Les interventions en séance

Droit et réglementations
Yves Détraigne 28/10/2010

«Proposition de loi organique visant à interdire le cumul du mandat de parlementaire avec l՚exercice d՚une fonction exécutive locale»

M. Yves Détraigne

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi organique que nous examinons soulève une question dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est marquée par l’ambivalence.
D’un côté, nombre d’élus qui prônent une réglementation plus stricte des cumuls de mandats sont souvent eux-mêmes en situation de cumul. D’un autre côté, les électeurs, dont on ne cesse de nous dire qu’ils ne veulent plus d’élus cumulards, n’hésitent pas, à chaque rendez-vous électoral, à donner la préférence à des candidats qui exercent déjà des fonctions électives, et qu’ils vont donc placer consciemment en situation de cumul.
Oserai-je dire que se trouve, parmi les cosignataires de cette proposition de loi, un collègue qui a débuté sa campagne pour les élections sénatoriales en adressant un courrier à tous les maires de son département pour leur annoncer que, s’il était élu sénateur, il resterait président du conseil général. Eh bien, cela ne l’a pas empêché d’être élu...
D’ailleurs, si j’ai bonne mémoire, il me semble que la presse s’est largement fait l’écho, au mois de mai dernier, d’un débat entre le responsable d’un grand parti politique et les parlementaires de son groupe : ce responsable voulait imposer la règle du non-cumul des mandats pour les prochaines élections sénatoriales, et les sénateurs d’expliquer – mais comment le leur reprocher ? – que, s’ils avaient été élus à la Haute Assemblée, c’était dans bien des cas parce qu’ils exerçaient des responsabilités exécutives locales.
Je ne dis pas cela pour montrer du doigt tel ou tel de nos collègues, parce que je suis de toute façon convaincu que, si le débat était né dans un autre parti politique, les réactions auraient été les mêmes. Pour moi, il s’agit de souligner que le problème est beaucoup plus complexe que ne pourrait le laisser penser cette proposition de loi, qui se contente de deux articles constitués chacun d’une seule phrase.
À mon sens, dès lors que le rôle constitutionnel du Sénat est de représenter les collectivités territoriales de la République, il est indispensable que les sénateurs puissent – j’insiste sur le fait qu’il ne s’agit que d’une possibilité – cumuler leur mandat de parlementaire avec un mandat local.
Vous penserez peut-être, en m’entendant dire cela, que j’ai mal lu la proposition de loi. Non, je l’ai soigneusement étudiée et je sais qu’elle interdit le cumul d’un mandat de parlementaire, non pas avec un mandat d’élu local, mais seulement avec l’exercice d’une fonction exécutive locale. Toutefois, je suis de ceux qui considèrent que l’on connaît mieux la réalité d’une collectivité territoriale, qu’on mesure mieux la complexité des questions qu’elle a à régler, ainsi que les contraintes auxquelles est confrontée l’action locale, lorsqu’on est maire, particulièrement maire d’une petite commune, que lorsqu’on est simple conseiller municipal.
Je crois même que le maire d’une petite commune de quelques centaines d’habitants connaît parfois mieux les réalités de la gestion communale et les attentes de sa population qu’un maire d’une grande ville ou qu’un président d’une grande agglomération, tout simplement parce que le maire d’une petite commune est directement au contact de ses concitoyens, des administrations et entreprises avec lesquelles travaille sa commune, qu’il connaît personnellement les procédures à suivre pour mener les dossiers à bien, alors que l’exécutif d’une grande collectivité est souvent entouré d’un cabinet et de services qui l’isolent de ces réalités et qu’il traite surtout les aspects politiques de son mandat local.
Je pense, par ailleurs, que le principal intérêt du débat au Parlement – et sa justification –, c’est de permettre la confrontation entre une expérience réelle du terrain et une approche souvent très juridique – et parfois, disons-le, assez théorique – des questions.
Je ne dis pas cela pour critiquer les collaborateurs de M. le ministre, car je suis moi-même issu de la même école que nombre d’entre eux. Mais je considère que les parlementaires savent d’autant mieux ce qu’on peut mettre ou non dans une loi, ce qu’on peut faire ou non sur le terrain qu’ils exercent des responsabilités d’élus locaux. Rien ne peut remplacer l’expérience du terrain, particulièrement au Sénat.
Pour autant, je ne considère pas que tout va très bien et qu’il n’y a rien à changer aux règles existantes en matière de cumul. Je pense simplement qu’on ne peut pas limiter la question du cumul à celle du cumul entre un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale.
Certaines responsabilités, dont on ne parle pratiquement jamais dans cette réflexion sur le cumul des mandats, sont pourtant aussi prenantes, sinon plus, pour un élu que la responsabilité d’un exécutif local, surtout si c’est celui d’une petite commune. Je pense notamment que l’on peut se trouver dans une situation proche du conflit d’intérêts – notre collègue Jacques Mézard y a fait allusion – de par les fonctions professionnelles ou les responsabilités non électives que l’on a le droit d’exercer tout en étant parlementaire.
Cela pose certainement, au regard de la démocratie, plus de problèmes que le cumul d’un mandat d’élu local avec celui de parlementaire.
Par ailleurs, si l’on veut interdire à tout responsable d’un exécutif local qui a dû abandonner ses activités professionnelles pour exercer son mandat d’être en même temps parlementaire, il faudra se poser de nouveau la question du statut de l’élu, à moins que l’on ne souhaite voir plus d’agents de la fonction publique et de retraités qu’aujourd’hui exercer les fonctions de maire.
Force est donc de constater que le problème est sensiblement plus complexe et plus large que ne le donne à penser cette proposition de loi organique.
Le groupe de l’Union centriste, dans sa grande majorité, votera la motion de renvoi en commission proposée par M. le rapporteur, tout en souhaitant que ce renvoi ne soit pas synonyme d’enterrement de la question. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’Union centriste.)