Les interventions en séance

Droit et réglementations
François Zocchetto 21/01/2014

«Projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures»

M. François Zocchetto

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, à la lecture de son intitulé, on ressent immédiatement que le projet de loi a un objet assez vague, pour ne pas dire flou. On est tenté de penser à une catégorie de textes, que l’on a souvent qualifiés de « fourre-tout » et que l’actuelle majorité a tant décriés à une époque. Même si notre rapporteur a tenté de trouver un fil conducteur à ces dispositions, reconnaissez qu’il est difficile d’établir un lien étroit entre l’action possessoire, la communication par voie électronique en matière pénale et le régime juridique applicable aux voitures de petite remise. Les sénateurs de notre groupe rappelaient régulièrement lorsque nous examinions les propositions de loi dites « Warsmann » que nous n’appréciions pas la méthode ; permettez que nous continuions aujourd’hui à penser de même, madame la garde des sceaux. Toutefois, la différence fondamentale entre le présent projet de loi et les propositions de loi que je viens de mentionner tient au fait que ces dernières permettaient au Parlement d’exercer directement sa mission, c’est-à-dire de légiférer. Dans le cas présent, non seulement le Gouvernement nous propose une jungle de dispositions sans lien entre elles, mais, surtout, il nous demande de nous dessaisir et de le laisser légiférer par ordonnances. Disons-le clairement : nous ne sommes pas favorables à cette méthode. On observe un phénomène préoccupant de multiplication des ordonnances tout au long de la Ve République – vous n’êtes pas la seule mise en cause, madame la garde des sceaux.
Cette évolution est alarmante.
Dans l’édition de 2011 de son ouvrage intitulé La Constitution, Guy Carcassonne considérait en effet que l’« usage immodéré » des ordonnances est « franchement inquiétant ». Analysant la valeur des textes ainsi adoptés, il se montrait particulièrement sévère, les jugeant « généralement […] défectueux ». Il ajoutait que « les malfaçons ne se révèlent qu’a posteriori, là où il se serait sans doute trouvé un parlementaire pour soulever, fût-ce ingénument, le problème qui ne s’est découvert qu’après, à l’occasion de contentieux multiples. Le tamis parlementaire a des vertus intrinsèques. À qui pourrait les oublier, cette législation de chefs de bureau que sont les ordonnances le rappelle. » Tout est dit ! Le comble, c’est que le Gouvernement nous propose ici de recourir aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution dans des matières hautement symboliques. Quoi de plus symbolique, en effet, que le code civil ? La réforme proposée, par son ampleur – près de 300 articles – comme par ses répercussions éventuelles, est la plus ambitieuse depuis la création du code civil. Le droit des contrats est en passe d’être remanié de fond en comble à cette occasion. Peut-on raisonnablement envisager une telle réforme par voie d’ordonnances ? Évidemment, non ! Si encore vous aviez annexé les projets d’ordonnances au présent projet de loi, nous aurions pu nous prononcer autrement… Pour reprendre les mots très justes de notre rapporteur, « l’importance de l’enjeu semble exiger que le Parlement se saisisse de cette réforme, afin qu’un débat public puisse avoir lieu ». Oui, un débat public sur ces matières qui touchent le quotidien de nos concitoyens, aussi bien dans leur vie privée que dans la vie des affaires, est indispensable ! D’ailleurs, à deux exceptions près, la réforme de la filiation en 2005 et celle du droit des sûretés en 2006, la règle a toujours été de réformer le droit civil par la loi. Je tiens donc à saluer la position de principe affirmée par notre rapporteur et soutenue par le président Sueur : la commission des lois du Sénat a toujours refusé les ordonnances dans certains domaines, comme le droit civil ou le droit pénal. Nous entendons bien tous continuer à appliquer cette doctrine. Le rapporteur, M. Thani Mohamed Soilihi, a détaillé les raisons de forme, que j’ai évoquées précédemment, mais également les raisons de fond qui justifient notre position : la réforme du droit des obligations pose des questions majeures, que seul le Parlement peut trancher. Comme nous l’avons fait en commission, nous soutiendrons en séance le rapporteur et le président de la commission des lois, qui n’ont pas hésité à rejeter plusieurs demandes d’habilitation du Gouvernement. Nous soutenons aussi la démarche du rapporteur consistant à supprimer les demandes d’habilitation, au profit de l’adoption directe des mesures envisagées lorsque cela est possible. En conclusion, même si nous ne sommes pas favorables à toutes les dispositions de ce texte – loin de là ! – ni à son caractère « fourre-tout », il nous paraît important, à ce stade, de soutenir la position de la commission des lois. C’est pour cette raison que le groupe de l’UDI-UC votera pour le projet de loi, tel qu’il est présenté par le rapporteur, en espérant que le Gouvernement ainsi que nos collègues députés entendront le message fort que nous leur adressons depuis les diverses travées de cet hémicycle : il faut laisser le Parlement exercer pleinement et sereinement sa mission ! (Applaudissements.)