Les interventions en séance

Droit et réglementations
Chantal Jouanno 27/05/2014

«Proposition de loi constitutionnelle visant à modifier la Charte de l՚environnement »

Mme Chantal Jouanno

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de saluer la constance de l’auteur de la proposition de loi constitutionnelle, Jean Bizet, même si nos positions divergent souvent.
Je souhaite m’adresser à ceux, très nombreux dans cet hémicycle, qui ont voté pour le principe de précaution.
Tous les orateurs l’ont souligné, le débat que nous avons ce soir est nécessaire. Notre pays est-il confronté à un « précautionnisme » excessif qui contraindrait la recherche et l’innovation ? À l’évidence, oui ! Plusieurs exemples le confirment : destruction des parcelles de recherche sur les OGM, obstruction du débat sur les nanotechnologies – souvenons-nous de cet épisode –, détournement des études sur les ondes. Sur bien des sujets, cette instrumentalisation très politique a donc été un frein. C’est d’autant plus dommage que nous souhaitons prouver que l’écologie est un facteur d’innovation. Le principe de précaution tel qu’il est inscrit dans la Constitution explique-t-il cet esprit frileux ? Le rapport que vient de présenter avec brio Patrice Gélard montre l’inverse : les juges font de ce principe une application « mesurée, circonscrite et raisonnable ». La consultation qui a été menée pour la modernisation du droit de l’environnement conclut également à l’inverse. Sur les 700 contributions, dont un tiers émane des acteurs économiques, aucune n’a demandé la modification ou la suppression du principe de précaution. En revanche, la complexité, la contradiction et la rigidité du droit de l’environnement ont été évoquées. Le vrai sujet, c’est la crainte non pas du principe de précaution, mais du principe de responsabilité, c’est la judiciarisation excessive, parfois, de la société. Même si la proposition de loi constitutionnelle n’est pas a priori nécessaire – c’est d’ailleurs un peu la conclusion de la commission –, permettra-t-elle de revivifier l’esprit d’innovation ? Plusieurs points me posent problème. Je comprends mal la nécessité de préciser que les mesures prises au titre du principe de précaution doivent avoir un coût économiquement acceptable. Cette exigence est inscrite dans le principe de proportionnalité. On comprend mal que ce principe prévale sur d’autres principes, comme la sécurité. Je comprends mal également la nouvelle rédaction de l’article 5, qui ajoute l’obligation pour les autorités publiques de veiller au développement de la culture scientifique, de l’innovation et du progrès. Cette exigence est au cœur du principe de précaution. Je crains que notre Constitution, qui est déjà un peu bavarde, ne le devienne plus encore si l’on ajoute ces précisions. N’oublions pas que l’article 5, tel qu’il était rédigé à l’époque, ne prévoyait qu’un principe de procédure qui renvoyait au législateur le soin d’appliquer, de définir et de préciser le principe de précaution. C’est pourquoi, monsieur Sueur, l’amendement que vous avez déposé – j’ignore si vous allez le soutenir – a du sens.
La modification de l’article 7 me pose véritablement problème. À l’origine, j’étais plutôt favorable à la nouvelle rédaction. Cependant, après avoir consulté des juristes, j’ai pris conscience que chaque mot serait source de contentieux et risquerait même d’avoir un effet contre-productif. Il est en effet demandé que, pour chaque décision, individuelle ou réglementaire, les études soient publiées, qu’elles soient indépendantes et contradictoires. Pour chacune de ces trois exigences, il faut s’attendre à quatre pages de mémoire en contentieux, plus ou moins bienveillantes bien évidemment. J’imagine le nombre de recours possibles sur un projet d’implantation d’antenne-relai qui pourraient être fondés sur chacun de ces termes.
En revanche, je suis d’accord pour reconnaître que la question de la formation constitue un véritable enjeu. En conclusion, je peux dire que je suis très favorable à des évolutions législatives pour que l’écologie soit un facteur d’innovation et non de régression, en cas d’instrumentalisation, bien entendu, car il n’est pas du tout dans mes intentions d’affirmer que l’écologie est facteur de régression. Par la lourdeur de nos procédures, par notre esprit encore trop tourné vers des principes du XXe siècle et non du XXIe siècle, nous sommes en train de louper certaines marches de l’innovation, tout particulièrement dans le domaine de l’écologie. Ainsi, alors que nous étions premiers sur les hydroliennes, le Canada va nous dépasser. De même, nous loupons la marche pour le véhicule électrique, à propos duquel nous avons tiré la sonnette d’alarme tout à l’heure en commission, comme nous l’avons loupé sur le solaire ou les éoliennes, qui sont pourtant des secteurs d’exportation majeurs aujourd’hui. Sur le fond, pourquoi devrions-nous donner le sentiment, en tout cas à l’extérieur de nos enceintes parlementaires, que nous renions en partie ce qui avait été voté à l’époque sur le principe de précaution ? Ne nous méprenons pas : malgré l’intention de l’auteur de la proposition de loi constitutionnelle de redonner du poids au principe d’innovation, les médias risquent, au terme d’une lecture extrêmement biaisée de nos débats, d’en conclure que nous revenons sur le principe de précaution. Pourtant, ce qui était vrai en 2004 l’est toujours plus aujourd’hui : jamais une génération entière n’a ainsi été exposée, partout dans le monde, aux mêmes produits. En cas d’alerte sur un produit, c’est toute une génération qui sera touchée. Nous devons donc être très vigilants. De même, jamais les alertes sur la disponibilité des ressources halieutiques ou sur les événements climatiques – je vous renvoie aux dernières conclusions des météorologues – n’ont été aussi nombreuses. Il est vrai que notre génération profite d’un niveau de vie jamais égalé par les générations précédentes. Mais c’est peut-être la première fois qu’on risque de le faire au détriment de la génération future. Nous devrions donc avoir deux débats : l’un sur le rôle du Sénat en tant que garant du long terme, l’autre sur le principe d’innovation, qui mériterait en lui-même un débat autonome, pour ne pas donner le sentiment qu’on l’oppose au principe de précaution. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées de l’UMP. –M. le président de la commission des lois et Mme Marie-Christine Blandin applaudissent également.)