Les interventions en séance

Budget
Vincent Delahaye 22/11/2012

«Projet de loi de finances pour 2013»

M. Vincent Delahaye

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, autant le dire tout de suite, nous partageons les objectifs de ce projet de budget, à savoir réduire le déficit à 3 % du PIB et donner la priorité à l’éducation, à la recherche, à la justice, à la sécurité et à l’emploi. En revanche, sur la façon d’atteindre ces objectifs, notre avis diverge. Monsieur le ministre, vous privilégiez l’augmentation des impôts, au risque de décourager tous ceux qui font vivre notre économie. Vous continuez d’accroître l’endettement de notre pays, qui augmentera de 65 milliards d’euros. Vous demandez aux collectivités locales des efforts que vous n’imposez ni à vous-mêmes ni aux opérateurs qui dépendent de vous. Vous augmentez les dépenses de nombre de missions qui ne font pas partie des priorités. Enfin, vous faites preuve d’un excès d’optimisme dans les prévisions de croissance et de recettes qui frise l’insincérité. C’est un défaut majeur, vous en conviendrez, pour un budget. Les bons gestionnaires connaissent la recette : un bon budget, c’est la prudence tant en recettes qu’en dépenses, et, au final, vous n’aurez que des bonnes surprises. Eh bien, à l’échelon de l’État, j’ai l’impression que cette recette est ignorée, quels que soient les gouvernements. Aujourd’hui, les questions qui nous sont posées sont simples. En matière budgétaire, pourquoi ne pas adopter des règles de prudence et de bonne gestion comme celles que j’avais proposées, sans succès, l’an dernier ? Comment pourrions-nous accepter un budget qui prévoit un tel matraquage fiscal, sans précédent, et qui, de plus, surévalue largement les recettes ? Combien de temps les marchés vont-ils nous faire confiance ? Année après année, les gouvernements, quels qu’ils soient, retiennent des hypothèses trop optimistes en matière de croissance. C’était déjà le cas l’an dernier ; cela l’est encore cette année Je vous rappelle que le budget qui nous avait été soumis en 2011, à pareille époque, tablait sur une croissance de 1,75 %, quand les économistes, de façon consensuelle, l’estimaient à 1,2 %. Au final, le taux de la croissance atteindra au mieux 0,3 %... Cette année encore, le Gouvernement établit ses hypothèses budgétaires sur une prévision de croissance à 0,8 %. Or tout le monde sait parfaitement que celle-ci, sauf miracle, n’est pas tenable. Alors, pourquoi ne pas faire tout de suite preuve de prudence en retenant le taux estimé de manière consensuelle par les économistes – au mieux 0,4 %, parfois 0,2 % – et pourquoi ne pas aller au-delà en le diminuant encore de 0,5 %, de façon à limiter au maximum le risque de mauvaise nouvelle ? Non seulement vos prévisions de croissance sont trop optimistes, monsieur le ministre, mais en plus vous prévoyez une croissance spontanée des recettes, hors nouvelles mesures, de 8 milliards d’euros, soit 3 % de plus ! Je n’ai pas connaissance que cette année les revenus des Français, la consommation des ménages, l’investissement et les résultats des entreprises aient progressé dans une telle proportion. Nous en aurions entendu parler et, honnêtement, nous nous en réjouirions. Alors, l’optimisme, pourquoi pas ? Un individu, tout comme un peuple, en a besoin. Mais l’excès d’optimisme peut confiner à l’aveuglement et au déni de réalité. En matière de gouvernement, c’est une faute grave, très grave même. Je renouvelle aujourd’hui une deuxième proposition : retenir le principe de proposer autant d’économies de dépenses que de hausses d’impôts. Ce serait un très bon signe envoyé aux Français et à tous les acteurs économiques, le signe que l’État est enfin raisonnable et que les efforts qu’il demande, et qui devront durer quelques années, n’en doutons pas, ne sont pas sollicités en vain. C’est fondamental si l’on veut garder la confiance des Français. Nous devrons tôt ou tard – mieux vaudrait tôt – opérer une correction importante à la baisse de nos dépenses publiques. D’ailleurs, le Président de la République l’a lui-même annoncé récemment. Là aussi, il nous faut en finir avec cette trop grande timidité qui nous empêche de prendre le problème à bras-le-corps. Nous devons être courageux, rigoureux, justes et cohérents. Ce n’est qu’ainsi que nous obtiendrons l’accord d’une majorité de Français pour engager des efforts dans la durée. Visiblement, monsieur le ministre, vous n’êtes pas prêt à