Les interventions en séance

Collectivités territoriales
Jacqueline Gourault 22/01/2014

«Proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat-2ème lecture»

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que Jean-Pierre Sueur et moi-même avons déposée règle des questions très concrètes et fait suite aux états généraux de la démocratie territoriale. Le code général des collectivités territoriales contient déjà des éléments constitutifs du statut de l’élu local. Ils sont regroupés dans le chapitre intitulé « Conditions d’exercice des mandats » pour chaque strate d’élus, municipaux, départementaux et régionaux. Toutefois, si nous avons déposé la présente proposition de loi, c’est parce que ces éléments se révèlent insuffisants et qu’il faut améliorer la situation des élus. Pour faire pièce à certaines critiques que j’ai pu entendre, je soulignerai que ce texte répond aux principales attentes des élus, exprimées via des rapports ou même des propositions de loi qui, comme celle dont M. le rapporteur fut le coauteur, n’ont pu aboutir. Nous avons voulu rassembler toutes les mesures qui faisaient consensus et tendaient à améliorer le statut de l’élu. Pour autant, cette proposition de loi n’est bien sûr pas exhaustive, même si son champ couvre un large spectre de sujets essentiels, notamment le droit d’absence, le droit à la suspension du contrat de travail, la prolongation de l’allocation différentielle de fin de mandat, la protection des élus, l’indemnisation des maires des petites communes, la formation des élus… Nous souhaitons faciliter l’exercice des mandats locaux, en particulier pour les salariés du secteur privé, car, force est de le reconnaître, une profonde inégalité existe actuellement à cet égard entre ceux-ci et les fonctionnaires, qui disposent de facilités bien plus grandes pour s’organiser. Au cours de la navette, l’Assemblée nationale a apporté diverses modifications à cette proposition de loi, que M. le rapporteur vient d’énumérer. J’insisterai, pour ma part, sur la création d’une charte de l’élu local. Cette disposition a été débattue assez longuement en commission des lois, ce matin et la semaine dernière, et modifiée par celle-ci. À cet égard, je tiens à saluer l’énorme travail accompli par M. Saugey, qui s’est efforcé de concilier les positions de l’Assemblée nationale et du Sénat, pour que ce texte ait le maximum de chances d’aboutir. Qu’il en soit remercié ! Sur le fond, la construction d’un statut de l’élu est une entreprise de longue haleine. Alors que l’acte I de la décentralisation commençait à peine à prendre forme, un rapport du sénateur Marcel Debarge, publié en janvier 1982, présentait la création d’un statut de l’élu local comme le complément nécessaire du basculement en cours, c’est-à-dire de la décentralisation. C’est pourquoi l’article 1er de la loi du 2 mars 1982 indiquait que des lois détermineraient le statut des élus. D’ailleurs, hier, en présentant ses vœux aux bureaux des assemblées parlementaires, le Président de la République a estimé que la limitation du cumul des mandats était inséparable de la définition d’un statut de l’élu. Comme on le voit, les grandes lois s’accompagnent d’une évolution du statut de l’élu, ou du moins de la promesse d’une telle évolution. (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.)
Rappelons que des avancées progressives et partielles ont été accomplies. Ainsi, le législateur a organisé les conditions d’exercice des mandats locaux par la loi du 3 février 1992, et il les renforce régulièrement en accordant aux élus un certain nombre de droits et de garanties de base. La présente proposition de loi visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat, s’inscrit dans cette logique, dont elle étend quelque peu la portée. Cette démarche s’est révélée globalement efficace, car elle a permis la création d’un cadre juridique facilitant sensiblement l’exercice du mandat local. Certes, nombreux sont ceux aux yeux desquels il n’existe pas de véritable statut de l’élu, mais un certain nombre d’éléments sont néanmoins en place !
