Les interventions en séance

Energie
27/09/2010

«Projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité»

M. Jean-Claude Merceron

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la France a fait un choix politique audacieux et un choix de société en décidant de bâtir sa politique énergétique autour de l’électricité nucléaire à partir des années soixante-dix.
Ce choix visionnaire permet à la France de disposer aujourd’hui d’un parc nucléaire qui nous est envié par de nombreuses puissances, car il couvre près de 80 % de notre production d’électricité sans émission de dioxyde de carbone, l’énergie hydraulique couvrant en outre 12,5 % supplémentaires.
La France a vu émerger des champions de l’industrie énergétique et dispose aujourd’hui d’une capacité installée supérieure à sa consommation, sauf en période de pointe.
Certes, le traitement des déchets nucléaires reste le talon d’Achille de cette politique, mais – il faut le reconnaître – nous profitons aujourd’hui largement des avantages que procure l’existence du parc nucléaire historique.
En effet, au-delà des avantages écologiques en termes d’émissions de dioxyde de carbone, l’électricité nucléaire assure, une fois l’investissement réalisé, une électricité bon marché.
Ce faible coût est répercuté sur les tarifs réglementés de l’électricité française, 30 % moins chère que nos voisins européens, voire 35 % moins chère qu’en Allemagne, première puissance industrielle européenne.
En outre, à l’heure où l’approvisionnement en matières fossiles commence à susciter de vraies luttes géopolitiques et où les cours des marchés sont volatiles, notre indépendance énergétique est une force.
Bien sûr, cet héritage, qu’on appelle le « nucléaire historique », n’est pas sans limites. C’est pour cela qu’il faut se garder de raisonner en termes d’« avantages acquis ».
Première limite, l’électricité bon marché et en quantité aujourd’hui suffisante n’incite que peu au développement de nouvelles capacités de production et au renforcement de l’efficacité énergétique, alors même que cela paraît nécessaire pour atténuer les effets de la hausse structurelle de la demande. Je pense notamment à l’équipement des ménages et à la densification des réseaux de transports électrifiés.
Deuxième limite, la situation française n’est pas régulière au regard du droit communautaire. Les tarifs réglementés, qui ont diminué de 35 % à 40 % en vingt-cinq ans, sont assimilés à des aides d’État et provoquent l’ire de la Commission, car ils ne permettraient pas de couvrir le coût « réel » de l’électricité achetée par les opérateurs concurrents.
C’est justement cette considération tarifaire ainsi que le quasi-monopole d’EDF sur les moyens de production et la commercialisation de l’électricité qui ont déclenché l’injonction de Bruxelles de réorganiser le marché français de l’électricité.
C’est donc une réorganisation « forcée » à laquelle nous procédons aujourd’hui, résultant d’un compromis a minima âprement négocié entre le Gouvernement et la Commission européenne.
Sa portée se limite à des mesures « transitoires », qui ont vocation à conformer le marché français de l’électricité jusqu’en 2025, selon les recommandations de la commission Champsaur, dont je salue le travail.
Mais si le projet de loi est une réponse politique a priori suffisante au regard de la Commission, il n’est pas évident que le subtil équilibre de ce texte contente, en cas de recours, la Cour de justice de l’Union européenne, plus dogmatique dans la défense des principes de concurrence et l’interdiction des mesures assimilables à des aides d’État.
En effet, il faut le reconnaître, le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, ou NOME, reste timoré au regard du droit de la concurrence.
D’une part, le projet de loi limite les avancées concurrentielles aux seuls aspects commerciaux de la vente d’électricité, qui représentent seulement 7 % du prix de l’électricité.
D’autre part, dans sa rédaction actuelle, le projet de loi ne favorise pas la concurrence dans la production d’électricité.
Par exemple, en fixant un prix de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH, « en cohérence » avec le tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché, le TARTAM, on permet, au mieux, à partir de 2015, d’instituer une concurrence sur le marché des industriels, mais évidemment pas sur le marché des particuliers.
Or ceux-ci représentent 86 % des sites et un tiers de la consommation d’électricité. En outre, ce sont eux qui sont les principaux destinataires de la politique engagée afin d’améliorer l’efficacité énergétique domestique, comme les comportements de maîtrise de la consommation énergétique, et qui stimuleront en conséquence la diversité et la qualité des offres commerciales en fourniture énergétique. On peut notamment penser au développement industriel d’un réseau dit « communicant », en expérimentation à Tours et à Lyon.
Bien entendu, théoriquement, l’ouverture à la concurrence sur ces sites résidentiels existe depuis 2007. Mais le ciseau tarifaire entre les prix de marché et les tarifs réglementés en a fortement limité la portée. En effet, seuls 5 % d’entre eux ont souscrit une offre auprès d’opérateurs alternatifs, contre 50 % en Grande-Bretagne, depuis la libéralisation de leur marché.
En ce sens, le projet de loi vise à atteindre un objectif que nous soutenons, mais il le fait de manière trop imparfaite, en évinçant de la concurrence l’activité de production et le segment de marché des particuliers.
