Les interventions en séance

Famille
Catherine Morin-Desailly 22/06/2010

«Proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes»

Mme Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 25 novembre dernier, le Premier ministre décidait de faire de la lutte contre les violences faites aux femmes une « grande cause nationale » pour l’année 2010. Cela témoigne de la volonté gouvernementale de combattre un fléau inacceptable qui touche toutes les catégories sociales, tous les âges, et ce sur l’ensemble du territoire.
La violence contre les femmes regroupe des situations multiples : violences psychologiques, mariages forcés, coups et blessures, mutilations sexuelles. Le phénomène est aussi diversifié que complexe, et donc particulièrement difficile à combattre.
Le texte qui nous est présenté aujourd’hui est issu de deux propositions de loi.
L’une a été adoptée par l’Assemblée nationale le 25 février dernier et visait à renforcer la protection des victimes, la prévention et la répression des violences faites aux femmes ; elle est le fruit des travaux d’une mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, créée en 2008, dont je salue ici le travail fort intéressant.
L’autre, relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, a été présentée par notre collègue Roland Courteau, dont je tiens à souligner la grande implication au sein de notre délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Je tiens également à remercier pour leur investissement Michèle André, présidente de notre délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Muguette Dini, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, Françoise Laborde, rapporteur pour la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes et, enfin, François Pillet, rapporteur de la commission des lois.
Après un bilan d’étape de notre législation dressé il y a deux ans, à l’occasion d’une question orale avec débat adressée à Valérie Létard, alors secrétaire d’État à la solidarité et à la parité, je me réjouis de voir ce sujet revenir devant le Parlement.
Nous l’avions déjà dit à l’époque, des progrès ont été accomplis, mais les chiffres restent toujours accablants ! Je ne rappellerai pas tous ceux que vous avez énumérés, mes chers collègues, mais ils parlent d’eux-mêmes...C’est que les faits sont têtus !
Longtemps restées dans l’ombre, les violences envers les femmes, notamment les violences conjugales, sont mieux connues, depuis quelques années, grâce à plusieurs enquêtes.
L’enquête nationale sur les violences envers les femmes, réalisée en 2000 sur la demande du secrétariat aux droits des femmes, a permis, et pour la première fois, de prendre véritablement la mesure de ces violences et, en particulier, des violences exercées au sein du couple.
Sept ans plus tard, l’enquête réalisée par l’Observatoire national de la délinquance a recensé, en 2007, 47 573 faits constatés de violences volontaires sur femmes majeures par conjoint ou ex-conjoint. En trois ans, ce nombre a connu une augmentation de 31 %, qui s’explique par l’amélioration de la collecte de l’information et l’enregistrement des actes de violences conjugales, qui n’étaient auparavant pas considérées comme des délits.
Ces enquêtes ont suscité une prise de conscience qui a facilité l’adoption de la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein des couples ou commises contre les mineurs ; ce fut une étape législative majeure qu’il nous appartient aujourd’hui de renforcer.
Rappelons aussi que le Gouvernement a lancé deux plans successifs d’accompagnement pour venir en aide aux femmes victimes de violences conjugales : un plan courant de 2005 à 2007 intitulé « Dix mesures pour l’autonomie des femmes », puis un plan triennal, entre 2008 et 2010, pour combattre les violences faites aux femmes, lancé en novembre 2007 par notre ancienne collègue du groupe de l’Union centriste, Valérie Létard, alors secrétaire d’État chargée de la solidarité.
Deux ans après le lancement de ce plan, nous pouvons constater que le bilan est positif, puisqu’un certain nombre d’avancées ont été rendues possibles en matière de prise en charge des victimes : 36 « référents violences » ont été mis en place dans 32 départements ; la plateforme d’écoute téléphonique du 3919 répond à plus de 80 000 appels par an ; enfin, 12 000 places en centre d’hébergement et de réinsertion sociale sont consacrées à l’accueil d’urgence des femmes victimes de violences.
Enfin, une campagne de communication avec des messages télévisés a été réalisée pour sensibiliser le grand public.
On le voit, beaucoup de moyens ont été mis en place, mais, aujourd’hui, il nous faut renforcer la législation.
La présente proposition de loi vise à mieux protéger les victimes de violences conjugales, mieux prévenir les violences, mieux punir les auteurs.
