Les interventions en séance

Affaires sociales
Yves Pozzo di Borgo 19/06/2014

«Proposition de résolution relative au financement de la protection sociale et à l’allégement des charges des entreprises»

M. Yves Pozzo di Borgo

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe UDI-UC, qui compte également en son sein des membres du MODEM, souscrit à l’essentiel de la présente proposition de résolution. Ce qu’elle affirme, les membres de mon groupe et moi-même ne cessons de le dire depuis de nombreuses années. Bien sûr, nous sommes loin d’être les seuls. En réalité, tout le monde sait pertinemment que les modalités de financement de la protection sociale sont totalement obsolètes. Ces modalités datent de l’immédiat après-guerre. Elles se justifiaient alors. À l’époque, comme l’a rappelé Gérard Longuet, la France connaissait le plein-emploi. De plus, les prestations obéissaient toutes à une logique purement assurantielle. Enfin, l’économie était fermée. Dans ces conditions, quoi de plus logique que d’asseoir le financement des branches de la sécurité sociale sur des charges sociales pesant sur les salaires ? Cela relevait du bon sens. Le problème, c’est que, en soixante-dix ans, tout a changé ; il y a été fait allusion. Plus précisément, les trois paramètres susmentionnés se sont tous retournés. Depuis les chocs pétroliers, la situation de l’emploi ne cesse de se dégrader. Quant à l’inversion de la courbe du chômage, vous connaissez les chiffres ; ce n’est pas la peine d’y revenir. En outre, certaines branches de la sécurité sociale n’obéissent plus du tout à une logique assurantielle. Tel est le cas de la branche santé et de la branche famille, dont les prestations sont totalement universelles. Enfin – faut-il le rappeler ? –, l’économie est maintenant ouverte, et plus qu’ouverte. Il est vrai qu’on ne peut pas dire non plus que le système de financement de la protection sociale n’a pas du tout évolué en soixante-dix ans. Il s’est heureusement fiscalisé : la part de la fiscalité n’a cessé de progresser. Cependant, cette fiscalisation est récente : elle date des années quatre-vingt-dix, avec la mise en place de la CSG et des allégements de charges. Comme l’a souligné Gérard Longuet, la part des cotisations sociales dans les ressources de la protection sociale représente toujours plus de 60 % du total. La part des impôts et taxes affectés, dont la CSG, et des contributions publiques de l’État et des collectivités représente à peu près 35 % du total. À cela s’ajoute un reliquat d’autres ressources telles que les produits financiers et les subventions diverses. Les cotisations sociales conservent donc un poids prépondérant, ce qui emporte des conséquences néfastes très bien exposées dans la proposition de résolution. Le financement actuel de la protection sociale n’est plus adapté sur le plan économique ni sur le plan des principes. Sur le plan économique, il est clair que le financement de la protection sociale pèse trop lourdement sur la production en général et sur le facteur travail en particulier. Comme cela a déjà été dit plusieurs fois, ici mais aussi lors des dernières campagnes électorales, cette situation obère la compétitivité de nos entreprises puisque les charges sociales sont mécaniquement incorporées au prix des biens et services. Cela favorise évidemment l’importation. Toute l’activité s’en ressent. Cela déprime l’emploi et favorise les délocalisations, comme l’a très bien démontré notre collègue Jean Arthuis dans plusieurs de ses rapports, qui constituent des références en la matière.
Les charges sociales pèsent sur l’emploi d’une autre manière : elles favorisent le remplacement du travail par le capital. Elles introduisent donc un biais dans le mix des facteurs de production.
Il faut également mentionner un troisième impact négatif des charges sociales sur l’emploi, dont ne fait pas état la proposition de résolution : elles gonflent ce qu’on appelle le coin fiscalo-social. Pour le dire plus simplement, plus il y a de charges sur le travail, moins il y a d’incitation à reprendre un emploi. C’est un phénomène bien connu dont nous ne parvenons pas à sortir. Comme l’a encore rappelé mardi dernier le rapport annuel sur l’évolution de la fiscalité dans l’Union européenne publié par la Commission européenne, ces phénomènes sont, hélas ! particulièrement lourds en France. Selon ce rapport, la France se classe dans le trio de tête des pays européens ayant la plus forte fiscalité globale. Cette situation est des plus inquiétantes. Sur le sujet qui nous occupe, la situation devient même vraiment alarmante, puisqu’il apparaît que la France taxe relativement peu la consommation, mais beaucoup le travail et le capital. La part des contributions sociales est la plus importante de l’Union européenne, puisqu’elle atteint 17 % du PIB, et la contribution des employeurs représente plus des deux tiers des cotisations sociales, ce qui est là aussi un record. Ce sont des performances dont notre pays se passerait bien, surtout lorsqu’on se souvient que la distinction entre cotisations patronales et cotisations salariales est purement cosmétique. À la fin, ce sont toujours le consommateur, le salarié et le contribuable qui paient. Enfin, il existe une dernière raison économique, que ne mentionne pas la proposition de résolution, de réduire la part des cotisations