Voilà pourquoi nous proposons un amendement visant à réduire le ciseau tarifaire entre l’ARENH et les tarifs réglementés, et à favoriser l’investissement dans les moyens de production, afin que le projet de loi constitue un cadre pour une concurrence saine et durable.
Il faut, d’ailleurs, tordre le cou à une idée reçue selon laquelle la concurrence affaiblirait notre champion EDF : le marché de l’énergie n’est pas un gâteau dont la multiplication des parts réduirait d’autant leur taille.
Le marché de l’énergie s’envisage au-delà de nos frontières nationales dans un cadre communautaire et l’activité peut se diversifier autour d’offres annexes, qui font grossir d’autant la taille du gâteau. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que nous proposerons un amendement visant à prévoir que l’obligation de capacité des producteurs d’électricité doit tenir compte des interconnexions avec le marché européen.
Si le mécanisme de l’ARENH semble répondre a minima aux attentes de Bruxelles, il s’avère insuffisant pour inciter les opérateurs alternatifs à effectuer des investissements pourtant porteurs d’avenir dans les moyens de production de base.
Il faudrait, au contraire, appliquer la citation de Confucius : quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson.
Or, le mécanisme de l’ARENH est un poisson donné aux opérateurs alternatifs : sa pérennité n’est pas assurée et sa portée en termes de concurrence durable dans la production d’électricité n’est pas optimale.
Pour agir de manière durable en faveur d’un marché concurrentiel de l’énergie en France, il ne faudrait pas se contenter de céder aux opérateurs alternatifs à prix coûtant un certain volume d’électricité nucléaire ; il conviendrait aussi de leur apprendre à pêcher, c’est-à-dire les inciter à investir dans des moyens de production propres.
Cette vision est partagée par plusieurs de mes collègues du groupe de l’Union centriste. Nous ferons, par conséquent, des propositions constructives pour assurer un fonctionnement optimal du marché de l’électricité.
Tout d’abord, nous proposons de fixer le prix de l’ARENH en cohérence non pas avec le seul TARTAM, mais également avec le coût de production de l’énergie électrique tel qu’il est comptabilisé dans la formation des tarifs réglementés de l’électricité. L’idée est la suivante : quel que soit le prix de l’ARENH, les prix de revente aux consommateurs finaux devront permettre à l’acteur historique et aux acteurs alternatifs de dégager une marge suffisante pour procéder aux investissements qui assureront l’avenir de notre politique énergétique après 2025.
En conséquence, il faut faire de l’approche transitoire proposée par le projet de loi un levier pour le développement de nouvelles capacités de puissance françaises de pointe, mais aussi de base. Car si les capacités sont suffisantes jusqu’en 2025, ce ne sera plus le cas après cette date.
Le rapport de la commission Champsaur expose en effet qu’« il serait nécessaire de mettre en service [...] de 700 à 1 000 gigawatts de nouvelles centrales sur l’ensemble de l’Europe pour remplacer les centrales vétustes et faire face à l’accroissement – au demeurant relativement modeste – de la demande d’électricité ».
Or le « temps de mise en œuvre » de ces nouveaux moyens de production étant excessivement long, entre la décision d’investissement, la construction et la mise en service, il est nécessaire d’anticiper l’après-ARENH dans le présent projet de loi.
Outre ces considérations concurrentielles, le groupe de l’Union centriste proposera également un amendement visant à atténuer la tendance structurellement à la hausse des tarifs réglementés, qui devraient, à terme, converger vers les tarifs de marché. J’en profite pour rappeler que ce mécanisme est structurel et indépendant du projet de loi. Il faut bien financer le coût de l’allongement puis du renouvellement du parc nucléaire français. Dans cette perspective, mon groupe a déposé deux amendements visant à rendre automatique le bénéfice de tarifs particuliers pour les plus démunis.
Il est en effet possible d’avoir une approche libérale de l’économie tout en étant soucieux d’en corriger les effets pervers auprès des populations les plus fragiles. C’est du moins dans cet esprit que les membres de l’Union centriste aborderont le débat.
Enfin, le groupe de l’Union centriste sera attentif à ce que la Commission de régulation de l’énergie soit un régulateur fort et indépendant, capable de fixer les prix sur la base de considérations économiques et non politiques, de surveiller les pratiques concurrentielles et d’anticiper les besoins d’investissement dans les capacités de production.
Pour clore cette intervention, je souhaite simplement formuler un souhait afin de corriger une faiblesse du projet de loi. La réussite de la nouvelle organisation du marché de l’électricité tiendra à la visibilité que les opérateurs industriels pourront avoir sur l’après-ARENH. Or le projet de loi ne prévoit pas de sortie progressive du mécanisme de l’ARENH, ce qui est regrettable.
De même, la détermination d’une stratégie claire en termes de politique énergétique pour les quarante prochaines années serait souhaitable, afin que la politique nucléaire ne subisse pas la même insécurité juridique que celle que connaît aujourd’hui la filière photovoltaïque. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)