Les interventions en séance

Droit et réglementations
François Zocchetto 23/07/2015

«Projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne-Deuxième lecture»

M. François Zocchettorapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale

Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne nous revient en nouvelle lecture après que la commission mixte paritaire a échoué. Cet échec peut surprendre puisque le texte en cause était simple à l’origine, visant à transposer des directives ou des décisions-cadres européennes plutôt techniques. L’impression de surprise se renforce lorsque l’on constate que les huit articles que comportait le texte adopté par le Sénat en première lecture ont été adoptés conformes par l’Assemblée nationale, avec quelques modifications rédactionnelles bienvenues. Toutes les conditions étaient donc réunies pour que notre séance de ce matin ne soit qu’une formalité. En réalité, les députés ont fait le choix d’ajouter vingt-huit nouveaux articles à ce texte de transposition, articles dont aucun, sauf un, ne concerne l’adaptation de notre droit pénal à celui de l’Union européenne. Ces vingt-huit articles nouveaux, dont le Sénat n’a pas pu débattre avant la commission mixte paritaire et dont la commission des lois n’a pas été saisie, traitent pêle-mêle de la prise en compte des conditions de la détention pour l’obtention de remises de peine, de la transmission d’informations pénales aux administrations, afin notamment – mais pas seulement – d’assurer la protection des mineurs, de la création d’une majoration des amendes pénales au profit de l’aide aux victimes, etc. Certaines des mesures proposées sont pertinentes. Je pense, par exemple, à la correction de la malfaçon législative relative au financement des partis politiques. Cette erreur fait d’ailleurs l’objet d’une proposition de loi déposée par notre collègue Jean-Pierre Sueur. En revanche, il en est d’autres qui appellent des débats. Et leur accumulation pose une question de principe. Les limites au droit d’amendement en première lecture ont été clairement dépassées, ce qui porte tout aussi nettement atteinte aux prérogatives du Sénat et du Parlement dans son ensemble. Je rappelle que ce projet de loi a fait l’objet d’une procédure accélérée. Cela signifie que, le Sénat ayant été saisi en premier, dès lors que l’Assemblée nationale a ajouté vingt-huit articles qui n’ont rien à voir avec le texte d’origine, le Sénat est mis devant le fait accompli et ne peut plus rien faire ! Depuis l’échec de la commission mixte paritaire, nos collègues députés et le Gouvernement s’évertuent à justifier ex post le lien prétendument indubitable que ces dispositions auraient avec l’objet initial du texte. Nous allons entendre tout à l’heure des exposés, certainement brillants, allant dans ce sens. Ils ont d’ailleurs déjà été développés devant la commission des lois, où ils ont été qualifiés d’exercices d’équilibriste, ou même de trapéziste ! (Sourires.) Pour respectables qu’ils soient, comme le sont leurs auteurs, ces exposés n’en restent pas moins entachés de vices profonds. Il me semble nécessaire de rappeler que la notion de transposition ou d’adaptation au droit de l’Union européenne a un sens précis, sauf à lui faire perdre toute signification… Au-delà de cette question de principe sur le respect des prérogatives du Sénat et sur le processus d’élaboration de la loi républicaine dans un domaine régalien, fondamental, celui de la procédure pénale, le texte adopté par les députés pose des problèmes d’opportunité et, plus grave encore, de légalité. En effet, plusieurs dispositions me paraissent très contestables. Il en va ainsi, à l’article 5 septies C, de la possibilité offerte au juge de prononcer à nouveau un sursis avec mise à l’épreuve en faveur d’un récidiviste. Il en va ainsi, à l’article 5 quaterdecies, de l’obligation faite au juge de l’application des peines de tenir compte, pour prononcer des remises de peine complémentaires, de l’impact sur le condamné des conditions matérielles de sa détention et de la surpopulation carcérale. En d’autres termes, si vous êtes placé dans un établissement pénitentiaire surpeuplé, vous bénéficierez automatiquement de remises de peine complémentaires ! Tout aussi contestable est le mécanisme de sur-amende pénale retenu à l’article 4 quater pour financer l’aide aux victimes. Il est sans doute moins efficace qu’une affectation en bonne et due forme du produit des amendes pénales à l’aide aux victimes. Sur ce sujet également, des propositions de loi ont été déposées au Sénat ; je suis moi-même l’auteur de l’une d’elles, qui ne demande qu’à être étudiée ! Enfin, au-delà de ces questions d’opportunité, certaines dispositions, et non des moindres, soulèvent de sérieuses interrogations de légalité constitutionnelle. Je veux, bien sûr, parler de l’article 5 septdecies A, relatif à l’information par le parquet des administrations employant ou exerçant une tutelle sur une personne impliquée dans une enquête pénale. Le dispositif, que nous découvrons, repose sur une double distinction. D’une part, il autorise le procureur de la République à informer l’administration de tutelle d’un agent de toute condamnation pénale qui frappe celui-ci, lorsque, en raison de la nature des faits ou des circonstances de leur commission, cette information est nécessaire à l’exercice, par cette administration, de son contrôle sur ledit agent ou sur ses missions. D’autre part, le dispositif offre la même faculté discrétionnaire au procureur, au stade de la mise en examen de la personne ou de son renvoi devant la juridiction de jugement, c’est-à-dire avant