sociales dans le financement de la protection sociale : ce mode de financement met les comptes sociaux à la merci du moindre retournement de conjoncture. Le mode actuel de financement de la protection sociale contribue à alimenter la boule de neige des déficits publics, dont on connaît l’impact potentiellement dévastateur sur la croissance. Comme je l’ai indiqué, le financement actuel de la protection sociale est obsolète non seulement sur le plan économique, mais également sur le plan des principes, pour des raisons de cohérence du système de prélèvements obligatoires. L’indemnisation chômage et les branches retraite et accidents du travail et maladies professionnelles, ou AT-MP, sont intrinsèquement liées à l’entreprise. Ce sont des assurances collectives obligatoires prises par les salariés. Elles sont qualifiées de dépenses « contributives » dans la proposition de résolution. Elles doivent en toute logique continuer d’être financées par l’entreprise, et même plus particulièrement par le travail. A contrario, l’universalisation des branches santé et famille a coupé ces dernières de tout lien direct avec le monde du travail. La santé et la famille sont non pas des assurances prises par les travailleurs, mais des prestations servies à tous, indépendamment du statut professionnel. Ce sont des dépenses « non contributives ». Pourtant, elles continuent d’être principalement financées par les cotisations sociales. C’est cela qui ne va plus. Les dépenses de solidarité nationale doivent en toute cohérence être financées par l’impôt. Quel impôt ? Autrement dit, quelle assiette ? C’est là que le bât blesse ; c’est à cette interrogation que se heurte la réforme. Pour y répondre, la proposition de résolution ouvre trois pistes : celle du chiffre d’affaires, celle de la consommation et celle du revenu des ménages. Prenons-les une par une. Comme vous le savez, pour notre part, nous sommes favorables à une logique de taxation de la consommation. C’est la fameuse TVA sociale, défendue de façon presque théologique par notre collègue Jean Arthuis. Cette TVA sociale a deux avantages : elle porte sur la consommation, qui est encore relativement peu taxée en France, et elle revient à taxer les importations, c’est-à-dire à faire participer les importations au financement de notre protection sociale, ce qui est juste même si cela ne couvre pas tout. Pour autant, nous ne sommes pas fermés à d’autres pistes. Nous reconnaissons l’intérêt de celle du chiffre d’affaires diminué de la masse salariale, qui est l’un des chevaux de bataille de notre éminent collègue Serge Dassault, l’auteur de la proposition de résolution. Cette mesure pourrait en pratique conduire à une redistribution de la charge du financement de la protection sociale au bénéfice des activités et des groupes les plus intensifs en main-d’œuvre – ce serait peut-être une bonne chose, car cela pourrait accroître le recours à de la main-d’œuvre –, mais au détriment de secteurs entiers qui, par nature, en emploient peu. Je souhaite, même si la proposition de résolution n’est pas adoptée, que cette idée fasse l’objet d’une analyse, d’un inventaire, d’une évaluation, afin que le Parlement puisse se prononcer sur le sujet. À ma connaissance, nous ne disposons pas encore de tels éléments. J’ai pu constater, lorsque je travaillais au cabinet du ministre de l’économie et des finances, que, malgré ses capacités intellectuelles énormes, Bercy était souvent fermé, pour ne pas dire aveugle s’agissant des conséquences des décisions envisagées. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez des services que nous n’avons pas. Je pense que vous devriez faire étudier la mesure proposée par Serge Dassault. Votre ministère compte suffisamment de compétences pour cela ! La troisième piste, celle du revenu des ménages, ne nous semble pas la bonne. L’impôt sur le revenu est extrêmement concentré sur un trop petit nombre de ménages et il a vraiment atteint ses limites ; je vous l’assure, monsieur Dassault.
Je vous rappelle que, à Paris, 80 % des ménages disposent de moins de 2 800 euros par mois. Je ne sais pas si vous imaginez ce que cela représente. On ne peut donc pas accroître encore les charges qui pèsent sur les classes moyennes.
Il existe une quatrième piste, qui n’est pas évoquée dans la proposition de résolution : c’est la flat tax. Il s’agit d’une taxe à taux faible, mais touchant l’assiette la plus large possible ; il faut inventer un système. En France, ce qui s’en approche le plus, c’est la CSG.
La présente proposition de résolution a donc le mérite de tenter d’ouvrir le débat et de le faire sur le fondement d’une analyse saine. C’est la raison pour laquelle nous la voterons. Cependant, au-delà de cette résolution, nous demandons au Gouvernement de prendre réellement le problème à bras-le-corps.
Serge Dassault est l’un des doyens du Sénat, mais c’est peut-être lui le plus imaginatif et le plus moderne dans ses réflexions. Nous avons toutefois besoin d’éléments d’information. Le Sénat n’est pas suffisamment compétent, car il n’a pas assez de moyens pour analyser toutes les mesures envisageables. La réforme structurelle n’a que trop tardé. Elle ne peut être repoussée indéfiniment. Nous désespérons de voir venir un jour le choc de compétitivité que nous appelons de nos vœux. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)