Les interventions en séance

Affaires sociales
Nathalie Goulet 26/10/2011

«Projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament »

Mme Nathalie Goulet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites. Pour ma part, je voudrais d’abord rendre hommage à Marie-Thérèse Hermange et à François Autain, qui ont, avec constance et acharnement, en faisant preuve d’une grande honnêteté intellectuelle, suivi ce dossier de la politique du médicament. En effet, si le rapport rédigé par Marie-Thérèse Hermange et Anne-Marie Payet après le scandale du Vioxx et intitulé « Médicament : restaurer la confiance », rapport déposé le 8 juin 2006, avait tant soit peu retenu l’attention du gouvernement d’alors, il est fort probable que l’affaire du Mediator n’aurait pas existé, à tout le moins pas dans de telles proportions, car ce sont essentiellement ses préconisations que nous examinons aujourd’hui à travers ce projet de loi. Vice-présidente de la mission commune d’information, je n’ai pas pu assister, en raison des élections sénatoriales, à l’ensemble des auditions ; néanmoins, j’ai été très attentive aux soixante-cinq propositions qui figurent dans le rapport. Elles sont toutes très importantes, car nous sommes tous des malades en puissance. Lors de l’examen des articles, j’interviendrai sur les dispositions relatives à la pharmacovigilance. Il se trouve que la mission commune d’information s’est rendue aux États-Unis. Nous avons pu y examiner à la fois la question des class actions et les dispositifs de pharmacovigilance. Ces derniers sont très développés dans ce pays, pour des raisons structurelles qui tiennent au système de soins américain et à la place des assurances. Je limiterai mon intervention à la question des conflits d’intérêts, que les orateurs précédents ont déjà largement évoquée. Cette question constitue le volet le plus emblématique du présent projet de loi. Car c’est bien dans ce terreau de la confusion des genres que germent les affaires comme celle du Mediator, affaires qui ne se limitent pas, hélas ! au domaine de la sécurité sanitaire. La loi doit établir une étanchéité la plus absolue possible entre les intérêts marchands et la protection de la santé des personnes. C’est ce à quoi tend le titre Ier du présent projet de loi en unifiant les dispositions concernant les déclarations d’intérêts des experts et en les généralisant à l’Institut national du cancer et aux agences régionales de santé. Comme le recommandait le rapport de la mission commune d’information, l’article 1er établit un socle commun à tous les experts, et parties prenantes au système de veille sanitaire du médicament. Ce texte tend donc à simplifier le dispositif, à en améliorer la transparence tout en l’universalisant. C’est propre à établir une protection effective. Sur cette base solide, nos collègues députés et notre rapporteur ont encore renforcé le dispositif en étendant aux conjoints, aux ascendants et aux descendants l’interdiction de liens indirects personnels ou en étendant la compétence de la commission de déontologie créée par la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite « loi Sapin », aux personnels des conseils et agences sanitaires soumis à déclaration publique d’intérêts. Je salue particulièrement la clarification opérée par notre rapporteur visant à bien établir que la déclaration publique d’intérêts concernera autant les dirigeants des autorités sanitaires que les membres d’instances collégiales. De même, l’article 2 du texte, notre Sunshine Act, fixe enfin les conditions de publicité des relations entre les acteurs du système de santé et les entreprises. Là encore, je salue le renforcement du dispositif opéré par notre commission des affaires sociales afin, par exemple, d’assurer la publicité des liens entre les entreprises et les établissements qui assurent la formation initiale des futurs professionnels de santé ou d’imposer la publication des rémunérations versées. Nous avons également interdit aux entreprises de passer des conventions d’hospitalité avec les étudiants ou de leur octroyer des avantages, et ce afin de limiter au maximum l’emprise des laboratoires sur l’Université. Il restera à régler le problème du financement de la recherche. C’est une équation difficilement soluble