Les propositions de loi

Politique générale
François Zocchetto 28/02/2013

«Proposition de loi visant à reconnaître le vote blanc aux élections-Rapporteur»

M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du vote blanc et de sa reconnaissance est ancienne dans le débat démocratique, ce que les nombreuses propositions de loi déposées au fil des décennies tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, de la part de groupes de sensibilités politiques différentes, ne font que confirmer. Lors de l’examen de ce texte, le rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale a relevé que pas moins de 26 textes avaient été déposés devant l’Assemblée nationale au cours des deux dernières décennies. Pour ma part, j’ai constaté que 5 propositions de loi au moins avaient été déposées au Sénat depuis environ une décennie. Le débat a naturellement franchi les enceintes parlementaires avec le concours d’associations particulièrement militantes, voire virulentes, qui œuvrent pour une pleine reconnaissance du vote blanc lors des élections politiques. C’est dans ce contexte que le Sénat est appelé à se prononcer sur une proposition de loi issue de l’Assemblée nationale et adoptée à l’unanimité par nos collègues députés le 22 novembre 2012. Le présent texte, loin de traiter d’une simple question de procédure électorale, conduit à s’interroger sur l’acte de vote lui-même et sur sa signification dans une démocratie moderne. L’article L. 66 du code électoral prévoit en effet que n’entrent pas en compte dans le résultat du dépouillement non seulement les bulletins nuls – désignation du candidat ou de la liste de candidats insuffisante, bulletin sans enveloppe ou avec une enveloppe non règlementaire, bulletin de couleur, signe de reconnaissance, etc. ; les électeurs peuvent être particulièrement créatifs ou inventifs dans ce domaine ! (Sourires) –, mais aussi les bulletins blancs. Cette assimilation des bulletins blancs et des bulletins nuls dans le décompte des suffrages est attestée au moins depuis le XIXe siècle et a été confirmée depuis lors. Je ne reprendrai pas le rappel historique qu’a dressé à l’Assemblée nationale M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Je rappelle seulement que le principe consistant à admettre le vote blanc posé par la loi du 18 ventôse an V, c’est-à-dire du 6 mars 1798, fut finalement renversé, en 1839, sous la monarchie de Juillet, par la Chambre des députés. Depuis cette date, l’assimilation des bulletins blancs et des bulletins nuls est demeurée une règle constante pour les opérations de vote en France. La seule exception notable concerne, et ce n’est pas anodin, les machines à voter qui doivent permettre d’enregistrer très facilement un vote blanc. Aujourd’hui, l’état du droit est simple : les bulletins blancs et nuls sont intégrés pour le calcul du taux de participation du scrutin, mais sont exclus du décompte des suffrages exprimés. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est limitée dans son objet, ce qui justifie le nombre restreint de ses articles. À l’article 1er, qui est l’article principal du texte, ne sont adjoints que des articles de conséquence. L’article 1er modifie en effet l’article L. 65 du code électoral pour assurer, lors de chaque scrutin, la comptabilisation des bulletins blancs de manière séparée des bulletins nuls. La part de votes blancs serait ainsi formellement distinguée des votes considérés, aux termes de l’article L. 66 du code électoral, comme nuls. L’Assemblée nationale, lors de l’examen en séance publique d’un amendement de la commission, a précisé qu’une enveloppe vide équivalait à un vote blanc. C’est le moyen de ne pas obliger le maire à mettre à disposition des électeurs des bulletins blancs dans les bureaux de vote. La commission des lois du Sénat a adopté cette proposition de loi en la modifiant sur un point : le moyen de voter blanc. Sur le principe, la commission a souhaité prolonger la réflexion entamée à l’Assemblée nationale en distinguant, lors du décompte, les bulletins blancs des bulletins nuls, considérant que la logique entre un vote blanc et un vote nul pouvait être différente. Le bulletin nul peut s’analyser comme