Les interventions en séance

Budget
Vincent Delahaye 27/11/2013

«Projet de loi de finances pour 2014 »

M. Vincent Delahaye

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons le présent projet de budget dans une situation particulièrement explosive, avec la multiplication des plans sociaux et une exaspération fiscale rarement égalée. Ce ras-le-bol fiscal était largement prévisible. Fraîchement élu sénateur voilà deux ans, j’avais dans cette enceinte même indiqué à Valérie Pécresse qu’il ne fallait pas utiliser, par priorité, le levier fiscal pour réduire notre déficit et redresser nos finances. Malheureusement, vous en avez rajouté deux couches, monsieur le ministre, en 2012 et 2013. Au final, entre 2011 et 2013, ce sont, selon les sources, 60 à 70 milliards d’impôts supplémentaires qui ont été prélevés, répartis de façon à peu près égale entre les entreprises et les ménages. On peut comprendre que les entreprises dénoncent un marché de dupes : un jour, vous leur ponctionnez de 30 à 40 milliards d’euros et, le lendemain, vous leur reversez 20 milliards d’euros, sous forme de crédit d’impôt.
Aux ménages, vous aviez dit que seuls les riches allaient payer. Le Premier ministre nous avait annoncé l’an dernier que neuf Français sur dix seraient épargnés. Entre-temps, il y a eu la défiscalisation des heures supplémentaires, la baisse du quotient familial, la réduction des avantages liés aux emplois à domicile. Toutes ces décisions ont eu des effets et, aujourd’hui, tout le monde est touché.
Dans ce contexte, on comprend que le Président de la République ait annoncé, à grand renfort de communiqués, une « pause fiscale » pour 2014. Qu’en est-il ? En guise de pause fiscale, on va avoir une ponction fiscale supplémentaire ! En raison de l’augmentation de la TVA et de la diminution du quotient familial ajoutées à différentes mesures, les prélèvements vont augmenter à hauteur de 10 à 12 milliards d’euros, selon les sources ! Vous avez bien entendu, mes chers collègues, 10 à 12 milliards supplémentaires ! Cela a été souligné, la France atteint un taux record des prélèvements obligatoires : 46,1 % du PIB. Le levier fiscal a donc été très largement utilisé. On devrait faire non pas une pause fiscale, mais un reflux fiscal ! Ce n’est pas le ras-le-bol fiscal qui est le plus grave ! Alors que les Français ont réalisé d’importants efforts, qu’il s’agisse des entreprises ou des ménages, la situation ne s’est pas assainie.
Si encore les Français pouvaient constater que leurs efforts ont porté leurs fruits et que la situation s’est améliorée ! Mais ce n’est pas le cas.
Monsieur le ministre, le projet de budget que vous nous présentez prévoit un déficit de 70 milliards d’euros, et même de 82 milliards d’euros si l’on tient compte des investissements d’avenir, alors que, dans le projet de loi de finances pour 2013, le déficit prévu était de 62 milliards d’euros. Avec cela, vous criez victoire parce que le déficit envisagé est inférieur à celui qui sera réalisé cette année, lequel sera de 72 milliards d’euros dans le meilleur des cas – pour ma part, je pense qu’il risque d’être un peu plus élevé. À la vérité, il faut aller plus loin dans la réduction des déficits, dont l’accumulation fait s’envoler la dette. Vous avez dénoncé, à juste titre, la progression de plus de 500 milliards d’euros de la dette entre 2007 et 2012. Seulement, que s’est-il passé depuis mai 2012 ? Entre ce mois et celui de juin de cette année, la dette a augmenté de 195 milliards d’euros, au point que nous dépasserons bientôt les 2 000 milliards d’euros. Je suis sûr que l’accroissement de la dette, loin de ralentir, s’est accéléré au cours des dix-huit derniers mois ! Monsieur le ministre, il est grand temps de prendre conscience que nous ne pourrons pas continuer ainsi. Une dette de 2 000 milliards d’euros – nous y serons début 2014 – correspond à sept années d’impôt. En d’autres termes, pour la rembourser, il faudrait que les Français paient leurs impôts pendant sept ans sans bénéficier du moindre service public. Pour les collectivités territoriales, on considère que la zone rouge est atteinte lorsque la dette représente une année de recettes. Nous en serons bientôt à sept années d’impôt ! Heureusement que les marchés sont cléments avec nous, ce qui nous permet d’emprunter, pour l’instant, à des taux d’intérêt très bas.
En dépit de ces conditions favorables, la charge de notre dette atteint, dans le présent projet de loi de finances, le niveau du budget de l’éducation. Mes chers collègues, il faut vous figurer ce que cela signifie : notre dette est aussi lourde que les dépenses d’éducation !
J’espère vraiment que les avis des marchés sur la France ne vont pas se retourner ; car si nos taux d’intérêt augmentent, je ne vois pas comment nous pourrons continuer à boucler nos budgets.
Comme nous le répétons depuis longtemps, la solution consiste à opérer des baisses de dépenses ; je parle, monsieur le ministre, de baisses réelles, pas de diminutions comme vous nous en proposez. Sous prétexte que les dépenses augmentent de 0,4 %, ce qui est moins que la tendance antérieure, le Gouvernement soutient que nous réaliserions des économies. Pour ma part, je pense que les Français ne comprennent rien à ce discours. Comment comprendraient-ils qu’on réalise des économies alors que les dépenses augmentent ? En vérité, c’est incompréhensible ! Il en va de même pour le solde structurel : le Gouvernement se gargarise d’une prétendue amélioration de ce solde, mais c’est le solde effectif que nous avons besoin de financer !
