Les interventions en séance

Budget
22/02/2012

«Projet de loi de finances rectificative pour 2012»

M. Jean Arthuis

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je voudrais dire à mon tour combien je me réjouis que le débat sur le financement de la protection sociale, et plus précisément sur l’incidence de celui-ci sur le coût du travail et la compétitivité de la production nationale, vienne enfin devant le Parlement. Certes, les conditions du débat sont inouïes, puisque le projet de loi de finances rectificative qui lui sert de support nous est soumis précipitamment, pour être voté à la veille de l’élection présidentielle, alors même que les dispositions qu’il contient, notamment celles qui sont relatives à la TVA, ne prendront effet qu’à l’automne. Cependant, Philippe Marini vient de m’éclairer et a apaisé ma perplexité. C’est un débat que j’appelle de mes vœux depuis 1993, année de la publication de mon premier rapport sur les délocalisations d’activités et d’emplois. Ce débat a été monstrueusement faussé au soir du premier tour des élections législatives de juin 2007, sans cesse ajourné alors que nous ne manquions jamais, à l’occasion des débats d’orientation sur les prélèvements obligatoires ou de la discussion des projets de loi de finances, de tenter de l’engager. Je doute que le moment soit optimal, mais je veux mettre à profit cette circonstance pour rappeler mes convictions et combattre les poncifs et les fausses vérités que j’ai encore entendus il y a quelques instants et qui inspirent les tenants de l’immobilisme et de la fatalité face aux enjeux de la mondialisation. L’atonie de la croissance, la montée du chômage, la désindustrialisation, le déficit record de notre commerce extérieur – 70 milliards d’euros en 2011 – sont autant de signaux alarmants. Les candidats à l’élection présidentielle conviennent de privilégier désormais la production, de substituer une politique de l’offre à une politique de la demande. Saluons cette soudaine lucidité et demandons-nous grâce à quelles mesures nous allons enfin pouvoir inverser la tendance, interrompre la chronique du déclin par des actes conséquents. Dans le catalogue consensuel – je ne saurais reprendre à mon compte les appels illusoires au protectionnisme –, il y a bien sûr la recherche, la formation professionnelle, l’innovation, les hautes technologies et tout le florilège des incantations anesthésiantes bien connues relatives à la défense des consommateurs. La consommation est le moteur de la croissance, nous dit-on. Cela est vrai mais, à l’heure de la mondialisation, la consommation peut être le moteur de la création d’emplois ailleurs que sur notre territoire national, en Asie notamment. Qu’il me soit permis, à cet égard, de dénoncer la connivence entre les acteurs économiques avides de profits immédiats et les consommateurs, la sphère publique étant complice de ce complot, si j’ose dire, au détriment des producteurs et des salariés du secteur concurrentiel. La mondialisation a changé la donne et fait la part belle aux distributeurs comme aux financiers, qui peuvent rechercher l’approvisionnement hors de notre territoire. Ce complot implicite conduit inexorablement vers la paralysie, d’où la prometteuse idée de rétablir notre potentiel de production, à condition de redonner à l’économie française sa pleine compétitivité. En effet, force est de constater que nos lois et règlements font peser sur les entreprises et les conventions relatives au travail des rigidités excessivement pénalisantes qui ne seront levées que par de courageuses réformes structurelles, lesquelles se font attendre. Je garde cependant l’espoir de les voir aboutir prochainement. Subsistent les incohérences de notre système de prélèvements obligatoires. Si nous convenons, mes chers collègues, que notre salut dépend de notre capacité à produire au moins l’équivalent de ce que nous consommons, nous devons alors nous interroger sur la pertinence du financement actuel de notre protection sociale. Est-il logique de prélever des cotisations assises sur les salaires pour assurer le paiement des pensions de retraite ? Oui, car les pensions sont des salaires différés. Le lien est également établi pour l’indemnisation du chômage ou des accidents du travail. En revanche, la politique familiale et la politique de santé concernent tous les citoyens, et pas seulement les salariés. Il est donc abusif de faire peser sur les salaires et les revenus des travailleurs indépendants, c’est-à-dire sur la production, le coût du financement des branches famille et santé de la sécurité sociale. Par conséquent, il est urgent de transférer vers d’autres assiettes le poids de ces charges qui contrarient la progression vers notre objectif proclamé de combattre le chômage. J’entends immédiatement, naturellement, des voix s’élever pour souligner que les écarts en matière de salaires sont tels, entre la France et l’Asie, que toute réforme est vaine et qu’il n’y a donc pas de motif pour agir. Autre argument pour ne rien faire : les salaires pèsent peu dans les dépenses d’exploitation des entreprises. Cela est vrai, mais soutenir cet argument c’est oublier que les achats et autres consommations intermédiaires des entreprises contiennent le montant des frais de personnel supportés par les