un vote irrégulièrement émis ou comme une opération de défoulement, si j’ose dire ; on peut donc supposer que ladite irrégularité résulte d’une erreur de l’électeur ou de la volonté de ce dernier d’exprimer son souhait de voir « exploser le système », ce qui ne s’inscrit pas dans le processus démocratique électoral. En revanche, il ne fait aucun doute que le vote blanc relève d’une démarche volontaire et d’un choix assumé ; il est donc le fait d’électeurs politisés. Comme le soulignait dans son rapport M. François Sauvadet, auteur de la proposition de loi et rapporteur à l’Assemblée nationale, on constate que « le taux de votes blancs et nuls est presque systématiquement plus élevé au second tour qu’au premier », ce qui correspond à un resserrement de l’offre politique susceptible de conduire certains électeurs à choisir volontairement de ne pas choisir. Je ne suis cependant pas sourd aux objections qui se sont exprimées au sein de la commission. Nous avons en effet eu des débats assez longs sur le sujet, parfois plus longs que prévu d’ailleurs, certains faisant valoir que la distinction entre vote nul et vote blanc était avant tout sémantique – un point qui reste à vérifier. Cependant, le décompte séparé des bulletins blancs devrait avoir le mérite de rendre justice aux électeurs qui font l’effort de se déplacer au bureau de vote, en respectant la procédure électorale, même s’ils préfèrent, pour des motivations qui leur sont propres et qui diffèrent d’un électeur à l’autre, ne pas choisir parmi l’offre politique qui leur est proposée. Il n’en reste pas moins qu’ils ont voté par un acte positif. De surcroît, vous l’avez souligné, monsieur le ministre, la fin de cet amalgame entre bulletins blancs et bulletins nuls devrait également permettre de connaître enfin l’ampleur du vote blanc, plus précisément sa mesure, lors des opérations électorales, ce qui permettrait de parler de ce phénomène en connaissance de cause. En effet, d’aucuns se croient autorisés à remettre en cause la légitimité de certaines décisions issues du processus électoral sur la base de simples spéculations. Au sein de la commission, le débat a également porté sur une question connexe, mais importante : faut-il reconnaître le bulletin blanc comme un suffrage exprimé ? De même que l’Assemblée nationale, la commission des lois du Sénat s’est exprimée, par-delà les clivages partisans, pour maintenir le principe existant. À l’Assemblée nationale, cette position a résulté de l’adoption en séance publique de deux amendements identiques du rapporteur UDI, M. François Sauvadet, et du groupe socialiste majoritaire, ce qui a rendu possible un vote du texte à l’unanimité. La commission des lois du Sénat a pris en compte les arguments en défaveur de la reconnaissance du bulletin blanc comme un suffrage exprimé. M. le ministre a rappelé les modalités de l’élection présidentielle : aux termes de la Constitution, « le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. » Certains se sont donc émus de ce qui se passerait si les votes blancs étaient assimilés à des suffrages exprimés. Je le dis sans ambages, et c’est là une forme de politique-fiction que j’assume : M. Jacques Chirac, en 1995, et M. François Hollande, en 2012, n’auraient peut-être pas été élus... J’utilise le conditionnel à dessein, mais je ne suis tout de même pas loin de la vérité. Lors des débats à l’Assemblée nationale, M. Jean-Jacques Urvoas a rappelé que, les textes soumis à référendum devant être approuvés à la majorité des suffrages exprimés, dans ce cas, « voter blanc équivaudrait à voter non ». Ce serait pour le moins discutable. M. le ministre a d’ailleurs bien exposé ces enjeux. La commission des lois du Sénat admet la justesse de ces arguments, mais souligne que ces critiques excèdent le champ du présent texte. En effet, nous examinons une proposition de loi ordinaire. Or les modalités tant de l’élection du Président de la République que des référendums locaux sont fixées par des dispositions organiques et sortent du champ de cette proposition de loi. En outre, les opérations de vote pour les référendums nationaux sont encore régies par des dispositions règlementaires et ne peuvent être