Elle prévoit ainsi, en son article 1er, la création d’un instrument juridique novateur, l’ordonnance de protection, qui devrait permettre d’assurer une protection rapide et efficace des femmes victimes de violences, de stabiliser temporairement la situation juridique et matérielle de la victime en garantissant sa protection et en organisant provisoirement sa séparation avec l’auteur des violences.
Quand on sait que 90 % des victimes n’osent pas porter plainte parce qu’elles craignent les conséquences possibles de cette démarche – en matière de logement, de garde des enfants ou de régularité du séjour pour les femmes étrangères –, nous ne pouvons que saluer cette initiative et regretter quelque peu la restriction apportée par la commission des lois, qui a supprimé la possibilité reconnue aux associations de saisir le juge avec l’accord de la partie intéressée.
La proposition de loi prévoit aussi la création d’un dispositif de surveillance électronique mobile applicable à titre expérimental, pendant une durée de trois ans. Si le principe me semble intéressant, la pratique pourrait être complexe. Il serait dès lors pertinent d’obtenir un rapport parlementaire ou gouvernemental, d’ici à trois ans, afin d’étudier l’opportunité de maintenir, voire de renforcer ce système.
Nous soutenons, en tout cas, la sécurisation de la situation administrative des personnes de nationalité étrangère victimes de violences conjugales sur le territoire français, et les conventions qui devraient être passées avec les bailleurs et les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires, les CROUS, afin de réserver un nombre suffisant de logements aux personnes victimes de violences conjugales.
Ce sont deux facteurs de réinsertion sociale et économique primordiaux qui aideront les femmes à se reconstruire et à sortir de l’impasse.
J’insisterai enfin sur l’article 17, qui crée un délit spécifique de harcèlement psychologique au sein du couple.
Cette transposition du harcèlement moral au travail adapté à une relation de couple, est particulièrement innovante. Malgré les inquiétudes de certains acteurs sur les difficultés à prouver le harcèlement et le risque d’utilisation abusive, il n’en reste pas moins que ce dispositif permet de reconnaître et de sanctionner la violence, dès l’apparition des premiers signes et, peut-être, d’éviter une escalade, douloureuse et dangereuse, aussi.
Comme le soulignait Mme Valérie Létard, « nous voulons nous attaquer au dernier des tabous : la violence verbale et psychologique dans le couple, qui est la plus ordinaire, mais à l’origine de toutes les autres ». Ne l’oublions pas, ces violences psychologiques et verbales représentent la majorité des violences conjugales, 80 % des appels au 3919 le montrent.
Mes chers collègues, souvenez-vous du court métrage réalisé par Jacques Audiard à ce sujet. Là, pas de sang, pas de larmes, pas d’assiettes qui volent, mais une violence psychologique insidieuse. Pour le réalisateur, « il n’y a pas de fatalité, en bouclage de film, l’espoir est là, notre femme n’est pas abattue, elle réagit... et c’est au spectateur d’imaginer la suite ».
Madame la secrétaire d’État, vous aviez d’ailleurs, au moment de la diffusion de ce court métrage, indiqué être « convaincue de la nécessité de compléter le dispositif législatif existant ». C’est chose faite aujourd’hui.
Indéniablement, même s’il reste perfectible, ce texte représente, pour notre groupe, une véritable avancée législative. Ma collègue Anne-Marie Payet proposera quelques améliorations en défendant des amendements.
Pour ma part, je formulerai quelques regrets.
Le texte reste en retrait par rapport au dispositif souhaité pour renforcer la prévention. Il est en effet primordial que l’ensemble des personnes appelées à prendre en charge des victimes de violences conjugales disposent d’une formation adaptée et complète.
En outre, les jeunes doivent être particulièrement sensibilisés au respect de l’égalité.
À l’instar de ce qui est fait en Espagne, la prévention et l’éducation doivent commencer dès le plus jeune âge afin d’enrayer les préjugés sexistes.
Mais cela, mes chers collègues, nécessite des moyens et, sur ce point, nous regrettons que la formation obligatoire des intervenants auprès des femmes victimes de violences ait disparu, en application de l’article 40...
Comme nombre de mes collègues, je trouve également regrettable que la recommandation de notre délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, visant à modifier l’intitulé de ce texte afin que les violences subies par les hommes soient également reconnues, n’ait pas été prise en compte.
Bien que moins nombreuses, ces violences-là existent cependant et sont tout aussi traumatisantes pour les hommes qui en sont victimes ; ils ont de grandes difficultés à en parler et à trouver de l’aide, le sujet restant encore très tabou.