et nous ne l’avons pas encore résolue. Clairement, comme cela se pratique un peu partout dans le monde, il faudrait que les laboratoires puissent subventionner des universités, notamment par des dons, plutôt que d’aider directement les étudiants. Enfin, ce dispositif serait un vœu pieux en l’absence de mécanisme de sanctions. C’est l’objet de l’article 3, qui prévoit les sanctions pénales applicables en cas de non-respect des obligations de déclaration pesant sur les personnes ou les entreprises. Ces sanctions pénales me semblent adaptées. L’architecture générale du dispositif de lutte contre les conflits d’intérêts sanitaires dépasse ce seul texte. Nous attendons d’examiner le projet de loi Sauvet, actuellement en instance à l’Assemblée nationale. Le problème des conflits d’intérêts concerne l’ensemble de la vie publique. Si, sur le papier, l’ensemble de ce dispositif semble propre à prévenir les conflits d’intérêts dans le domaine du médicament et des produits de santé, tout dépendra évidemment de la manière dont il sera concrètement mis en œuvre. À cet égard, monsieur le ministre, je note que vous avez prévu une clause de revoyure au bout de trois ans destinée à évaluer son efficacité. C’est très important, car, comme l’a souligné la mission commune d’information, une fois certains établissements créés, leur mode de fonctionnement n’est jamais vérifié. Plusieurs d’entre eux ne communiquent pas les uns avec les autres, alors que cette communication est essentielle. Favorable à l’instauration de mesures coercitives pour faire venir les médecins en zones sous-médicalisées, j’ai été déclarée persona non grata par le corps médical. (Marques d’étonnement amusé sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Gacé ne fait pas le printemps, monsieur le ministre ! Cela étant, j’ai été très contente de vous recevoir, même si ce n’était pas à mon invitation, dans mon département. C’était un honneur. Et une réussite, en effet ! Il n’en demeure pas moins que je suis favorable aux mesures coercitives pour faire venir les médecins en zones rurales ! Parce qu’on ne m’a pas laissé la parole ! La Haute Assemblée doit être éclairée sur ce problème orno-ornais. Lorsque M. le ministre est venu à Gacé inaugurer un centre de médecine ambulatoire, les médecins et le député local lui ont dit tout le mal qu’ils pensaient des clauses coercitives. Pour ma part, je pense tout le contraire, mais je n’ai pas pu m’exprimer sur ce sujet. Ces considérations me donnent l’occasion d’attirer votre attention, mes chers collègues, sur les mesures nécessaires en matière de formation. Environ la moitié des médecins qui prescrivent des médicaments contre le cholestérol n’ont pratiquement jamais mis leurs patients au régime. Ce taux atteint près de 30 % pour ce qui concerne les maladies cardiovasculaires, dont on sait qu’elles peuvent être largement évitées avec une alimentation plus saine. Il a été insuffisamment question, aujourd’hui, des dernières assises du médicament. Pourtant, son groupe de travail consacré à la formation et à l’information sur les produits de santé, présidé par Alain-Michel Ceretti, a préconisé un certain nombre de mesures concernant la formation continue et initiale des professionnels de santé : rendre obligatoire la publication des déclarations publiques d’intérêts pour les enseignants ; interdire tout financement direct des laboratoires à destination des étudiants ; rendre obligatoire l’évaluation de la qualité des formations validées, qu’elles bénéficient ou non de financements de l’industrie. En conclusion, monsieur le ministre, je reprendrai mon propos initial pour regretter que ce texte majeur pour l’évolution de notre système de santé n’ait abouti qu’en raison du scandale du Mediator, alors qu’on aurait pu traiter ce problème bien plus tôt. Mais mieux vaut tard que jamais !Je souhaite que les procédures judicaires en cours fassent toute la lumière sur les responsabilités de façon à dissuader à jamais certains industriels de se comporter de façon bien légère en matière de sécurité sanitaire. Nous sommes tous des malades potentiels. À ce titre, nous suivrons avec une particulière attention l’application du texte que vous soumettez aujourd’hui à notre examen. (Applaudissements sur les travées de l’UCR.)