retenir ces principes. Vous privilégiez les hausses d’impôts. Ces hausses d’impôts, nous ne pourrons pas les approuver. Non seulement parce qu’elles ne sont pas accompagnées des indispensables réductions des dépenses publiques, mais aussi parce qu’elles sont clairement excessives. Le Gouvernement, à la suite de la publication du rapport Gallois, a enfin pris conscience de la nécessité de favoriser la compétitivité de nos entreprises. Le Premier ministre nous annonce un plan d’aide aux entreprises de 20 milliards d’euros sur trois ans. Dans le même temps, il continue de nous proposer un projet de budget qui prélève chaque année 10 milliards d’euros d’impôts supplémentaires sur ces mêmes entreprises. Dans trois ans, les prélèvements s’élèveront à 30 milliards d’euros, soit 10 milliards d’euros de plus que le montant du plan d’aide ! C’est clair, monsieur le ministre : le premier geste du Gouvernement est de traire les vaches à lait de notre économie. Bientôt, elles n’auront plus de lait et ne pourront plus jouer le rôle de locomotive pour l’économie et l’emploi ! Quand on aura tué nos belles entreprises en les faisant crouler sous les impôts et les taxes, il ne faudra pas venir pleurer parce qu’elles délocaliseront leur production ou les accuser de s’être trompées de stratégie. Le Gouvernement risque d’ici peu d’être entièrement responsable d’un désastre économique malheureusement annoncé. (Mme Michèle André s’exclame.) L’augmentation des impôts concerne aussi les ménages. M. le Premier ministre nous a indiqué que les augmentations d’impôts ne toucheraient qu’un Français sur dix, les plus riches bien sûr. Devant cette énormité, à l’Assemblée nationale, vous avez tempéré cette affirmation en disant qu’il fallait comprendre que 90 % de l’effort fiscal serait assuré par 10 % des contribuables. La réalité, c’est que la décote que vous proposez pour les premières tranches du barème de l’impôt sur le revenu n’empêchera pas des personnes qui ne payaient pas d’impôt l’an dernier d’en acquitter l’an prochain à la suite de la fiscalisation des heures supplémentaires. La réalité, c’est que votre décision de maintenir le gel du barème, contre lequel vous aviez voté l’an dernier, concernera la plupart des contribuables. Or savoir que les riches payent plus ne soulagera pas beaucoup ces derniers lorsqu’ils devront eux aussi passer à la caisse ! Décidément, cette première partie du budget, qui comporte 20 milliards d’euros d’impôts supplémentaires, lesquels s’ajoutent aux 7 milliards d’euros décidés au mois de juillet, est sans doute sans précédent en matière de prélèvements sur les entreprises et sur les particuliers. Ce n’est pas ainsi, en maintenant par ailleurs un niveau de dépenses extrêmement élevé, dont une partie est inefficace, que nous pourrons assainir durablement l’état de nos finances publiques et remettre notre pays sur les rails d’une croissance saine et durable. Dans ces conditions, et j’en arrive à ma troisième question, combien de temps encore les marchés vont-ils nous faire confiance ? Malgré des hausses d’impôts en cascade, en 2013, nous allons continuer à emprunter sur les marchés plus de 500 millions d’euros par jour, heureusement, pour l’instant – et pourvu que ça dure ! –, à des conditions extrêmement favorables. Néanmoins, les charges de la dette représentent le deuxième poste budgétaire de l’État et engloutissent la quasi-totalité de l’impôt sur le revenu. Le jour où les marchés vont corriger leurs positions, la situation sera intenable. On pourra toujours insulter les marchés, qu’on aura sollicités tant et plus auparavant, pointer du doigt la Commission européenne, l’euro, le FMI comme responsables et boucs émissaires, nous ne devrons nous en prendre qu’à nous-mêmes. Il est temps d’être courageux, monsieur le ministre, et je suis sûr que, au fond de vous, vous l’êtes. Mais vous représentez un gouvernement qui ne l’est pas ! (Oh ! sur les travées du groupe socialiste.) Et je suis sûr que, de temps en temps, le matin, en vous rasant, vous n’êtes pas loin de penser, comme moi, qu’il faudrait aller beaucoup plus loin en matière de réduction des dépenses. Enfin, pour conclure, je citerai un homme dont j’ai toujours admiré la lucidité, Raymond Aron, qui a dit : « Quand les hommes ne choisissent pas, les événements choisissent pour eux. » Évitons de nous retrouver dans cette configuration peu confortable, vous en conviendrez. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)