Les interventions en séance

Droit et réglementations
Lana Tetuanui 26/06/2015

«Projet de loi modernisation droit d՚outre mer»

Mme Lana Tetuanui

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous saluer comme nous le faisons en Polynésie française, mon si beau pays : Iaorana, Manava e Maeva ! Depuis près de trois années, les questions ultramarines sont devenues une préoccupation régulière du Parlement en général et du Sénat en particulier. Ainsi, après la loi de 2012 relative à la régulation économique et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer et le projet de loi modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relatif à l’octroi de mer, adopté définitivement le 18 juin dernier, le présent projet de loi n’ambitionne rien de moins que de moderniser le droit de l’outre-mer. L’intention est louable, monsieur le secrétaire d’État. Nous sommes nombreux dans cet hémicycle, élus de l’outre-mer, à mesurer combien il est parfois difficile d’appliquer le droit produit en métropole. Nous mesurons également combien il est complexe de faire évoluer des régimes juridiques parfois archaïques qui pénalisent nos concitoyens ultramarins. Aussi, il est regrettable que nous ayons à examiner un catalogue de mesures, certes utiles prises individuellement, mais dont l’ensemble paraît dénué de vision et de projet pour les outre-mer. C’est d’autant plus regrettable que nous voici face à un texte unique dont la vocation est de répondre à des problèmes qui se conjuguent différemment selon la collectivité concernée. Je partage donc clairement l’analyse de M. le rapporteur. Ce texte ne modernise pas suffisamment le droit ultramarin ; il a, avant toute chose, vocation à aménager certains dispositifs ou à proroger quelques mesures transitoires. De ce point de vue, ce projet de loi arrive à point nommé. En revanche, la méthode utilisée est tout de même un peu regrettable. Nous savons tous qu’il ne faut pas voter des textes inapplicables sur le terrain et qu’il ne faut pas non plus voter des textes qui ne sont pas assortis de mesures concrètes d’exécution. Sur le fond, toutefois, le groupe UDI-UC n’a pas de réserves majeures quant au contenu effectif du projet de loi, sauf sur quelques articles relatifs à la Polynésie française au sujet desquels je souhaiterais apporter mon éclairage. Concernant l’article 11 et la question du statut des agents communaux de Polynésie française, nous faisons clairement face à un problème de délais d’exécution. Depuis 1971, les agents communaux étaient soumis au droit privé. Alors que, en métropole, la question a été réglée dès 1996 par le Tribunal des conflits au profit du statut de droit public, en Polynésie française, il a fallu attendre une ordonnance de 2005 pour parvenir au même résultat, c’est-à-dire pour que soit créée la fonction publique communale polynésienne. L’ordonnance prévoyait un délai de trois ans pour parachever l’intégration des personnels dans la fonction publique. En raison non seulement des difficultés techniques liées au passage d’un statut à l’autre, mais aussi du retard pris par l’État pour publier les décrets d’application, le délai a été prorogé à six ans en 2007, puis ramené à trois ans en 2011. Bref, l’instabilité en la matière est totale, et, le 12 juillet prochain, le délai d’intégration sera forclos. Or, sur les 4 620 agents concernés, seul un millier a pu être intégré. Au total, les trois quarts des personnels risquent de ne pas pouvoir bénéficier de leur droit à l’intégration pour des problèmes techniques liés avant toute chose à l’instabilité des textes votés à Paris. Derrière un problème global de méthodologie, il y a des réalités concrètes sur le terrain. J’aurai l’occasion de présenter un amendement sur ce sujet afin de concourir à l’amélioration du texte en accordant un délai de trois années supplémentaires pour achever l’intégration des professionnels. Concernant l’article 15, nous pouvons y lire un témoignage supplémentaire de l’inadaptation du droit national à certaines réalités propres à la Polynésie française. Avant la loi électorale de 2013, au sein des communes, les maires délégués des communes associées étaient élus au scrutin majoritaire parmi les membres de leur section électorale ; cela n’a jamais posé problème, et nous n’avons jamais souhaité l’évolution du droit en ce domaine. Nous sommes cependant passés en 2013 à un système de représentation proportionnelle qui n’est pas compatible avec la spécificité des communes associées. En effet, dans ce système proportionnel, la section majoritaire au sein d’une commune est parfois en mesure de faire élire des maires délégués qui ne sont pas issus de la section correspondante élue. C’est comme si, à Paris, les conseillers municipaux du XXe arrondissement désignaient le maire du Ier arrondissement. C’est absurde sur le plan du droit et c’est choquant d’un point de vue démocratique, puisque ce système ne fait que consacrer la tyrannie de la majorité entre des communes associées. Il serait pourtant simple de parvenir à de meilleurs textes, plus opérants et plus lisibles : il suffirait d’écouter et de prendre en compte l’avis des élus locaux, qui connaissent mieux que quiconque la réalité des problèmes rencontrés sur place. L’Assemblée de la Polynésie française a rendu son avis sur le présent projet de loi la semaine dernière, mais son analyse n’a pas été entendue. Dans le même ordre d’idées, le congrès des maires de Polynésie française aura lieu en septembre et devrait permettre d’aboutir à des propositions concrètes pour répondre au problème du mode de scrutin municipal. Au demeurant, il faut dénoncer le véhicule utilisé pour cette réforme communale. En effet, le code général des collectivités territoriales est un outil mal adapté à notre collectivité, et il eût été préférable de conserver en Polynésie française, comme en Nouvelle-Calédonie, un code des communes évoluant lorsque cela s’avère nécessaire. Tout cela est vraiment dommage, car le projet de loi aurait pu permettre de résoudre de nombreux problèmes assez lourds pour les territoires ultramarins. Derrière la question des agents communaux et du mode de scrutin des élections municipales en Polynésie française, des pans entiers de notre législation posent problème et s’articulent difficilement avec la spécificité des statuts des territoires ultramarins. Le projet de loi ne prend pas la mesure totale de ces enjeux, mais, en l’état, il peut constituer un progrès sous réserve de l’adoption des amendements que je présenterai. C’est à cet horizon que le groupe UDI-UC déterminera sa position finale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)