modifiées par le législateur. C’est très curieux, mais c’est ainsi. D’autres arguments existent cependant pour ne pas reconnaître le bulletin blanc comme un suffrage exprimé. Tout d’abord, une telle mesure induirait une certaine confusion pour l’électeur. Tantôt considérés comme des suffrages exprimés pour les élections ordinaires, tantôt écartés des suffrages exprimés pour l’élection présidentielle et les référendums, les bulletins blancs auraient une portée politique qui varierait selon le scrutin. Par ailleurs, il n’échappe à personne qu’une telle reconnaissance mériterait une réflexion plus approfondie, dépassant le cadre de cette proposition de loi. En effet, cette mesure aurait des conséquences notables sur la matière électorale. M. le ministre ne les ayant pas développées, je les énumère rapidement. Plusieurs règles électorales d’importance sont déterminées par un seuil de suffrages exprimés. On peut citer pêle-mêle le fait de bénéficier ou non du remboursement forfaitaire des frais de campagne, le fait de jouir ou non du remboursement par l’État du coût du papier, de l’impression des bulletins de vote, des affiches, des circulaires et des frais d’affichage, le fait d’admettre une liste de candidats à la répartition des sièges lors des élections à la représentation proportionnelle, le fait de l’autoriser à accéder au second tour de scrutin dans la plupart des élections, le fait de l’autoriser à fusionner avec une autre liste admise au second tour de scrutin dans les mêmes élections, etc. C’est donc un chantier très vaste qu’il faudrait ouvrir le cas échéant. En effet, la prise en compte des bulletins blancs dans le taux des suffrages exprimés conduirait à élever sensiblement les seuils précédemment évoqués. Une question de principe se pose enfin, et ce n’est pas la moindre. Quel sens donne-t-on au vote ? Ce dernier est-il une voie d’expression supplémentaire pour l’électeur, par exemple la manifestation d’un état d’âme, ce qui impliquerait de comptabiliser le vote blanc ? Le vote n’est-il pas aussi une modalité de désignation collective des représentants ou, pour les consultations de type référendums, un moyen d’apporter une réponse claire à la question posée ? Dans cette dernière hypothèse, l’élection ou la consultation ont vocation à aboutir à une décision et le vote blanc ne saurait alors être considéré comme un suffrage exprimé. Je citerai volontiers un député de la monarchie de Juillet – c’est une référence étrange, je vous l’accorde, mes chers collègues, mais la citation n’en demeure pas moins intéressante – : « Un billet blanc, mille billets blancs, dix mille billets blancs ne sauraient faire un député, et la loi veut faire un député. » La commission des lois a fait sienne cette maxime. Pour ces raisons, et pour d’autres que je n’exposerai pas en détail, vous aurez compris que la commission a approuvé la position équilibrée retenue par l’Assemblée nationale et n’a pas admis la reconnaissance du bulletin blanc comme un suffrage exprimé. Ayant retenu ce point d’équilibre, la commission des lois a cependant modifié le texte issu de l’Assemblée nationale quant aux modalités pour voter blanc. Traduisant un vœu quasi-unanime de la commission lors de sa réunion, j’ai approuvé la proposition faite par notre collègue Christian Cointat de ne pas admettre qu’une enveloppe vide vaille vote blanc. En effet, l’enveloppe vide peut, de manière équivoque, être autant le fruit de la volonté de l’électeur qu’une erreur de sa part ; il n’y a dès lors aucune raison d’admettre que ce vote soit forcément blanc, et non nul. Un point reste cependant en débat, sur lequel nous aurons l’occasion d’échanger lors de l’examen d’un amendement : faut-il mettre à la disposition des électeurs des bulletins blancs le jour du scrutin dans le bureau de vote ? Faut-il aussi les envoyer à l’avance à chacun des électeurs ? Nous débattrons de ce point tout à l’heure. À la lumière de ces observations, je vous invite, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi dans la rédaction proposée par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – M. le président de la commission des lois et Mme Cécile Cukierman applaudissent également.)