Les interventions en séance

Affaires sociales
Gérard Roche 27/03/2013

«Proposition de loi relative au versement des allocations familiales et de l՚allocation de rentrée scolaire au service d՚aide à l՚enfance»

M. Gérard Roche

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi relève, à nos yeux, du simple bon sens, raison pour laquelle elle est ici relativement consensuelle. Je rappelle que si nous examinons aujourd’hui le texte de M. Christophe Béchu, Mme Catherine Deroche et plusieurs de leurs collègues de l’opposition, une proposition de loi pratiquement identique avait été présentée par nos collègues du groupe socialiste. Comme cela a été rappelé, ce texte a un double objet. Il vise, d’une part, à rétablir la règle du versement des allocations familiales à l’aide sociale à l’enfance lorsque l’enfant est confié à ce service et, d’autre part, à étendre cette règle à l’allocation de rentrée scolaire. Pourquoi « rétablir » la règle concernant les allocations familiales ? Tout simplement parce que cette règle existe mais qu’elle a été dévoyée. Aujourd’hui, l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale est très clair : la part des allocations familiales dues à la famille pour un enfant confié au service d’aide sociale à l’enfance est versée à ce service. Cependant, le même article réserve la possibilité pour le juge de décider de maintenir le versement des allocations à la famille.   Notre rapporteur, Catherine Deroche dont je salue au passage l’excellence du travail, l’a très bien expliqué. En pratique, l’exception est devenue la règle. La jurisprudence l’a voulu ainsi : dans la majorité des cas, la famille continue de percevoir l’intégralité des allocations. Pourquoi étendre la règle à l’allocation de rentrée scolaire ? Tout simplement parce que, aujourd’hui, quelle que soit la situation de l’enfant, les parents continuent à toucher cette allocation. Ce double état de fait nous place face à un double enjeu. Le premier enjeu est évidemment éthique. Il n’est pas éthique que les allocations familiales ne bénéficient pas à celui qui assume la charge effective de leur enfant, en l’occurrence, l’ASE. Il n’est pas éthique qu’une famille qui assume pleinement ses enfants soit placée sur un pied d’égalité avec une autre dont un ou plusieurs enfants sont placés par l’ASE en famille d’accueil ou en établissement. Il n’est pas éthique que la jurisprudence contrevienne à l’esprit de la loi. Il n’est pas éthique que l’allocation de rentrée scolaire continue d’être versée à la famille, alors même que c’est le département qui supporte la totalité des dépenses de scolarisation de l’enfant. Madame la ministre, je vous ai écoutée avec attention. Vous êtes ministre, je ne suis qu’un simple sénateur et modeste président de conseil général d’un petit département. (Exclamations amusées sur de nombreuses travées.) Je vais néanmoins me permettre, fort d’une expérience de quarante années en tant que médecin auprès de familles souvent les plus déshéritées et dans un service social du département de la Haute-Loire, de vous faire une remarque et même de vous donner un petit conseil. Lorsque l’application d’un dispositif social est vécue par certains de nos concitoyens comme une injustice, nous donnons des arguments à ceux qui veulent détruire ce dispositif alors qu’ici, vous-même et nous tous, nous voulons non seulement le préserver mais aussi l’améliorer. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.) Le second enjeu est bien sûr financier. Un peu de pragmatisme ne fait pas de mal, il faut le dire et l’assumer. Ne faisons pas des finances du département un tabou, surtout à l’heure où elles sont en position si critique. Mes chers collègues, vous savez déjà à quel point cette question me tient à cœur, à moi comme à d’autres présidents de conseil général présents dans cette enceinte, notamment Christophe Béchu qui est à l’initiative de ce débat. Je vous épargnerai de plus longs développements généraux pour me concentrer sur l’aide sociale à l’enfance. Le bilan de la décentralisation de l’aide sociale à l’enfance intervenue en 1989 est largement favorable à l’action confiée aux départements. Contrairement