Les interventions en séance

Droit et réglementations
28/04/2011

«Proposition de loi instituant « Une journée nationale de la laïcité »»

Mme Roselle Cros

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la laïcité est l’un des principes fondamentaux de notre République. C’est une évidence que nous partageons avec les auteurs de la proposition de résolution qui nous est soumise. Affirmée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, elle a aujourd’hui valeur constitutionnelle. La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État est l’un des textes républicains les plus fondateurs de notre législation. Notre collègue Claude Domeizel nous a fait un rappel historique complet et fort intéressant de la laïcité. Cependant, mes chers collègues, depuis 1789 et même depuis 1905, les temps ont changé. Le contexte passionné et très conflictuel de l’époque est révolu. Nous n’en sommes plus à devoir batailler pour affirmer ou réaffirmer la séparation des églises et de l’État. Que les auteurs de la proposition de résolution le veuillent ou non, la laïcité est, fort heureusement, un acquis que nul ne veut vraiment remettre en cause. Dans l’exposé des motifs, on nous explique de manière succincte, allusive et, il faut bien le dire, un peu mystérieuse que « des tentatives de remise en cause, de plus en plus distinctes, ont été observées ». C’est bien sur ce constat que nous divergeons : non, il n’y a pas, à nos yeux, de contestation sérieuse du principe de la laïcité. Il est vrai que certains faits divers ont pu être montés en épingle par les médias, que certains débordements ont pu, au prix d’une certaine exagération, être interprétés comme des remises en cause, que des questions ont pu être soulevées à l’occasion de l’occupation d’espaces publics ou lors de discussions sur le respect de prescriptions alimentaires de nature religieuse dans les repas des cantines scolaires. Mais les polémiques sont retombées naturellement, sans devenir de réels enjeux nationaux, comme en témoigne la faible mobilisation qu’a suscitée le dernier débat organisé sur le thème de la laïcité. Est-ce bien notre rôle de parlementaires que de raviver de vieilles querelles ? Est-ce bien notre rôle de souffler sur des braises qui n’arrivent plus à s’enflammer ? Je ne le crois pas. La laïcité est à ce point acquise et consensuelle que la défense de ce principe ne figure plus au nombre des préoccupations quotidiennes des Français. Ceux-ci sont inquiets avant tout pour des raisons d’ordre économique et financier. Qu’est-ce qui les préoccupe en tant qu’individus ? Le pouvoir d’achat, le prix de l’essence, la scolarité de leurs enfants, l’insécurité sous toutes ses formes, le devenir de leur emploi, et cela se comprend. Quant à ceux, nombreux, qui s’intéressent à la politique, de quoi parlent-ils en famille ou entre amis ? De la dette publique, la nôtre et celle de nos voisins européens, de la mondialisation, avec ses répercussions sur les fermetures d’usine, de la crise du monde arabe. Mais sûrement pas de la laïcité, qui n’est pas devenue l’affaire Dreyfus de 2011 ! J’en veux pour preuve les débats sociétaux de fond qu’ici et là on a tenté de lancer. Le débat sur l’identité nationale, qui avait pourtant un sens, n’a pas produit les effets attendus. Au lieu d’engager une réflexion et d’être l’occasion de renforcer le lien national, ce débat a été détourné de ses objectifs, provoquant des polémiques, sans que nos citoyens se sentent vraiment concernés. Dès lors, pourquoi créer une journée nationale de la laïcité plutôt qu’une sur chacun des autres grands principes de la République ? Pourquoi pas une journée de la liberté ou une journée de l’égalité ? Mes chers collègues, j’estime que les manquements à l’égalité sont plus importants que les manquements à la laïcité. On ne commémore pas les fondements de notre République : on les met en pratique et on s’attache à les sauvegarder dans le cadre de nos institutions et de nos dispositifs législatifs et réglementaires. Ce qui est pertinent, c’est de laisser aux autorités publiques, quelles qu’elles soient, l’État, les collectivités territoriales – et celles-ci sont largement concernées –, les juridictions, le soin de veiller au respect du principe de laïcité dans la sphère publique et à la garantie de la liberté religieuse dans la sphère privée : chacun s’y emploie au niveau qui est le sien. En conclusion, vous l’aurez compris, mes chers collègues, parce qu’il s’agit pour nous d’un faux débat, j’ai même envie de dire d’une fausse bonne idée, qui ne ferait que raviver des polémiques (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.), sans susciter aucun enthousiasme fédérateur chez nos concitoyens, dont les préoccupations sont tout autres, les membres du groupe Union Centriste et moi-même ne voterons pas la présente proposition de résolution. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)