fournisseurs, en amont. C’est dire si le poids des salaires et des charges sociales est prédominant. Toute baisse significative des charges sociales a pour conséquence d’alléger le prix de revient, et par là même le prix hors taxes. À ceux qui doutent, je veux faire observer que nos pratiques s’apparentent à des droits de douane qu’acquittent seuls ceux qui produisent et emploient encore en France, tandis qu’en sont exonérés tous ceux qui vont produire ailleurs puis importent cette production pour répondre à l’attente des consommateurs français. Il y a urgence à mettre un terme à ce masochisme autodestructeur ! Ce postulat étant admis, comment assurer l’équilibre des branches famille et santé de la sécurité sociale ? En sollicitant les entreprises ? Ce serait tout à fait politiquement correct, mais ne courrait-on pas alors le risque de les voir déserter notre territoire ? Au surplus, mes chers collègues, y a-t-il tant d’impôts, de taxes et de cotisations sociales obligatoires supportés par les entreprises que l’on ne retrouve pas dans les prix des produits, acquittés par les consommateurs ? C’est donc une voie sans issue. Dès lors, l’impôt ne peut être prélevé que sur le patrimoine de nos compatriotes, sur leur revenu ou sur la consommation. À mon avis, tout supplément d’impôt sur le patrimoine ou le revenu doit être affecté à la réduction de nos déficits publics et de notre endettement. Dans ces conditions, reconnaissons, si vous le voulez bien, que seule la TVA nous offre des marges de manœuvre. Malheureusement, la hausse de la TVA déclenche instantanément des oppositions passionnées. Je voudrais tenter de mettre de la raison dans notre débat, en répondant à deux questions : le relèvement de la TVA conduit-elle automatiquement à la hausse des prix, au détriment des consommateurs ? La TVA est-elle si injuste ? Concernant la première question, il doit être rappelé que la hausse de la TVA a pour objet de compenser la baisse des charges sociales pesant sur la production en France. Mécaniquement, les prix hors taxes des biens et services issus du travail accompli sur notre territoire doivent baisser à des niveaux tels que le supplément de TVA n’aboutira pas demain à un prix TVA comprise supérieur à ce qu’il est aujourd’hui. À mes yeux, il n’existe donc pas de risque d’inflation. Du reste, si certains chefs d’entreprise étaient tentés de conserver pour eux ce supplément de marge en augmentant leurs prix, je ne doute pas que le Gouvernement mobiliserait les 4 000 agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, pour leur faire passer le bon message. Pour ce qui concerne les exportations, nous bénéficierons bien sûr d’un gain de compétitivité, puisque les produits exportés sont exonérés de TVA. S’agissant des produits importés, leurs prix devraient bien sûr augmenter. Toutefois, mes chers collègues, je vous rends attentifs au fait que les entreprises qui font les marges les plus substantielles sont celles qui importent. Gageons que les distributeurs n’auront pas l’outrecuidance de répercuter l’intégralité du supplément de TVA sur les prix demandés aux consommateurs. Au total, il me paraît urgent de réconcilier le consommateur et le producteur. Le vrai pouvoir d’achat, ne l’oublions jamais, est la contrepartie du travail accompli et de la création de richesses. Deuxième question : la TVA est-elle à ce point injuste ? Certes, ceux qui disposent de faibles ressources les dépensent pour subvenir à leurs besoins essentiels. La taxe est donc payée sur l’intégralité de leurs revenus, alors que les revenus des contribuables aisés ne sont que partiellement affectés à la consommation. Ces derniers restent toutefois soumis à l’impôt progressif sur leurs revenus. Troisième question : y a-t-il pire injustice que d’être privé d’emploi ? De ce point de vue, les charges sociales actuellement recouvrées me semblent véritablement injustes en ce qu’elles privent d’emploi nombre de nos concitoyens. Enfin, la réforme proposée a été mise en application avec succès dans d’autres pays. Dois-je rappeler que, en 1987, les Danois ont institué une TVA au taux unique de 25 % et supprimé au même moment, dans un consensus général, les cotisations sociales ? Je rêve qu’un tel dialogue social puisse voir le jour dans notre pays ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Les Danois ont réussi cette réforme ! Quant aux Allemands, on l’a rappelé, ils ont augmenté de 3 points leur taux de TVA en 2007, une TVA partiellement sociale puisqu’une fraction a été consacrée à la réduction des déficits publics. Autre question : aurons-nous un jour un taux de TVA sans chiffres après la virgule ? Je crois que nous y gagnerions en visibilité. En effet, comment expliquer que l’on augmente un taux de 19,6 % de 1,6 point pour arriver à 21,2 % ? Enfin, madame la ministre, pourquoi si peu et pourquoi si tard ? En dépit de ma perplexité, je voterai ce premier pas, précipité et tardif, au service de l’allégement du coût du travail et de la compétitivité. Cet allégement, j’en ai la conviction, est l’un des leviers – même s’il est trop modeste – de la croissance et de la confiance. C’est l’une des conditions – ce n’est pas la seule – pour produire en France et assainir nos finances publiques. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)