Les interventions en séance

Affaires sociales
22/02/2012

«Proposition de loi, relative au suivi des enfants en danger par la transmission des informations»

Mme Muguette Dini, rapporteur de la commission des affaires sociales

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue députée Henriette Martinez, dont je suis heureuse de noter la présence dans les tribunes aujourd’hui, porte sur la procédure de suivi qui est mise en œuvre à l’échelon départemental pour les enfants en danger ou risquant de l’être. Vous le savez sans doute, la loi du 5 mars 2007 a introduit des changements essentiels dans le système de protection de l’enfance, afin de le rendre plus lisible pour les acteurs locaux et, surtout, plus protecteur pour les enfants. Elle a en particulier consacré le président du conseil général comme chef de file de la protection de l’enfance et créé, sous son autorité, la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes. Le dispositif départemental de protection de l’enfance a ainsi gagné en cohérence et en efficacité. Toutefois, on constate aujourd’hui que, lorsqu’une famille titulaire d’une prestation d’aide sociale à l’enfance quitte un département pour un autre, les informations la concernant ne sont pas transmises au-delà de cette frontière administrative. Il en résulte une rupture, soit dans la prise en charge de l’enfant, soit dans l’évaluation des informations préoccupantes à son sujet. Aussi surprenant que cela puisse paraître, aucune coordination interdépartementale n’est en effet organisée sur le plan national. Certains départements ont bien mis en place un système d’alerte, dit « de signalements nationaux », mais ce dispositif n’a pas de base réglementaire et son efficacité reste limitée en raison de pratiques variables selon les départements. La proposition de loi vise donc à combler ce vide juridique en conférant un cadre légal à la transmission des informations relatives aux enfants en danger entre le département d’origine et le département d’accueil, démarche qui, vous en conviendrez, mes chers collègues, relève du bon sens. Pour ce faire, elle distingue deux cas de figure. Le premier, le plus simple, s’appliquera lorsque la famille qui déménage informe le département d’origine de sa nouvelle adresse. Actuellement, et c’est assez singulier, aucun dispositif de transmission d’informations n’est prévu entre le département d’origine et le département d’accueil. Désormais, lorsqu’une famille titulaire d’une prestation d’aide sociale à l’enfance ou d’une mesure judiciaire de protection de l’enfance communiquera sa nouvelle adresse au département qu’elle quitte, le président du conseil général du département d’origine le signalera à son homologue du département d’accueil et lui transmettra, pour l’accomplissement de ses missions, les données relatives au mineur et à sa famille. Cette procédure s’appliquera également lorsqu’une information préoccupante sur la situation de l’enfant est en cours d’évaluation. Comme l’a souligné Mme la secrétaire d’État, les modalités de cette procédure de transmission seront définies par décret en Conseil d’État, après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, étant donné l’enjeu de confidentialité qui y est associé. Pour autant, je rappelle, à mon tour, que la loi du 5 mars 2007 prévoyait déjà un décret de ce type. Cinq ans plus tard, nous l’attendons toujours. Interpellée sur ce sujet par nos collègues députés, la ministre des solidarités et de la cohésion nationale, Roselyne Bachelot-Narquin, s’est engagée à publier le décret dès le mois de mars prochain. Madame la secrétaire d’État, j’espère que le Gouvernement tiendra parole, car cette mesure de transmission des informations, qui répond aux préconisations formulées lors des états généraux de l’enfance fragilisée tenus en mai 2010, présente deux avantages. Premièrement, elle garantit au département d’accueil la possibilité de disposer de toutes les informations nécessaires à la continuité de la prise en charge, pour répondre au mieux aux besoins du mineur. Deuxièmement, elle permettra au jeune devenu adulte qui consulte son dossier de reconstituer l’ensemble de son parcours au sein du dispositif de protection de l’enfance. Ce n’est pas là un sujet mineur, car nous savons que, une fois devenus adultes, les enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance ont quelquefois bien du mal à se retrouver dans leur propre histoire. J’en viens au second cas de figure : la famille qui déménage sans laisser d’adresse. Dans ce cas, le suivi des situations préoccupantes ou signalées se révèle évidemment beaucoup plus difficile. Il faut en effet attendre que toute la procédure interrompue dans le département d’origine ait été relancée dans le département d’accueil, par le biais d’une nouvelle transmission d’informations préoccupantes ou d’un nouveau repérage. Un temps précieux est ainsi perdu, ce qui, dans certains cas, peut avoir de très graves conséquences sur l’enfant concerné. Les acteurs de la protection de l’enfance observent même que certaines familles profitent de cette insuffisante coordination entre départements pour échapper aux filets des services d’aide sociale à l’enfance. Pour corriger les failles du système actuel, le texte propose deux mesures. La première oblige le président du conseil général du département d’origine à prévenir sans délai l’autorité judiciaire du départ inopiné d’une famille impliquée dans un processus d’évaluation d’informations préoccupantes, d’aide sociale ou de protection de l’enfance, dont l’interruption met en danger le mineur. Cette clarification des critères de saisine de l’autorité judiciaire, également recommandée dans les conclusions des états généraux de l’enfance fragilisée, devrait utilement améliorer la coordination entre les présidents de conseils généraux et les procureurs de la République. La seconde mesure permet au président du conseil général du département d’origine d’obtenir des organismes sociaux – caisse primaire d’assurance maladie et caisse d’allocations familiales – communication de la nouvelle adresse dans les dix jours. À l’heure actuelle, le président du conseil général peut déjà formuler cette demande par l’intermédiaire de l’autorité judiciaire. Néanmoins, cette procédure présente deux inconvénients majeurs : elle est longue et elle est pratiquée de façon différente selon les parquets. Dans la mesure où la famille éligible aux prestations sociales ne manque généralement pas d’en faire la demande dans son nouveau département de résidence, les caisses de sécurité sociale semblent les plus à même de connaître l’adresse de cette famille et de la communiquer rapidement aux services du conseil général. Pour obtenir cette information, les caisses d’assurance maladie seront d’ailleurs habilitées à consulter le répertoire national inter-régimes. Tout ce réseau respectera évidemment les règles du secret professionnel applicables à la protection de l’enfance, lesquelles offrent les garanties requises, dans l’unique intérêt du mineur. Enfin, pour boucler ce circuit d’information, le président du conseil général du département d’origine communiquera bien sûr sans délai à son homologue du département d’accueil la nouvelle adresse ainsi que les informations relatives à la famille et à l’enfant, conformément à la procédure de coordination interdépartementale que nous allons instaurer. Vous le voyez, mes chers collègues, il s’agit d’un texte de nature technique, simple et opérationnel, qui, en améliorant la transmission d’informations entre les acteurs de la protection de l’enfance, offrira les conditions d’un meilleur suivi des enfants en danger. Notre commission en est convaincue, puisqu’elle l’a adopté, à l’unanimité, dans une rédaction conforme à celle de l’Assemblée nationale. Toutefois, les échanges approfondis auxquels nous avons procédé ont fait apparaître que, si cette proposition de loi apporte une réponse concrète à un problème précis, elle ne résout pas l’ensemble des difficultés que pose, sur le terrain, l’application de la loi du 5 mars 2007. En effet, de nombreuses questions demeurent en suspens, comme les moyens du Fonds national de financement de la protection de l’enfance, la prise en charge des mineurs étrangers isolés ou la notion du « secret partagé » : autant de sujets sur lesquels notre commission se propose de travailler dans les prochains mois pour faire évoluer une loi qui, bien entendu, reste perfectible. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)