Les interventions en séance

Droit et réglementations
25/01/2011

«Proposition de loi relative à l’atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d’un troubles mental ayant altéré leur discernement au moment des faits»

M. Jean-Paul Amoudry

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les textes consensuels dans notre assemblée sont suffisamment rares pour être salués : c’est bien l’un d’eux que nous examinons aujourd’hui. Cette proposition de loi est, en effet, le fruit d’un travail remarquable du Sénat auquel toutes ses composantes ont participé. Cela a déjà été rappelé, dès l’examen de la loi pénitentiaire, Nicolas About et Jean-Jacques Hyest avaient souligné la nécessité de mettre en place un groupe de travail sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions. Ce groupe de travail, dont la présente proposition de loi reprend les recommandations, a été animé conjointement par la commission des affaires sociales et la commission des lois. L’occasion m’est ici donnée de saluer l’excellent travail de nos collègues Jean-Pierre Michel, Gilbert Barbier, Christiane Demontès et Jean-René Lecerf. L’article 122-1 du nouveau code pénal a établi une distinction entre l’abolition du discernement et son altération. Dans le premier cas, la personne ayant commis une infraction est déclarée irresponsable ; dans le second cas, elle est pénalement responsable, donc punissable. Cependant, si le facteur d’altération du discernement n’emporte pas l’irresponsabilité, il implique, dans l’esprit du législateur, une atténuation de la responsabilité pénale. Or tel n’est pas le cas dans la jurisprudence. C’est même le contraire qui s’observe puisque l’altération du discernement conduit parfois, en particulier aux assises, à une aggravation de la peine prononcée. C’est ce qui ressort des travaux conduits par le groupe de travail sénatorial. Pour remédier à cet état de fait, la principale disposition de la proposition de loi est d’inscrire explicitement dans la loi que la peine privative de liberté est réduite du tiers en cas d’altération du discernement au moment de l’accomplissement de l’infraction, et ce en contrepartie d’un renforcement des obligations de soins pendant et après l’exécution de la peine. Je veux, à ce stade, faire un commentaire d’importance : la présente proposition de loi ne doit en aucun cas être interprétée comme l’expression d’une défiance du pouvoir législatif à l’égard de l’autorité judiciaire. Cette défiance, la magistrature la ressent aujourd’hui parfois vivement dans une ambiance que certains textes et projets – mesures sur les peines planchers de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI, introduction des jurys populaires en correctionnelle – tendent à entretenir. Mais ici, rien de tel, car nous avons affaire à un texte équilibré. Il ne réduit pas le pouvoir d’appréciation du juge : une peine encourue de trente ans sera ramenée à vingt ans pour les malades mentaux comme elle l’est à quinze ans pour les mineurs. Dans la limite de ce plafond, le juge décidera de la durée de la peine la plus appropriée.
Si l’équilibre des pouvoirs n’est donc pas l’enjeu principal de cette proposition de loi, celle-ci en soulève un autre, de non moindre importance. Le rapport du groupe de travail sur la prise en charge des malades mentaux ayant commis des infractions fait état d’un chiffre plus qu’alarmant, qui a déjà été cité : 10 % des détenus actuels souffrent d’une altération mentale ; et encore, il ne s’agit pas de tous les détenus malades, mais d’une estimation du nombre de ceux qui sont spécifiquement concernés par le texte qui nous occupe, c’est-à-dire les détenus atteints de troubles mentaux tels que, pour eux, la peine n’a aucun sens. Ce constat revêt une extrême gravité, parce qu’il signifie tout simplement que nous peinons à concrétiser le principe de base sur lequel se fonde tout notre droit pénal, depuis Beccaria jusqu’à Marc Ancel, la summa divisio entre personnes responsables et personnes irresponsables. Pourquoi peinons-nous à le faire ? À l’origine, ce n’est pas une question de droit, mais une question de moyens. Les travaux de la Haute Assemblée l’ont bien montré, les services médico-psychologiques régionaux sont souvent insuffisants et le manque de psychiatres rend difficile la prise en charge des malades mentaux : c’est le problème, que nous connaissons bien, de la démographie médicale, abordé sous l’angle de la justice pénale. La conséquence en est que, faute de pouvoir soigner, on incarcère ! Cette situation n’est pas acceptable ; elle l’est d’autant moins que la justice, elle aussi, manque de moyens. La loi pénitentiaire ne l’a que trop montré ! Nous voici donc dans la configuration de l’aveugle et du paralytique, à la confluence de la justice et de la santé, face à deux administrations qui, faute de moyens opérationnels suffisants, sont contraintes, si vous me permettez cette image, de se « renvoyer la balle ». Pour y remédier on appelle le législateur à la rescousse : hier, avec la loi pénitentiaire ; aujourd’hui, avec la présente proposition de loi ; demain, avec la réforme de l’hospitalisation d’office. Mais, nous le savons bien, l’intervention du législateur a ses limites. En effet, s’il peut toujours légiférer, le législateur ne réglera pas le problème tant que les moyens médicaux manqueront et que le système judiciaire sera tenu de supporter, tant bien que mal et plutôt mal que bien, une charge qui ne devrait pas lui revenir. C’est sur ce point clef, madame la secrétaire d’État, que le groupe Union centriste tenait à attirer votre attention, avant de s’apprêter à voter la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, de l’UMP, du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)