Ces mesures sont adaptées aux réalités de l’exercice des mandats locaux. Par exemple, la modulation du régime des indemnités en fonction du type de responsabilité assumée et de la taille de la collectivité correspond aux besoins effectifs.
En revanche, d’autres dispositions, incontestables dans leur principe, peuvent poser des problèmes d’application. Il en est ainsi de l’extension, à compter du 1er janvier 2013, de la protection sociale à l’ensemble des élus qui n’en bénéficiaient pas jusqu’alors : il s’agit a priori d’un progrès indiscutable, mais elle a été conçue sans véritable concertation avec les associations d’élus, d’où des difficultés de mise en œuvre. En particulier, les indemnités de fonction sont assujetties à cotisations dès le premier euro, alors que la fraction représentative de frais d’emploi ne peut être considérée comme un revenu ; il s’agit plutôt d’un remboursement. Peut-on d’ailleurs considérer l’indemnité elle-même comme un revenu, alors que la circulaire du ministère de l’intérieur en date du 15 avril 1992 relative aux conditions d’exercice des mandats locaux rappelle que l’indemnité de fonction allouée aux élus locaux ne présente le caractère ni d’un salaire, ni d’un traitement, ni d’une rémunération quelconque ? Certaines évolutions sont sans doute nécessaires.
Bien entendu, le sempiternel débat entre bénévolat et professionnalisation des élus reste d’actualité.
J’ai l’honneur de présider la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, au nom de laquelle Philippe Dallier et Jean-Claude Peyronnet ont rédigé un rapport posant la question de la « professionnalisation des élus ». Ce matin encore, la commission des lois a évoqué cette question, en débattant d’un amendement de M. Collombat, qui n’a pas été adopté. J’ignore si les Français sont prêts ou non à accepter que les élus, sur lesquels ils se reposent en général avec une entière confiance, ne soient pas entièrement bénévoles. Il est bien difficile de concilier la figure de l’élu local compétent, disponible, indispensable au bon fonctionnement de la décentralisation, avec la nostalgie d’une époque où les élus, auxquels on ne demandait pas de posséder des compétences très larges, étaient issus d’un vivier socialement homogène, celui des notables locaux. C’est là une véritable question !
L’exercice d’un mandat exécutif est très spécifique et ne peut pas prendre la forme d’une carrière organisée. Le métier d’élu est par essence précaire. Il s’exerce différemment selon la taille des collectivités et correspond à des fonctions particulières. On y accède par la voie de l’élection politique. Il n’y a pas de barrière académique, mais la nécessité d’une formation initiale et continue pour l’exercer convenablement a été reconnue, de même que la valeur du savoir-faire acquis au cours du mandat, ce qui a justifié l’extension aux élus locaux du système de la valorisation des acquis de l’expérience. En résumé, il s’agit d’un « métier » pas comme les autres, sans impératifs de qualifications, sans carrière certaine, sans concours, sans entretiens d’embauche, sans échelons à gravir d’année en année.
Le travail et la réflexion sont encore devant nous pour construire un statut de l’élu local en tirant les leçons des conditions actuelles de la démocratie décentralisée et de la loi relative à la limitation du cumul des mandats. Cependant, la présente proposition de loi apporte sa pierre à l’édifice. Je conclurai par une réflexion de Vladimir Jankélévitch pouvant s’appliquer au travail persévérant du législateur : « L’entreprise humaine se développe dans un monde de facteurs occasionnels qui à la fois l’entravent et la favorisent. L’homme est l’ingénieur des occasions. » Mes chers collègues, la proposition de loi que Jean-Pierre Sueur et moi-même vous présentons aujourd’hui marque une nouvelle étape dans la construction du statut de l’élu local. Madame la ministre, je forme un double vœu : que le Sénat, dans sa sagesse, adopte le présent texte et que sa discussion soit inscrite le plus tôt possible à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, afin que ses dispositions puissent profiter à ceux qui seront élus lors du scrutin municipal de mars prochain ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe socialiste. – M. Christian Favier applaudit également.)