toute condamnation, et ce pour n’importe quelle affaire pénale. En effet, le dispositif n’est pas limité aux affaires relatives à des abus sexuels sur mineurs : il est prévu pour toutes les procédures pénales et pour tous les agents. Le dispositif serait renforcé s’agissant des personnes exerçant une activité auprès des mineurs pour une liste d’infractions, qui est heureusement précisée. Le procureur pourrait alors informer l’administration compétente dès le stade de la garde à vue de l’intéressé. Enfin, la faculté d’information serait remplacée par une obligation en ce qui concerne les condamnations ou les obligations de contrôle judiciaire. Il faut savoir que, en l’état actuel de la réglementation, de nombreuses circulaires – la dernière ayant été prise le 11 mars 2015, donc avant les affaires dramatiques évoquées précédemment – prévoient l’information par le parquet de l’administration de l’éducation nationale. Dans les cas qui nous occupent, l’enquête administrative a montré qu’il n’y avait pas eu de problème au sein du ministère de l’éducation nationale. Mais force est de constater qu’il y a au moins eu un problème dans la relation entre la Chancellerie et le ministère de l’éducation nationale. Pour autant, il est un peu hâtif de dire que rien n’existe aujourd’hui à cet égard. Je reviens sur l’information par le procureur de l’administration compétente dès le stade de la garde à vue de l’intéressé. À ce sujet, je me permets d’évoquer, de façon peut-être un peu terre à terre, ce qui peut se passer en pratique dans deux cas particuliers, que connaissent bien les professionnels du droit. Tout d’abord, dans les procédures de divorce, on observe une pénalisation croissante, au nom du principe selon lequel il peut être recouru à tous les moyens… Je vous laisse imaginer ce à quoi pourrait aboutir l’utilisation de certaines procédures pénales dans le but de déstabiliser l’activité professionnelle d’un des membres du couple. Autre exemple : nous avons tous connu, en tant qu’élus locaux ou que parents d’élèves, des rumeurs visant des enseignants, diffusées soit par des parents mal informés, soit par des personnes un peu immatures. Il est inutile d’insister : chacun voit bien ce qui peut se passer et, malheureusement, se passe effectivement. Ce dispositif, ajouté en dernière minute par les députés, me paraît présenter trois défauts majeurs. Premièrement, il pèche par sa généralité. En effet, il ne se limite pas aux atteintes contre les mineurs : il s’étend, je l’ai dit, à toute infraction et à toute administration. Deuxièmement, quoi qu’en aient dit tout à l’heure les représentants du Gouvernement, il est gravement attentatoire à la présomption d’innocence puisqu’il intervient avant toute condamnation pénale et, surtout, hors du contrôle d’un juge. Je fais partie de ceux qui pensent que des informations peuvent être communiquées avant le stade de la condamnation, mais dans le cadre du contrôle judiciaire et sous le contrôle du juge judiciaire. Troisièmement, enfin, le dispositif proposé opère un transfert de responsabilité de l’autorité judiciaire vers l’autorité administrative pour prendre les mesures préventives nécessaires contre la personne mise en cause. Cette sous-traitance à l’administration, c’est-à-dire au recteur, mais aussi au maire de la commune ou au président du conseil départemental, pour ne citer qu’eux, est problématique, non seulement parce qu’elle prive la personne en cause de tout recours, mais aussi parce qu’elle laisse les administrations totalement démunies face à un problème qui les dépasse. En effet, toute mesure conservatoire que prendraient ces autorités administratives, ces élus en particulier, pourrait être analysée comme une sanction, alors même qu’elles n’ont pas accès au dossier de l’enquête et qu’elles ne pourraient pas motiver cette sanction. Verra-t-on ainsi le juge administratif saisi de la mesure administrative se prononcer avant le juge pénal sur la culpabilité de l’intéressé ? Ce denier défaut est d’autant plus problématique que l’on autoriserait le procureur de la République à sous-traiter la sanction, alors que, dans la plupart des cas visés, il pourrait demander au juge des libertés et de la détention de prononcer à l’encontre de l’intéressé une mesure de contrôle judiciaire limitant son exercice professionnel. Aussi, il me semble qu’un mécanisme s’appuyant sur les obligations de contrôle judiciaire et la transmission obligatoire des condamnations serait plus pertinent, et aurait permis de répondre tout à fait à la situation dénoncée à Villefontaine et à Orgères. Veuillez m’excuser, monsieur le président, mais je développe mon argumentation, car il n’échappe à personne que le débat va être porté devant le Conseil constitutionnel par la suite. Pour l’ensemble de ces raisons de fond, propres à faire douter de la conformité à la Constitution du texte et de la procédure suivie, je vous proposerai d’opposer à ce projet de loi une exception d’irrecevabilité. Je suis tout à fait conscient que certaines des questions abordées par ce texte méritent un examen urgent. Toutefois, je note que plusieurs propositions de loi, dont celle déposée par notre collègue Catherine Troendlé et cosignée par une petite centaine de sénateurs, pourraient faire l’objet d’une inscription rapide à l’ordre du jour pour tenter d’apporter une réponse solide, respectant nos principes constitutionnels, à ce dramatique problème, dont, je le rappelle, il n’était nullement question dans le texte d’origine. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions – M. François Fortassin et Mme Esther Benbassa. applaudissent également.)