Les interventions en séance

Média et Nouvelles technologies
Yves Détraigne 23/03/2010

«Proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique»

M. Yves Détraigne, coauteur de la proposition de loi.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’objet de la proposition de loi dont nous allons débattre peut paraître ésotérique ; il n’en est pas moins d’une réelle actualité.
Nous sommes tous concernés, souvent même à notre insu, par le développement exponentiel des nouvelles technologies numériques, au travers non seulement d’Internet et des réseaux sociaux tels que Facebook ou MySpace, mais aussi des puces Radio Frequency Identification, RFID, qui permettent le développement d’applications telles que le télépéage, le passe Navigo et bien d’autres encore.
Même si vous n’utilisez pas personnellement Internet, mes chers collègues, demandez à votre collaboratrice ou à votre collaborateur de taper votre nom et votre prénom sur un moteur de recherche, et vous verrez que vous êtes présents sur la Toile... Peut-être même redécouvrirez-vous certaines de vos actions passées que vous aviez oubliées ou que vous croyiez oubliées !
Certes, le développement du numérique constitue d’abord pour nos concitoyens une commodité et un progrès. Ainsi, l’apparition du Global Positioning System ou GPS facilite nos déplacements et évite peut-être quelques scènes de ménage à l’intérieur des voitures ! (Sourires.) Le télépéage nous permet de gagner du temps sur l’autoroute. Le passe Navigo assure une meilleure fluidité pour l’accès au métro.
Internet nous permet de tout connaître sur tout et nous rend service dans notre travail de parlementaires. Voilà quelques mois, nous avons, avec Twitter, suivi en direct les manifestations qui se déroulaient en Iran, alors que la censure battait son plein. Et combien d’entre nous ont délaissé leur téléphone portable traditionnel au profit du Blackberry ou de l’iPhone ?
Bref, même sans le savoir, nul ne résiste à l’attrait des nouvelles technologies... Mais leur développement va de pair avec celui des mémoires numériques et avec la possibilité de suivre, voire de révéler les moindres faits et gestes de tout un chacun, et pas seulement au travers d’internet.
Si un GPS vous indique votre position et le chemin que vous devez prendre pour vous rendre là où vous voulez, il pourrait aussi permettre de savoir où vous êtes et dans quelle direction vous allez...
Il s’agit, bien évidemment, non de dramatiser ou de passer pour des « ringards » en voulant limiter, encadrer le développement de ces technologies, mais simplement, pour mettre nos concitoyens en mesure de protéger leur vie privée et leurs données personnelles face aux aspects intrusifs des nouvelles technologies numériques, de compléter le cadre juridique existant, dans la continuité de ce qu’ont fait nos prédécesseurs voilà une trentaine d’années quand, pressentant les développements futurs de l’informatique, ils ont voté la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, laquelle a inspiré ensuite la réglementation européenne.
Force est de constater en effet que, si les nouvelles technologies facilitent la vie quotidienne, elles peuvent aussi être utilisées au détriment de personnes qui n’ont rien à se reprocher et leur nuire durablement.
Je ne prendrai qu’un exemple : l’enquête qui a été menée l’an dernier auprès de recruteurs américains et qui a confirmé que 45 % d’entre eux cherchaient sur internet les informations relatives aux candidats qu’ils allaient recevoir et, surtout, que 35 % d’entre eux avaient rejeté des candidatures au vu de photos ou d’informations privées trouvées sur internet concernant ces candidats, mais sans rapport direct avec le profil et les qualités exigés pour le poste à pourvoir !
Lorsque l’on sait qu’en France 75 % des collégiens utilisent aujourd’hui les messageries instantanées, les chats et les mails, que 40 % d’entre eux possèdent un blog et que 30 % y diffusent des photos d’ « amis », comme l’on dit, on comprend vite la nécessité d’être vigilant et de se donner les moyens de faire en sorte que ce développement exponentiel des nouvelles technologies et des mémoires numériques ne nuise pas à un nombre croissant de personnes qui n’ont rien à se reprocher.
L’objet de cette proposition de loi est donc de mettre en place des mesures permettant aux internautes et autres utilisateurs de technologies numériques de garder la maîtrise de leurs données personnelles. Je serais tenté de dire qu’il y va de l’équilibre de la démocratie !
Je ne vais pas entrer dans le détail de la proposition de loi. Mes collègues y reviendront, tant Mme Anne-Marie Escoffier, coauteur, que M Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois, qui, je dois le dire, est parfaitement entré dans le sujet et a mené ses investigations dans le même esprit que celui avec lequel Anne-Marie Escoffier et moi-même avions travaillé. Les administrateurs de la commission des lois, peut-être plus au fait des nouvelles technologies que nous-mêmes, nous ont très utilement accompagnés dans les travaux qui ont conduit à la publication de notre rapport d’information, intitulé : La vie privée à l’heure des mémoires numériques, puis au dépôt de cette proposition de loi. Permettez-moi aussi de souligner le travail et les apports du rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, Mme Catherine Morin-Desailly.
Je relèverai seulement trois points qui me paraissent essentiels.
Le premier concerne la nécessaire sensibilisation des jeunes, notamment en milieu scolaire, aux questions liées à la protection des données personnelles et, plus généralement, à la vie privée.
Nous sommes, en effet, face au développement de nouvelles technologies pour lesquelles, contrairement à ce qui se passe en règle générale, les parents ne disposent pas forcément des connaissances nécessaires pour transmettre à leurs enfants les informations et les mises en gardes utiles.
Le deuxième point concerne les dispositions qui permettent aux utilisateurs des technologies numériques d’exercer plus facilement les droits que leur reconnaît la loi dite « Informatique et libertés », notamment le droit d’être informés de la durée de conservation des données les concernant et le droit de suppression ou de rectification de celles-ci.
Enfin, le troisième point que je voudrais souligner concerne la nécessité de diffuser une véritable culture « Informatique et libertés » au sein des entreprises et des administrations qui gèrent des traitements de données à caractère personnel lorsque plus de cinquante personnes y ont accès, notamment en y généralisant la fonction de « correspondant informatique et libertés ».
Cette mesure contestée vise non pas à interdire le développement de l’informatique, mais, au contraire, à protéger les entreprises et les administrations contre des utilisations non contrôlées de certaines données au sein de ces structures, donc à l’insu des responsables.
Il faut être conscient que l’irruption du numérique dans notre vie de tous les jours change notre société. Voilà encore quelques années, une information publiée à un moment donné n’était accessible qu’aux individus destinataires du support sur lequel elle se trouvait et était oubliée au bout de quelques jours. Aujourd’hui, une information publiée sur internet devient presque instantanément universelle dans le temps et l’espace. Tout le monde peut y avoir accès sans limite.
Ce texte vise donc non pas à limiter le développement des nouvelles technologies – nous ne sommes ni ringards, ni obscurantistes ! –, mais bien plutôt à le permettre sans qu’il nuise aux individus qui n’ont rien à se reprocher. Il est de notre responsabilité de législateur de nous pencher sur cette problématique émergente et c’est ce à quoi nous vous invitons au travers de cette proposition. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, de l’UMP et du RDSE.)