure notre rapporteur et comme le laisse entendre le ministre, il ne serait pas sage de vouloir anticiper et de nous précipiter.
L’article 2 est intimement lié à l’article 3. Dès lors que l’un est supprimé, si c’est le cas, l’autre tombera automatiquement.
Néanmoins, sur le fond, je rejoins la commission lorsqu’elle suggère que les sommes collectées au titre de l’exploitation des œuvres orphelines soient affectées à l’amélioration des conditions de recherche des ayants droit.
Mais, monsieur le ministre, je ne suis pas tout à fait insensible au souhait exprimé par certains qu’une partie de ces sommes aille aussi au soutien au spectacle vivant, à la création, la diffusion ou la formation. Alors que la crise nous touche tous, y compris les artistes, il s’agirait pour les consommateurs d’une brise légère qui leur apporterait un peu d’air frais.
Mes chers collègues, vous l’avez bien compris, le groupe de l’Union centriste suivra la commission dans ses préconisations.
À l’instar de Mme Blandin, je n’épuiserai pas le temps de parole qui m’était imparti, puisque l’essentiel de ce que je voulais dire a déjà été exprimé.
Ainsi, je ne retarderai pas le moment du vote. Surtout, cela permettra à David Assouline de se coucher un peu plus tôt ce soir, lui qui se plaignait en commission du fait que la longueur de certaines séances publiques nocturnes avait quelque peu perturbé l’examen par la commission de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)