Les interventions en séance

Collectivités territoriales
Yves Détraigne 24/06/2010

«Proposition de loi visant à réformer le champ des poursuites de la prise illégale d’intérêts des élus locaux»

M. Yves Détraigne

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, on ne peut pas, d’un côté, dénoncer la désaffection du politique et, de l’autre, rendre l’exercice des mandats parfois impossible ; de même, il est évidemment intolérable que des élus profitent de leurs fonctions pour s’octroyer des avantages personnels.
C’est tout l’enjeu du présent débat, un enjeu qui soulève la question de la nature même de la démocratie, en particulier locale, de sa déontologie et des conditions de sa concrétisation.
Le débat n’est pas nouveau, puisque c’était déjà exactement la problématique de la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, dite « loi Fauchon », du nom de notre collègue de l’Union centriste.
Bernard Saugey l’a indiqué tout à l’heure, et j’ai écouté attentivement M. le secrétaire d’État à l’instant : que n’a-t-on pas dit à l’époque de la discussion de cette loi Fauchon !
Il s’agissait d’une autoamnistie des élus qui voulaient se protéger, etc. Il est vrai que, voilà une dizaine ou une douzaine d’années, avant que la proposition de loi Fauchon ne soit examinée, nous en étions arrivés à des excès absolument insupportables ! Mais tout le monde, ou presque, convient aujourd’hui que nous sommes parvenus à un certain équilibre. Je ne doute pas que la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, dont j’attribuerai la paternité non seulement à Bernard Saugey, mais également, si j’ai été bien attentif, à Pierre-Yves Collombat, ne remettra pas en cause cet équilibre.
En dix ans, la loi Fauchon est devenue un stabilisateur de la vie démocratique locale parce qu’elle a su établir un équilibre satisfaisant entre responsabilité politique et responsabilité pénale des élus.
C’est donc la même question qui nous est posée aujourd’hui : une question d’équilibre.
La proposition de loi dont nous abordons la discussion, en recadrant la prise illégale d’intérêt, rétablit un équilibre qui a été rompu entre nécessaire sanction de la prise illégale d’intérêt et exercice normal des mandats. Je crois que cela s’imposait !
Le premier alinéa de l’article 432-12 du code pénal, je le rappelle, définit ce délit – c’est une définition un peu longue et rébarbative, je le reconnais – comme « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ». En clair, on cherche la marge de manœuvre de l’élu : quand peut-il intervenir sans prendre de risque ?
Or, l’interprétation faite de ce texte par le juge est devenue parfois très problématique. Parce qu’ils présidaient des associations ayant bénéficié de subventions communales, des élus municipaux ont été condamnés pour prise illégale d’intérêt, alors qu’ils n’en avaient pas retiré le moindre profit à titre individuel. Anne-Marie Escoffier l’a d’ailleurs parfaitement illustré par les exemples qu’elle a cités.
Cette jurisprudence ne tombe pas du ciel. Elle tient, je crois, au caractère particulièrement flou de l’un des termes clefs du texte de la loi, celui d’ « intérêt quelconque ».
Il faut avoir un « intérêt quelconque » dans une entreprise ou une opération pour que le délit soit constitué. Dans ces conditions, il n’y a rien d’étonnant, en réalité, à ce que le juge ait pu interpréter l’intérêt sanctionné comme, d’une part, indépendant de la recherche d’un gain ou de tout autre avantage personnel et, d’autre part, comme non nécessairement en contradiction avec l’intérêt communal !
Seulement, voilà : cette interprétation place les élus locaux dans une situation particulièrement délicate dans la mesure où il leur incombe souvent de représenter ès qualités leur collectivité dans des organismes extérieurs qui concourent à l’action publique locale. On en arrive à une situation de blocage, une logique de l’absurde qui, poussée à l’extrême, conduit les élus à encourir une sanction pénale par la seule nature des fonctions dont ils sont investis.
Il y a donc bien incompatibilité entre l’exercice normal du mandat et la « répression » organisée par l’article 432-12, rupture de l’équilibre entre administration territoriale et sanction pénale.
Force est de constater que l’adoption de la présente proposition de loi rétablira l’équilibre rompu. En redéfinissant plus précisément la prise illégale d’intérêt comme relevant d’« un intérêt personnel distinct de l’intérêt général », elle exclut du champ de la répression les élus siégeant ès qualités comme représentants de leur collectivité au sein d’instances extérieures dans la mesure où ils n’y prennent pas d’intérêt personnel distinct de l’intérêt général.
C’est donc un texte court, certes – il est rare que nous examinions des textes aussi brefs ! –, mais que je crois efficace et qui répondra parfaitement à un problème concret.
Le groupe de l’Union centriste le votera sans hésiter. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)