Les interventions en séance

Budget
20/03/2013

«Projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires»

M. Jean Arthuis

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où s’ouvre l’examen de ce projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, je voudrais remercier les rapporteurs pour avis, dont les travaux nous ont parfaitement éclairés, ainsi que le rapporteur au fond, Richard Yung, pour son investissement personnel. La finance est sans doute l’expression la plus achevée de la mondialisation, de la volatilité des actifs et des enjeux de concurrence internationale. La faillite de Lehman Brothers a jeté sur les banques du monde entier le voile de la défiance. Une machinerie infernale s’est déclenchée. La défiance interbancaire et les faillites en série ont contaminé l’économie réelle par l’assèchement du crédit. Les plans de relance budgétaire qui ont suivi dans toutes les économies des pays industrialisés ont achevé de creuser les déficits publics, jusqu’à ce que la défiance infecte la dette des États. C’est cette même défiance qui lie la crise financière et bancaire de 2007 à la crise économique qui a suivi, amplifiée bien sûr par la crise des dettes souveraines. Dès lors, le coupable était tout désigné : si le mal venait des banques, alors ce sont les banques qu’il fallait châtier ! C’était tout le sens du discours du Bourget du futur Président de la République. Son ennemi était la finance, il devenait donc impératif de séparer les activités financières d’une spéculation honnie. On parlait alors d’un Glass-Steagall Act à la française, d’une réforme structurelle majeure. Monsieur le ministre, nous partageons votre souhait d’une banque saine, robuste et dédiée au financement de l’économie. C’est sans doute l’objectif de ce texte, et, dans l’ensemble, il nous semble que votre démarche va dans la bonne direction. Nous émettons pourtant des réserves sur les modalités prévues aux deux premiers titres de votre projet de loi. Tout d’abord, il nous semble trop restrictif de juger les banques du seul point de vue national, sans voir ce qui se passe ailleurs, notamment aux États-Unis ou tout particulièrement en Europe. Il est bien sûr politiquement très correct de désigner le monde de la finance comme le bouc émissaire pour ce qui est des difficultés que nous rencontrons à sortir de la crise. Convenons toutefois que les États ne peuvent s’exonérer trop facilement de leur propre impéritie. Prenons le cas de la Grèce. Son surendettement met certainement en cause ses créanciers et son système bancaire, mais, à y regarder de plus près, force est de constater que les gouvernements des États membres de la zone euro portent une lourde responsabilité, en raison du laxisme qui a caractérisé la gestion de ladite zone depuis la création de la monnaie unique. Le pacte de stabilité et de croissance était devenu un pacte de tricheurs et de menteurs. L’actualité nous offre un nouvel objet de méditation. Comment se fait-il que la Commission et l’Eurogroupe se soient montrés à ce point complaisants à l’égard des banques chypriotes ? Y a-t-il un pilote dans l’avion ? Je ne doute pas, monsieur le ministre, que, dans les semaines ou les mois qui viennent, vous serez amené à demander au Parlement de nouvelles autorisations de crédits d’engagement pour venir en aide à Chypre. Ce qui a été défaillant, c’est la gouvernance de la zone euro. Après l’admission de Chypre dans la zone euro en 2008, la Commission comme l’Eurogroupe avaient le devoir impératif de veiller à la crédibilité du système prudentiel des banques chypriotes. En dépit de ces considérations, vous avez l’ambition de formuler un modèle français de séparation et de régulation bancaire. Vous entendez donner à l’Autorité de contrôle prudentiel un pouvoir de résolution dès lors qu’un risque systémique est avéré. Nous en comprenons la logique, mais peut-être faudrait-il aussi, à ce stade, s’interroger sur les excès de la concentration bancaire et leur corollaire : too big to fail… Ce n’est pas l’option que vous avez retenue. Vous vous en tenez à l’institution d’un pouvoir sidérant, le pouvoir de résolution. Il faudra pour le moins respecter une procédure contradictoire avant que de limoger les dirigeants de banques en risque de péril imminent. Au surplus, n’y a-t-il pas incompatibilité entre l’exercice du contrôle prudentiel et la désignation d’équipes de direction après révocation de l’équipe précédente ? Autre interrogation : comment qualifier un risque systémique et sa résolution ? Nous parlons d’opérations de plusieurs milliards d’euros. Cette absence de définition du risque systémique n’est pas anodine. La crise financière et bancaire des années 2007 et 2008 n’a pas été causée par nos banques, qui ont même plutôt bien résisté. Peut-être, monsieur le ministre, avez-vous à l’esprit la faillite de Dexia ou bien faites-vous une fixation sur les anciens dirigeants du Crédit immobilier de France, dont les relations avec le Trésor étaient tendues, c’est le moins que l’on puisse dire ? Cela étant, c’est une banque étrangère, Lehman Brothers, qui a été le déclencheur systémique de la défiance. C’est une cause étrangère au système bancaire français qui nous conduit ici aujourd’hui. (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.) Dès lors, je pose la question : ce texte est-il en mesure de nous préserver d’une nouvelle crise bancaire ? Malheureusement, j’en doute. Le droit français est limité par sa propre territorialité. Nous comprenons votre souhait de donner corps au septième engagement du Président de la République, alors candidat. Notre conviction, monsieur le ministre, est bien que l’Europe s’impose comme le meilleur cadre pour agir effectivement. Le travail a déjà commencé. En effet, la proposition de directive dite « CRD IV », qui doit achever la mise en œuvre des accords de Bâle III, est en cours d’élaboration ; le rapport Liikanen doit donner du contenu à l’union et à la supervision bancaires continentales. Tout ce dispositif doit être en conformité avec l’architecture de l’union bancaire en devenir. Il conviendra d’ailleurs de veiller à ce que ces mesures s’appliquent également aux sociétés d’assurance et aux organismes de prévoyance. Pourquoi vouloir aller plus loin par une anticipation législative ? Est-ce la meilleure manière de procéder à l’égard de nos partenaires européens ? Je sais bien que, en tout état de cause, l’application ne sera pas immédiate, comme on l’a vu aux États-Unis. Mes chers collègues, le groupe UDI-UC reconnaît que ce texte s’inscrit sur la voie vertueuse d’une réforme structurelle, attendue au niveau européen, voire mondial. Dans l’immédiat, nous craignons surtout que vous ne fassiez d’un outil de prévention des crises bancaires un cadeau à nos concurrents internationaux, en tout premier lieu aux places européennes. Je voudrais vous mettre en garde, monsieur le ministre : toute législation nationale plus rigoureuse que la réglementation européenne est une gesticulation qui se solde fatalement par une fuite d’activités et une perte d’emplois. (M. François Marc s’exclame.) Nous prendrons bien évidemment notre part à l’examen de ce texte en séance et nous ne manquerons pas de vous proposer des amendements en vue de parvenir à une rédaction plus conforme à nos attentes. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)