Les interventions en séance

Droit et réglementations
François Zocchetto 27/02/2013

«Proposition de loi portant amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives»

M. François Zocchetto

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis des temps anciens, le droit à la révolte s’est imposé, selon certains auteurs, comme le garde-fou nécessaire à la survie des républiques. On imagine difficilement, en effet, une société ouverte dans laquelle le droit de manifester son mécontentement serait systématiquement entravé par des mesures coercitives. C’est là sans doute la différence entre une démocratie et une dictature. Je crois que nous pouvons tous tomber d’accord sur ce constat. Le groupe CRC pose une question sensiblement proche. Quelle est la portée du pardon politique ? Est-il de la compétence du législateur de s’arroger le droit d’amnistier des délits commis dans le cadre de mouvements sociaux ? Jusqu’en 2007, le président de la République proposait régulièrement au Parlement de voter une loi d’amnistie. Cette proposition était ressentie alors comme le corolaire du droit de grâce présidentiel. Convenons que de telles lois sont désormais difficilement supportables. Nous ne saurions encourager tant d’effets d’aubaine et laisser tant de portes entrouvertes aux comportements les moins recommandables. Le constituant de 1946 a reconnu le droit de grève, mais non le droit à la violence. La grève et les manifestations qui l’accompagnent doivent être articulées avec les autres principes généraux de notre droit qui garantissent le nécessaire ordre public en vue d’assurer la quiétude de chacun. Au vu des faits qui ont pu accompagner la grave récession de l’année 2009 et l’envolée progressive du chômage depuis quelques années, une telle proposition de loi peut paraître séduisante. Ainsi, on ferait table rase du passé et les pouvoirs publics accorderaient une forme de pardon généralisé. Or, à la suite de l’examen de ce texte et de nos débats en commission, on mesure à quel point cette proposition est inopportune et dangereuse, et déplace en réalité le cœur du débat social vers des lieux inappropriés. Je pense sincèrement qu’il s’agit d’un signal de bien mauvais augure adressé à tous les manifestants professionnels, à tous les entrepreneurs et, de manière plus large, à l’ensemble de nos concitoyens. Vous ne pouvez pas nier, en effet, que le principe même d’une loi d’amnistie crée un appel d’air. Pourquoi respecter la loi si le pouvoir en place cède ponctuellement à la tentation de l’amnistie ? C’est le principe de l’égalité des citoyens devant la loi qui est ici en cause. Pourquoi respecter les principes fondamentaux de notre ordre public si aucune conséquence légale n’y est associée ? L’amnistie généralisée, au-delà du cas qui fait l’objet du présent texte, constitue purement et simplement un blanc-seing accordé à une société de la licence, qui serait contraire à toute véritable démocratie. L’amnistie instituée, c’est la négation même de la compétence du législateur, puisqu’il s’agirait de voter une loi qui méconnaîtrait l’application de la législation déjà en vigueur. Je crois d’ailleurs que ce sentiment est assez largement partagé sur les différentes travées de cet hémicycle, si j’en juge par nos discussions en commission des lois et par le sort réservé à cette proposition de loi. Disons-le, en dépit de votre travail et de vos efforts, mesdames David et Assassi, il n’y a pas de consensus au sein du Parlement sur une telle loi. Ni les conditions de fond ni celles de forme ne sont en effet réunies pour l’adoption d’un tel texte. Comme cela a été dit, l’amnistie vient généralement clore une guerre civile. L’amnistie est un geste de pardon, de reconstitution de la concorde sociale et de pacification des mémoires. Elle ne saurait être une autorisation généralisée accordée aux débordements de toute sorte. De nombreux exemples historiques pourraient être cités sur ce sujet. Le pardon des pouvoirs publics en place intervient quand l’ordre public a failli. Or je ne crois pas que la France en soit arrivée à un tel point – du moins, je ne l’espère pas ! –, mais peut-être votre constat diffère-t-il sur ce point... Mme la garde des sceaux a rappelé quels étaient le rôle du juge ainsi que l’articulation des pouvoirs entre l’autorité judiciaire, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Les lois d’amnistie perturbent la lisibilité de cet équilibre des pouvoirs et des autorités. Certes, nous voyons à l’heure actuelle dans nos départements à quel point nos concitoyens souffrent. La crise frappe toutes les entreprises, qu’elles soient de grande taille et détenues par des actionnaires étrangers, ou petites et de nature artisanale, agricole ou commerciale. Dès lors, dans cette situation très difficile, une proposition de loi d’amnistie ne serait-elle pas de nature à jeter de l’huile sur le feu et à lancer le signal de la contestation généralisée ? On peut craindre que cette idée n’inspire, non pas les auteurs de ce texte, mais certains de ceux qui les soutiennent. Pensez-vous sincèrement que c’est ainsi que nous parviendrons à apaiser le malaise de nos concitoyens ? À une certaine époque, sous le régime monarchique, on avait institué la fête des fous. Le rôle du législateur dans la République française n’est pas d’organiser un carnaval pour calmer les foules en octroyant un droit ponctuel à la violence et à la dégradation des biens d’autrui. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Le rôle du législateur est de trouver d’autres solutions, mieux inspirées. Vous l’aurez compris, madame le ministre, mes chers collègues, le groupe UDI-UC est par principe hostile à toute loi d’amnistie en dehors d’un contexte historique nécessitant une réconciliation nationale. Nous pensons que de tels textes sont des actes de mauvaise législation et ne doivent plus être proposés. Nous voterons donc contre cette proposition de loi. Je me permets, en revanche, d’inviter tous ceux et celles qui sont animés par la volonté de lutter contre le malaise social à œuvrer au retour de la croissance en travaillant ici sur d’autres textes, plutôt que d’accorder un tel droit, manifestement contraire à l’esprit de la République. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)