Le solde effectif s’améliore doucement. Nous verrons bien comment évoluera le déficit rapporté au PIB, mais, en ce qui me concerne, je ne crois pas du tout que nous atteindrons l’objectif rappelé ce matin par le ministre de l’économie et des finances, qui consiste à le ramener à moins de 3 % en 2015. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Pour respecter cet engagement, il faudrait accomplir des efforts beaucoup plus importants en matière de dépenses et entreprendre des réformes structurelles dont, aujourd’hui, on ne voit pas le début du commencement, ce qui est dramatique.
M. Arthuis a soulevé le problème du temps de travail. On pourrait aussi aborder, entre autres, celui des retraites, tant il est vrai que la réformette proposée par le Gouvernement n’est pas à la hauteur des enjeux.
Le Gouvernement prétend que, cette année, 1 milliard d’euros sera économisé sur les dépenses. Sur le dos de qui ? Des collectivités territoriales ! (Marques d’approbation sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.) De fait, on leur demande des efforts considérables, puisque leurs dotations vont baisser de 1,5 milliard d’euros.
Quand le gouvernement auquel appartenait Valérie Pécresse proposait de les baisser de 200 millions d’euros, quels hurlements n’entendait-on pas !
Aujourd’hui, les dotations vont donc baisser de 1,5 milliard d’euros, et on n’entend plus rien : c’est tout de même assez surprenant !
Monsieur le ministre, après les Pigeons et les Poussins, vous allez avoir les Dindons : les dindons de la farce, ce sont les collectivités territoriales !
En effet, en plus de subir une baisse de 1,5 milliard d’euros de leurs dotations, elles vont devoir assumer d’innombrables dépenses qui leur sont imposées : des cotisations de retraite en hausse, des cotisations dédiées à formation en hausse, sans parler du coût de la réforme des rythmes scolaires.
À cet égard, le Gouvernement nous a annoncé des aides ; mais, dans le projet de budget, on ne les voit pas ! Si on avait prévu 50 euros par enfant, comme le Gouvernement le prétend, les aides devraient s’élever à plus de 250 millions d’euros, puisqu’il y a 5 300 000 enfants ; or le projet de loi de finances prévoit seulement 62 millions d’euros. Peut-être ces fonds sont-ils visés ailleurs ; mais, en examinant le « bleu » budgétaire relatif à l’éducation, je ne les ai pas trouvés.
Je regrette que les collectivités territoriales voient ainsi leurs charges augmenter, alors que leurs recettes baissent. En vérité, je le répète, elles sont les dindons de la farce ! (M. le président de la commission des finances acquiesce.) Parmi les dindons, il y a aussi les militaires. De fait, on demande de gros efforts à l’armée ; bien sûr, c’est la Grande Muette ! En cinq ans, les armées ont dû abandonner 45 000 postes. Pourtant, le projet de loi de finances prévoit une augmentation de la masse salariale de 500 millions d’euros. Personne n’y comprend rien : c’est bel et bien incompréhensible ! Certes, je pourrais parler des opérateurs, auxquels le Gouvernement s’attaque enfin – je crois qu’il y a beaucoup à faire dans ce domaine –, et des quelques budgets dont la dotation diminue ; mais ces mesures homéopathiques sont loin d’être suffisantes eu égard à la situation. Monsieur le ministre, il faudrait avoir le courage de faire exactement l’inverse de ce que vous proposez : réduire la pression fiscale et les dépenses. J’ai l’impression que, en pleine tempête, le Gouvernement n’a pas de cap.
En tout cas, s’il en a un, celui-ci n’est pas clair, et on navigue à vue ! (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
L’improvisation fiscale, pour ne pas dire l’amateurisme, est au pouvoir. C’est ainsi que, dans l’urgence et l’affolement, le Premier ministre a annoncé une remise à plat de notre système fiscal. D’un côté, je prends espoir, parce que je réclame de longue date une grande réforme fiscale. De l’autre, je m’inquiète, parce que cette réforme aura lieu à niveau constant de prélèvements, alors qu’il faudrait réduire la pression fiscale. En outre, elle ne tiendra pas compte de la TVA, selon nous la pierre angulaire de toute réforme, ni des entreprises. Je m’inquiète aussi lorsque j’entends le Premier ministre affirmer que le Gouvernement prendra ses responsabilités, comme il l’a fait au sujet des retraites ; je ne suis pas du tout rassuré, parce que je considère que, dans le domaine des retraites, il n’a pas pris ses responsabilités ! (MM. Roger Karoutchi et Francis Delattre acquiescent.) Monsieur le ministre, ce projet de loi de finances alourdit la fiscalité sans réduire franchement le déficit, laisse s’envoler la dette et ne s’attaque pas pour de bon à la réduction de la dépense : nous ne le voterons pas ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – M. le président de la commission des finances applaudit également.)