Les interventions en séance

Jean-Léonce Dupont 25/10/2012

«Proposition de loi visant à abroger la loi du 27 septembre 2010 visant à lutter contre l՚absentéisme scolaire»

M. Jean-Léonce Dupont

Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la proposition de loi que nos collègues socialistes ont choisi d’inscrire à leur ordre du jour réservé visait initialement à supprimer purement et simplement le dispositif de lutte contre l’absentéisme scolaire mis en place par la loi du 28 septembre 2010. L’exposé des motifs ne fait pas dans la mesure et qualifie les dispositions de la loi dite « Ciotti » d’« injustes », d’« inégalitaires », d’« inopportunes », d’« inadaptées », d’« inappropriées », leur reprochant une « méconnaissance totale de la réalité », une utilisation de la « menace financière », ainsi qu’une « vision déformée des parents ». Quelle modération ! Quelle objectivité dans l’analyse ! (Sourires sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.) Qu’a donc fait le législateur de 2010 de si inadmissible ? L’obligation d’assiduité scolaire est un principe d’application constante posé dès la loi Jules Ferry du 28 mars 1882. En vertu de ce principe, tous les enfants âgés de six ans à seize ans présents sur notre territoire bénéficient aujourd’hui d’une instruction. Elle peut être reçue soit dans un établissement scolaire public ou privé, soit dans leur famille. Les textes prévoient deux types de contrôle pour garantir ce droit à l’instruction : d’une part, le contrôle de l’obligation scolaire, pour s’assurer de l’accès de l’enfant à l’instruction ; d’autre part, le contrôle de l’assiduité scolaire, pour vérifier que l’enfant inscrit dans un établissement scolaire y est effectivement présent. Dans le cadre de ce deuxième contrôle, les politiques mises en œuvre pour lutter contre l’absentéisme scolaire ont varié, certains gouvernements mettant plutôt l’accent sur des mesures de prévention et d’autres sur des mesures plus coercitives, comme la suspension et la suppression des allocations familiales. Ainsi, l’ordonnance du 6 janvier 1959 subordonnait le versement des prestations familiales au respect de l’obligation d’assiduité scolaire. Cependant, la suppression, en 2004, de ce système et son remplacement, en 2006, par un contrat de responsabilité parentale ainsi, parallèlement, que par le pouvoir donné au président du conseil général de demander la suspension des allocations familiales, n’ont pas eu l’effet escompté. Par conséquent, comme il est souligné dans le rapport de la commission de la culture sur la proposition de loi en discussion, la loi Ciotti a au final repris l’ancien régime de suspension des allocations pour manquement à l’obligation d’assiduité scolaire, en vigueur jusqu’en 2004. Comme le reconnaît M. le rapporteur, « rétablissant une sanction administrative en plus des sanctions pénales, la loi Ciotti prévoit un régime gradué de suspension des allocations familiales aux parents des élèves absentéistes ». Reconnaissez, mes chers collègues, que nous sommes loin de la présentation un peu caricaturale décrite dans l’exposé des motifs de la proposition de loi ! La sanction sur les allocations familiales n’est utilisée qu’en dernier recours. Pour autant, souhaitant que le débat parlementaire soit non pas dogmatique, mais constructif, je pense utile que nous nous interrogions sur l’efficacité et l’impact des lois que nous élaborons. Qu’en est-il dans le cas présent ? En premier lieu, le dispositif de la loi Ciotti n’est véritablement entré en vigueur qu’au mois de janvier 2011, date du décret d’application de la loi. Nous n’avons donc un recul dans le temps que très limité pour établir un bilan : à peine vingt mois, et même moins si l’on décompte les vacances scolaires. Oserai-je rappeler que le Président de la République a lui-même proposé d’élargir et d’assouplir « le droit à l’expérimentation » ? Ayons à l’esprit que, pour mener à bien une expérimentation, pouvoir en dresser un bilan et en tirer des conséquences, il faut savoir donner du temps au temps. