Les interventions en séance

Famille
22/06/2010

«Proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes »

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales, rapporteur pour avis.

Madame la présidente, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, si la commission des affaires sociales a souhaité présenter un avis sur cette proposition de loi, c’est parce qu’elle considère que, au-delà de son aspect juridique, ce texte a un fort retentissement humain et social. Je ne reviendrai pas sur l’analyse très complète qu’en a livrée l’excellent rapporteur de la commission des lois, François Pillet, et je connais le contenu de l’avis de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, puisque j’ai entendu le rapport de notre collègue Françoise Laborde lors de la réunion de la délégation. Ils auront à eux deux exprimé tout ce que j’aurais pu dire.
Mais je voudrais tout particulièrement insister sur deux points qui me paraissent essentiels. Le premier est la nécessité impérative d’une formation à l’accueil des victimes dans le respect absolu de leurs droits. Le second tient à l’importance capitale de l’article 17 sur les violences psychologiques.
Je sais la réserve qu’inspire à certains de nos collègues la difficulté de la preuve. Je crois qu’ils ont tort : une bonne approche au cours du dépôt de plainte peut permettre de mesurer rapidement la sincérité de la plaignante.
Pour illustrer mon propos, je prendrai quelques minutes pour vous raconter une histoire que je connais bien, puisqu’elle concerne ma filleule.
En décembre 2007, Justine, vingt-six ans, couturière dans un atelier de robes de mariées, rencontre Alexandre, trente et un ans. Il travaille en intérim et vit chez sa mère.
En janvier 2008, il vient s’installer chez Justine, lui fait raconter son histoire, se montre très vite jaloux et agressif lorsqu’elle parle de ses amis. Elle est amoureuse et prend cette attitude pour une marque d’amour.
Il lui explique que lui-même n’a jamais eu de chance : il a eu une enfance et une adolescence difficiles – ce qui est vrai. Il est très malheureux, mais, grâce à son amour, il va changer.
En attendant, au cours de colères fréquentes, il casse des objets, abîme des meubles ; mais elle va l’apaiser, c’est sûr, puisqu’elle l’aime.
Alexandre propose à Justine d’emménager dans un appartement plus grand où ils pourront recevoir, un week-end sur trois, les trois enfants qu’il a eus d’une précédente union et qui sont placés en famille d’accueil.
Et puis, comme il a des problèmes avec la banque et qu’il ne doit jamais être à découvert, c’est mieux que Justine prenne à sa charge tous les abonnements, et aussi les crédits contractés pour acquérir quelques appareils électroménagers.
Il n’a pas encore eu le temps de donner sa nouvelle adresse à la banque et ses relevés arrivent chez sa mère. Il oublie régulièrement de les récupérer.
D’ailleurs, il aide financièrement sa mère et ne peut contribuer aux charges du ménage autant qu’il le souhaiterait.
Bref, Justine n’a aucune idée de ses revenus, ni de ce qu’il fait de son argent, mais il n’en a jamais à lui donner.
En revanche, il est bien normal qu’il accède au compte de Justine sur Internet, grâce au code personnel qu’elle lui a volontiers confié, et, s’il est inquiet pour son découvert, il fait un virement.
Il décide enfin qu’il est plus pratique de n’avoir qu’un seul médecin traitant – le sien, bien sûr.
Au mois de mars 2008, à l’occasion de l’anniversaire de Justine, il prend des photos d’elle dans une situation qu’il juge compromettante. Il menace régulièrement, par la suite, de les montrer à sa mère, à ses sœurs et, bien sûr, à moi-même.
Il est d’une intelligence supérieure alors que Justine est vraiment une gourde : elle ne sait rien faire, en fait elle est nulle, d’ailleurs ses amis sont nuls aussi, et sa famille l’intimide, et il vaut mieux ne pas aller au baptême du petit neveu.
Malgré tout, ce serait bien d’avoir un enfant qui ferait de lui un vrai père, pas comme avec les trois autres, qu’il a eus trop jeune.
Le 1er juin, ils emménagent dans un nouvel appartement, et Justine découvre qu’elle est enceinte. Les coups commencent à pleuvoir, qui viennent compléter les humiliations, les menaces, les critiques insidieuses et les propos racistes, parce que Justine est d’origine africaine.