aux craintes alors exprimées – peut-être certains s’en souviennent-ils ; vu mon âge, c’est mon cas puisque j’étais déjà élu local à cette époque –, le transfert de cette compétence ne s’est pas traduit par un désengagement des pouvoirs publics au niveau local : bien au contraire, alors que, en 1984, l’État consacrait 2,3 milliards d’euros à la protection de l’enfance, les départements y consacrent aujourd’hui 6,4 milliards d’euros. La dépense d’aide sociale à l’enfance a donc plus que doublé en trente ans. C’est le troisième poste budgétaire d’aide sociale après l’insertion et la prise en charge des personnes âgées. En 2011, 300 000 enfants en ont bénéficié. La très grande majorité des enfants placés en dehors du milieu familial ont été confiés à l’ASE. Au sein de ce poste, les allocations familiales que continuent de recevoir les familles des enfants placés et les allocations de rentrée scolaire qui leurs sont toujours versées représentent, il faut le dire, une somme non négligeable. Tantôt, notre collègue René-Paul Savary nous avait fait part des chiffres de son département de la Marne. Pour ma part, je citerai ceux du département que je préside, la Haute-Loire. Les allocations familiales que l’ASE pourrait percevoir et ne perçoit pas représentent un manque à gagner de 423 000 euros. Quant au manque à gagner de l’allocation de rentrée scolaire, il s’élève à un peu plus de 154 000 euros. Additionnés, ces chiffres donnent 577 000 euros, soit 3,6 % du budget consacré à l’hébergement dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance du conseil général de la Haute-Loire. Cela ne représente peut-être pas une somme énorme, mais le chiffre est tout de même relativement éloquent. La proposition de loi telle qu’elle ressort des travaux de notre commission répond parfaitement à ce double enjeu éthique et financier. L’article 1er permet au juge de sortir du « tout ou rien » mais, dans le même temps, il lui fixe des limites en matière d’allocations familiales. Ainsi, il pourra partager la part des allocations correspondant à l’enfant placé entre l’ASE et la famille. Qu’il ne puisse pas dépasser un ratio de 35 % desdites allocations au profit des parents nous paraît équitable. Par ailleurs, l’article 2 fixe le principe du versement à l’ASE de l’allocation de rentrée scolaire sans partage possible, ce qui nous semble parfaitement rationnel dans la mesure où cette allocation vise un objectif précis, qui est, en l’occurrence, assumé par l’ASE. En commission, nous avons pourtant entendu des voix s’élever contre ce texte. Selon le premier argument avancé, celui-ci ne constituerait pas « le Grand Soir » de l’aide sociale à l’enfance. C’est exact ! Il est cependant tout aussi vrai qu’une réforme d’envergure en la matière se fait attendre. Pour autant, comme l’a bien dit Christophe Béchu, ce n’est pas une raison pour ne rien faire en attendant. Comme nous avons eu raison d’améliorer les procédures d’information interdépartementales avec la loi du 5 mars 2012, nous aurons raison d’adopter le présent texte. Second argument : la proposition de loi instituerait une double peine, et le dispositif serait trop brutal. On peut s’inscrire totalement en faux contre cette idée, tout simplement parce que ce n’est pas ainsi que les choses se passent sur le terrain. L’enfant est placé au cœur du système dans un dialogue entre services départementaux et judiciaires au sein de l’Observatoire départemental de la protection de l’enfance. Il ne faut pas oublier que, sur le terrain, les services et travailleurs sociaux, auxquels je rends un hommage appuyé, effectuent un travail remarquable de suivi des familles et des enfants. Pour cette raison, il faut leur faire confiance pour que ce texte soit bien appliqué, c’est-à-dire sans couperet, de manière graduelle, progressive, sans dramatiser les situations. Ce matin encore, un amendement a été voté en commission qui va tout à fait dans ce sens. En un mot, faisons confiance aux départements et aux travailleurs sociaux pour continuer de mettre en œuvre nos politiques avec humanité ! Vous l’aurez compris, le groupe UDI-UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)