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) Or, dans notre pays, nous avons trop souvent le défaut de tirer les conclusions avant la fin de l’expérimentation, parfois même avant le début. En second lieu, les données quantitatives sont très parcellaires et les dispositifs d’évaluation prévus par la loi n’ont pas été mis en œuvre. Ainsi, sait-on que, entre janvier 2011 et mars 2012, 472 familles au total ont été sanctionnées pour l’absentéisme scolaire répété de leur enfant et privées partiellement d’allocations ? Mais, alors que la loi prévoit le signalement des élèves absents quatre demi-journées ou plus par mois sans motif valable, je m’étonne que le ministère de l’éducation nationale n’ait pas été en mesure de donner au Parlement – le voulait-il vraiment ? – des chiffres plus précis sur le nombre de signalements, le nombre d’avertissements aux familles, le nombre de demandes de suspension, le nombre de suspensions effectives et le nombre de rétablissements des allocations familiales du fait du retour à l’école des élèves. Il a fallu être aujourd’hui dans l’hémicycle pour recevoir quelques données chiffrées de la part de Mme la ministre déléguée. En tant que président du conseil général du Calvados, je suis en mesure de dire que, dans mon département, pour l’année scolaire 2011-2012, 270 courriers liés à l’absentéisme scolaire ont été envoyés aux familles par la direction départementale de l’éducation nationale. Au final, seules 13 demandes de suspension du versement des allocations familiales ont été engagées. Je dois reconnaître que l’absentéisme des élèves âgés de six à seize ans ne constitue pas un problème majeur dans le Calvados. Afin de tenir compte des difficultés psychologiques, environnement social ou familial complexe ou autres dérives, le conseil général a mis en place des partenariats élargis et contribue aux financements de centre de formation ou classe atelier. Ces dispositifs-relais assurent une prise en charge spécifique, adaptée aux difficultés propres aux élèves signalés aux services sociaux. Ils permettent de réinsérer ces élèves dans le cadre de parcours de formation générale, technologique ou professionnelle sous statut scolaire. Le département cherche avant toute chose à développer des politiques de prévention, en coordination avec les services de l’éducation nationale, afin de proposer très précocement des interventions à but psycho-médico-social auprès des familles concernées. Toutefois, d’après les informations qui me sont remontées des services du département, la loi Ciotti a permis une meilleure communication entre les différents acteurs, notamment par l’information systématique de l’envoi des courriers de signalements des enfants absents, ce qui permet ensuite de mieux cibler les interventions. Le dispositif de la loi Ciotti est volontairement réduit par certains à la suspension des allocations familiales. Mais en réalité, si sa procédure graduée n’apparaît pas comme la panacée pour pallier l’absentéisme scolaire, elle constitue un outil, qu’il convient d’utiliser ou non jusqu’à son terme selon les situations. (Approbations sur les travées de l’UMP.) Peut-être que le retour sur les bancs de l’école après la suspension des allocations familiales ne concerne que quelques dizaines d’enfants en France, et heureusement ! Pour autant, est-ce la preuve de l’inutilité totale de la procédure ? Dans le cadre de la politique baptisée « Refondation de l’école », le ministre de l’éducation nationale a annoncé une réflexion relative aux dispositions de lutte contre l’absentéisme et au décrochage scolaire. Ainsi, une loi de programmation et d’orientation est annoncée ; elle doit être présentée en conseil des ministres au mois de décembre prochain, pour une discussion au Parlement à compter de janvier 2013. Alors, mes chers collègues, notamment mes collègues socialistes, pourquoi ne pas profiter de ce temps de réflexion souhaité par le ministre pour évaluer au mieux le dispositif de la loi du 28 septembre 2010, quitte au besoin à en décider la suppression, mais en formulant de véritables propositions de remplacement, dans l’intérêt des enfants ? Le groupe UDI-UC, à une exception près, votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)