Pendant la grossesse, il la frappe, l’empêche de dormir, lui dit qu’il souhaite la mort du bébé, lui donne des coups de pied dans le ventre. Il lui demande de boire de l’alcool pour provoquer une fausse-couche.
À la suite d’une douleur au ventre causée par un objet lancé à toute volée, elle va voir son obstétricien, lui raconte son histoire. Cela n’intéresse pas celui-ci, et il lui dit que tout va bien.
Pourquoi ce médecin n’a-t-il pas réagi ? N’est-ce qu’une question de formation ?
Leur bébé naît le 22 juin 2008. Justine est persuadée que tout va s’arranger avec la venue de cet enfant. Il n’en est rien. Quelques jours après la naissance, la violence reprend.
Un samedi vers 23 heures, le visage et le bras marqués par les coups, les vêtements déchirés, elle se rend au commissariat. Elle n’a pas de certificat médical et on la renvoie sans l’entendre. Est-ce bien normal ?
À son retour, son compagnon triomphant lui dit que, si elle porte plainte, il portera aussi plainte pour diffamation, qu’on ne la croira pas parce qu’il ne lui a rien cassé et qu’en plus on lui retirera son bébé parce qu’on verra bien qu’elle est folle et manipulatrice.
Après de nouvelles violences, elle se rend, un soir, chez sa propre mère, qui lui explique que c’est sa faute, qu’elle a mauvais caractère, qu’elle doit être plus gentille, et qui la renvoie chez elle.
On découvrira plus tard qu’Alexandre appelle sa belle-mère de temps en temps pour se plaindre. Elle le croit : il est tellement gentil, timide et réservé ! Et ses sœurs, qui ne sont pourtant pas des tendres, le croient aussi : il est tellement gentil, timide et réservé !
La boucle est bouclée. Justine ne sait plus à qui parler.
Trois semaines plus tard, le 13 avril 2009, je reçois un SMS de détresse et découvre l’ampleur des dégâts. Je lui conseille d’appeler une association d’aide aux victimes que j’ai déjà contactée. Elle me dit qu’elle n’appellera pas : elle a trop honte, et puis, les associations, c’est pour les cas graves !
Elle ne veut pas le quitter. Ils ont un enfant ensemble, et c’est à elle de maintenir l’équilibre de la famille.
Deux semaines plus tard, nouvelles violences, nouveaux SMS. Je prends rendez-vous et l’accompagne chez un médecin, une jeune femme très à l’écoute qui lui donne quatre jours d’ITT.
Nous nous rendons, dans la foulée, au commissariat pour le dépôt d’une plainte. Justine est accueillie par une inspectrice revêche, agressive, dissuasive. Le dépôt de plainte s’apparente plus à un interrogatoire qu’à une écoute positive.
Je suis présente sans qu’on m’ait demandé mon identité. Je suis effarée par cet accueil. À coup sûr, si je n’avais pas été là, Justine aurait été totalement dissuadée d’aller jusqu’au bout.
Elle est sortie en larmes, de stress, de culpabilité, d’humiliation.
Quelle formation cette inspectrice avait-elle reçue pour se comporter de cette manière ?
Alexandre n’a pas de portable et n’a pu être convoqué au commissariat. Un inspecteur de police appelle Justine pour lui dire d’informer Alexandre qu’il doit le contacter.
Est-ce vraiment le processus normal ? Et si oui, il y a de quoi s’inquiéter !
Justine, très angoissée, transmet le message à Alexandre, rentré pour déjeuner.
D’abord, celui-ci lui intime l’ordre de retirer sa plainte, la rend responsable de tous ses maux, la bouscule, lui tire les cheveux, prend des œufs dans le réfrigérateur et les lance sur les murs et la machine à coudre, où un travail est en cours. Il la menace du pire pour le soir et lui dit que, s’il va en prison, il la tuera ou lui fera enlever le petit.
Justine rappelle l’inspecteur de police pour lui dire qu’elle est en danger et qu’il doit venir apporter la convocation. Il lui répond qu’il n’a pas le temps et qu’il postera la convocation, qui arrivera quand elle arrivera... Cette fois, mon intervention va remettre les choses à leur juste place.
Comment un policier peut-il traiter avec une telle désinvolture une situation aussi grave ?
