Les interventions en séance

Culture
Catherine Morin-Desailly 26/01/2011

«Proposition de loi relative au patrimoine monumental de l’État»

Mme Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis bientôt vingt ans, la France est devenue la première destination touristique au monde. En 2007, nous avons même établi un record historique en accueillant 82 millions de touristes étrangers ! L’attrait de notre pays s’explique par le grand nombre et la variété de ses intérêts : la diversité des paysages, la qualité des structures d’accueil et, bien entendu, la richesse de notre patrimoine historique, culturel et artistique. Et pour cause ! Notre territoire n’abrite pas moins de 44 000 monuments historiques et 2 300 parcs et jardins protégés au titre des Monuments historiques. J’ajouterai que, si notre patrimoine attire les étrangers, les Français aiment aussi le visiter. Le succès des Journées du patrimoine ne se dément pas. Chaque année, depuis vingt-sept ans, ce sont des millions de visiteurs qui souhaitent découvrir ou redécouvrir une partie de leur patrimoine. Cette opération est une façon pour nos concitoyens de s’immerger dans notre grande histoire commune, de se réapproprier une part de notre mémoire collective. Cette histoire et cette mémoire collectives, on les doit à une politique patrimoniale qui, depuis le célèbre discours de l’abbé Grégoire sur le vandalisme en 1794, s’est progressivement mise en place, au cours des décennies et des siècles qui ont suivi, à travers la législation.
La question de fond, ces dernières années, est pourtant de savoir comment continuer à sauvegarder, et surtout entretenir, d’innombrables monuments nationaux quand l’État n’a plus les moyens d’assumer cette charge.
C’est ainsi que, depuis 2003, alors que plusieurs chantiers de restauration ont été interrompus, que des monuments ont été contraints à la fermeture pour des mesures de sécurité, que de nombreux châteaux ont été vendus à de riches étrangers, une série de réformes ont été engagées. C’est dans ce contexte que la voie de la dévolution du patrimoine monumental de l’État a été ouverte en 2004, lors de la deuxième phase de décentralisation, à l’issue du travail de la commission présidée par M. René Rémond. La loi relative aux libertés et responsabilités locales a permis aux collectivités territoriales de demander le transfert de propriété de monuments historiques et de sites archéologiques appartenant à l’État, en vue d’assurer leur conservation et leur valorisation intellectuelle. Mais, au final, ce sont seulement soixante-cinq monuments sur 176 transférables qui l’ont été : quarante-trois au bénéfice des communes, seize des départements et six des régions. Il faut souligner qu’aucun bilan de cette première vague de transferts n’avait réellement été fait alors que nous découvrions, au détour du fameux article 52 du projet de loi de finances pour 2010, que le Gouvernement avait inscrit qu’un monument national pouvait être transféré par l’État à une collectivité territoriale, sans les gages et garanties nécessaires. Les parlementaires se sont alors légitimement émus de ces dispositions qui ont été finalement retoquées par le Conseil constitutionnel. Dès lors, il était de la responsabilité du Parlement de prendre le temps de la réflexion et de l’analyse, de garantir à travers un certain nombre de précautions la cohérence de notre politique patrimoniale nationale. C’est chose faite, grâce au texte que nous soumet Françoise Férat. Je tiens à saluer à cet égard la réactivité du président de la commission de la culture, Jacques Legendre, et de notre collègue Françoise Férat pour avoir lancé cette réflexion permettant d’aboutir à un texte important et nécessaire.
Ce texte est soutenu par la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture, qui parle de perspectives nouvelles et rigoureuses. Il est très important de le souligner. Un certain nombre de principes fondent le texte dont nous débattons aujourd’hui. Il offre trois niveaux de garanties à une possible dévolution du patrimoine monumental étatique. Tout d’abord, il crée un Haut Conseil du patrimoine, dont je ne rappellerai pas la mission, mes collègues l’ayant fait avant moi. Ensuite, en établissant des transferts encadrés par plusieurs conditions – l’avis favorable du Haut Conseil du patrimoine, le suivi de l’information et le transfert des personnels –, le texte pose les garanties d’un traitement du patrimoine dans son plus grand respect, de telle sorte qu’il ne puisse être bradé ou cédé sans aucun contrôle sur son