À ce stade, j’aimerais évoquer un autre sujet : l’image des femmes véhiculée par les médias et, en particulier, sur Internet.
C’est sur le Web que l’on trouve aujourd’hui les films de très grande violence, les images les plus dégradantes, faute de régulation, à la différence de ce qui prévaut à la télévision.
Ces images, qui sont autant d’incitations à la violence, touchent également les enfants. Nous avons déjà eu l’occasion de le dire dans cet hémicycle, une véritable réflexion doit être engagée sur la régulation de la Toile.
Le texte présente une première avancée, puisque les associations de défense des droits des femmes peuvent désormais saisir le Conseil supérieur de l’audiovisuel, mais cela reste insuffisant.
Le 29 avril dernier, lors d’un colloque qui s’est tenu à Madrid, auquel j’ai participé en tant que représentante de notre délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, j’ai insisté sur la nécessité de nous montrer attentifs à l’image de la femme que véhiculent les médias et Internet.
J’ai rappelé qu’en France la télévision « classique » était régulée par une autorité indépendante, le CSA, mais que le contrôle des contenus de l’Internet, qui ne connaît pas les frontières, était plus que problématique, et devait donc être envisagé au moins à l’échelle européenne. La représentante du Parlement européen, approuvant cette position, m’a indiqué, pour exemple, que pas moins de 100 000 sites pédopornographiques avaient été recensés, principalement basés en dehors des frontières de l’Union européenne, mais accessibles sur son territoire.
Au cours de cette réunion, organisée dans le cadre de la présidence espagnole de l’Union européenne, j’ai pu échanger avec mes homologues sur les priorités en matière d’égalité et, plus particulièrement, sur la violence de genre, problème sur lequel – Mme Françoise Laborde l’a rappelé tout à l’heure – l’Espagne s’est dotée d’une législation très avancée.
Nous avons abordé différents sujets qu’il serait particulièrement intéressant de développer à l’échelle européenne, tels que la mise en œuvre d’une ordonnance de protection européenne, la création d’un numéro de téléphone unique et gratuit pour toute l’Europe et la création d’un Observatoire européen des violences de genre.
La lutte contre les violences dont les femmes sont victimes, en tant que femmes, passe, on le sait, par l’établissement de la réalité du phénomène.
Il y a un véritable intérêt à disposer, à l’échelle européenne, d’indicateurs officiels, qui permettent d’établir un suivi et des comparaisons homogènes entre les pays membres.
Je me réjouis que l’idée d’un tel observatoire ait été adoptée à l’unanimité, même si cette décision revient à rattacher cette nouvelle responsabilité à un organisme existant, mis en place en 2007, l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes, chargé d’aider les États membres à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes dans toutes les politiques communautaires et nationales.
J’en reviens au texte qui nous occupe aujourd’hui. Je regrette que l’article 14 ne prévoie finalement qu’un rapport sur la création d’un observatoire national des violences faites aux femmes et non la mise en place effective d’un tel observatoire.
Comme le rappelle dans le rapport d’information notre collègue Françoise Laborde –  il faut féliciter notre collègue pour l’excellence de son travail et sa grande implication –, « l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes fonctionne avec des moyens extrêmement réduits [...] tout en produisant des données nombreuses, pertinentes et actualisées ».
Pour conclure, si la loi n’est qu’un outil d’accompagnement et d’encadrement, elle est, au demeurant, un outil nécessaire.
La lutte contre les violences faites aux femmes a été déclarée grande cause nationale de l’année 2010, mais notre implication et notre mobilisation devront se prolonger dans les années à venir. Il est de notre responsabilité collective de construire une société plus juste, où les plus fragiles seront mieux protégés.
On ne peut notamment pas oublier tous les enfants témoins de ces situations dramatiques.
On ne peut pas accepter qu’en 2008 184 personnes soient mortes sous les coups de leur conjoint.
On ne peut pas plus oublier toutes les femmes victimes de maltraitance, de discrimination, de violences, et ce à travers le monde.
Je profite d’ailleurs de cette discussion pour attirer votre attention, mes chers collègues, sur la situation alarmante que vivent les femmes algériennes de la ville d’Hassi Messaoud. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) Depuis plus d’un mois, les exactions, qui avaient commencé en 2001, ont repris. Tous les jours, ces femmes sont victimes de crimes et d’atrocités.
La lutte contre les violences faites aux femmes doit être une priorité du Gouvernement français, dans sa politique nationale comme dans son action internationale.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons ce texte. (Applaudissements.)