Alexandre est mis en garde à vue quelques heures, reconnaît les faits et ressort du commissariat avec une convocation en maison de justice, convocation à laquelle il ne se rendra pas, ayant opportunément fait le nécessaire pour être hospitalisé ce jour-là. Depuis lors, il n’a jamais été reconvoqué.
Je pourrais continuer à vous raconter le déroulement de cette histoire, mais je m’arrêterai là. Sachez seulement que, après avoir quitté le domicile commun, Justine a été harcelée téléphoniquement, par SMS, par mail et même physiquement. Elle s’est plusieurs fois adressée à la police, qui a de nouveau convoqué Alexandre, ce qui a eu pour effet de calmer les agissements de ce dernier, mais jusqu’à quand ?
Cette histoire appelle, de ma part, trois réflexions, sur lesquelles je veux attirer votre attention.
Premièrement, il est nécessaire que toutes les personnes accueillant des femmes victimes de violences dans leur couple ou ayant affaire à elles aient reçu une véritable formation spécifique. (Mmes Gisèle Printz et Joëlle Garriaud-Maylam applaudissent.)
À cet égard, j’aimerais avoir, madame la secrétaire d’État, des assurances quant à la mise en œuvre de l’article 10 bis B.
Deuxièmement, il est nécessaire de s’assurer que la loi est respectée par les forces de police et de gendarmerie, car ce n’est pas une victime déjà traumatisée et mal accueillie qui ira se plaindre.
Troisièmement, enfin, – ce point est essentiel pour que cette loi prenne toute sa dimension ! –, il est nécessaire de veiller à la reconnaissance effective des violences psychologiques.
Dans l’histoire que je vous ai racontée, on a affaire au manipulateur type, tel qu’il a été décrit par le docteur Geneviève Reichert-Pagnard dans son ouvrage intitulé Crimes impunis ou Néonta : histoire d’un amour manipulé.
Les Canadiens, très attentifs à ce phénomène, estiment que 27 % à 30 % des conjoints sont manipulateurs, auteurs de violences psychologiques ; de fait, ce sont donc sans doute 27 % à 30 % de femmes vivant en couple qui sont victimes de telles violences, ces pourcentages incluant par ailleurs, en grande partie, les victimes de violences physiques.
La brigade de protection de la famille de la gendarmerie du Rhône a élaboré, avec l’aide d’une association d’aide aux victimes, deux documents.
Le premier est un procès-verbal de renseignement judiciaire et de constatations, le second est une enquête de flagrance, procès-verbal d’audition de personne victime. Ces deux documents remarquables, annexés à mon rapport pour avis, permettent de cerner la personnalité de l’auteur de violences psychologiques : ils pourraient être utilement généralisés à toute audition en vue du dépôt de plainte ou sur main courante.
Vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, la commission des affaires sociales a émis, à l’unanimité, un avis favorable sur ce texte. Comme moi, elle souhaite qu’il soit rapidement mis en œuvre, que des moyens soient réellement attribués pour dispenser une bonne formation et que la notion de violences psychologiques ne soit pas entachée de soupçons.
Je rappelle que, au-delà de la femme victime de ces violences, lesquelles risquent de la tuer à petit feu, ce sont aussi des enfants qui souffrent et seront traumatisés à vie par l’humiliation vécue par leur mère.
Par ailleurs, il faudra également rapidement envisager la situation des hommes victimes de violence en couple, en particulier de violences psychologiques. Peut-être sont-ils moins nombreux, mais, pour ceux-là et pour leurs enfants, le traumatisme est le même.
En effet, dès qu’il y a violence au sein du couple, l’enfant est victime.
Quand le couple est séparé, le moment de la remise de l’enfant à l’autre parent est fondamental.
En la matière, les améliorations apportées au dispositif de remise de l’enfant dans un espace sécurisé me semblent satisfaisantes. Elles impliquent que des espaces-rencontre soient mis en place dans tous les départements en nombre suffisant.
Les services du ministère de la justice, des caisses d’allocations familiales et les collectivités territoriales doivent s’engager à faire en sorte que les moyens nécessaires soient alloués pour permettre un bon fonctionnement de ces espaces.
Avant de conclure, je voudrais rappeler toute l’importance de campagnes de sensibilisation menées régulièrement.
Madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, il est urgent de protéger les femmes et les enfants qui vivent ces grandes détresses. Nous comptons sur vous pour que cette loi s’applique vite et bien. (Applaudissements sur l’ensemble des travées.)