devenir. Enfin, en définissant une procédure à titre gratuit pour des transferts accompagnés d’un projet culturel, cette proposition de loi encourage l’ouverture et le renouveau des monuments. Certains bâtiments, parfois abandonnés, mal entretenus, trop peu visités, pourraient, grâce à ces projets, connaître un nouveau souffle. Comme le soulignait à très juste titre M. Jean-Jacques Aillagon, « il y a, dans une politique du patrimoine, l’expression d’une politique de démocratisation de la culture et, tout simplement, une politique du partage civique. » On le voit, l’ambition assumée de ce texte est d’encadrer la passation par trois grands principes : la précaution en intervenant tout au long de la procédure, le respect de l’esprit culturel et historique du lieu et la garantie que le patrimoine reste un lieu de vie accessible au public. Je me réjouis que ce soit notre assemblée, de surcroît par l’intermédiaire d’une collègue centriste, qui porte cette avancée législative. Les propositions qui sont faites posent les principes d’une éthique dans la gestion de notre patrimoine national.
Je regrette, par exemple – mais, à l’avenir, cela ne se reproduira plus si nous votons cette proposition de loi –, qu’à Rouen, dans ma ville, le couvent des Gravelines, qui date du début du 17e siècle et dont l’État, via la direction régionale des affaires culturelles, ou DRAC, de Haute-Normandie, s’est dessaisi, ait, immédiatement après sa vente, été démantelé pour qu’une partie du verger alentour soit revendue à un promoteur. Le cas de l’hôtel de la Marine a été un révélateur, comme l’a dit Françoise Férat. Il est aujourd’hui une référence mais, on le voit à travers l’exemple que j’ai cité, il existe malheureusement bien d’autres cas. L’objectif de ce texte est d’éviter le dépeçage des monuments historiques. Je formule le souhait, à cette tribune, qu’il puisse d’ailleurs inspirer les collectivités locales qui pourraient être elles-mêmes tentées, à leur niveau, de vendre de manière hâtive et non inspirée leur patrimoine, en allongeant, comme elles le font parfois, la longue liste de lieux remarquables cédés au privé et définitivement non accessibles au public. Avant de conclure, je voudrais insister sur deux points. Premièrement, monsieur le ministre, j’insisterai sur le rôle essentiel que doit continuer à jouer le ministère de la culture en matière de protection du patrimoine et de veille, par le biais du classement. Je m’appuie encore une fois sur mon expérience personnelle d’élue locale – certains de nos collègues, dont notre ami Yves Dauge, verront à quoi je fais référence –, pour souligner l’efficacité avec laquelle les services de l’architecture et du patrimoine étaient intervenus, il y a deux ans, lorsque je les ai saisis pour éviter la destruction d’un ensemble remarquable et identifié de l’architecte urbaniste Marcel Lods, que l’actuel maire de Rouen avait malheureusement fait voter. L’État peut et doit garantir une politique patrimoniale exemplaire. Deuxièmement, il nous faut réaliser aujourd’hui que la mondialisation bouscule le monde du patrimoine. L’approche et la coopération internationales sont, de ce fait, rendues nécessaires en matière de protection des biens culturels, y compris en cas de catastrophes naturelles ou encore de conflits armés mais aussi de trafics illicites. Cela m’amène à remercier notre collègue Amboise Dupont d’avoir proposé que soit insérée la notion de « patrimoine mondial » dans le code du patrimoine. Les documents d’urbanisme devront désormais tenir compte des exigences qui découlent de ce classement par l’UNESCO. La massification du tourisme, l’envol du marché de l’art mondial, y compris le développement rapide des nouvelles technologies, ne sont pas non plus sans poser de question. Sur ces sujets, c’est aussi au niveau européen qu’il nous faut agir. Seul un projet comme Europeana pourra prétendre rivaliser avec la gigantesque bibliothèque mondiale ambitionnée par Google en préemptant notre patrimoine littéraire. Les centristes que nous sommes pensent que l’Europe, ce doit d’être aussi l’Europe de la culture et qu’il y a un patrimoine spécifique porteur de notre héritage à identifier et à protéger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chargées d’un message spirituel du passé, les œuvres monumentales des peuples demeurent, dans la vie présente, le témoignage vivant de leurs traditions. Aussi, j’espère que notre vote, aujourd’hui, saura garantir le respect nécessaire à cet héritage. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)