Les interventions en séance

Traités et conventions
Christian Namy 19/06/2014

«Proposition de loi relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918»

M. Christian Namy

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 28 juin prochain, nous célébrerons un triste anniversaire, celui de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, il y a cent ans. Nous sommes en effet aux prémices d’un cycle mémoriel dense, important, voire crucial. Cette année, nous commémorerons le centenaire du début de la Première Guerre mondiale. Mais c’est un terme bien pudique que celui de « Première Guerre mondiale ». Nous allons en réalité commémorer une boucherie humaine sans nom, une guerre qui eut les conséquences les plus atroces et les plus dramatiques pour la France et l’Europe : 10 millions de morts, dont près de 1,5 million pour notre seul pays. Ces chiffres sont abstraits, la réalité l’est moins. Cette guerre, c’est l’enfer des tranchées boueuses, pestilentielles et sanglantes, dans lesquelles nous avons enseveli toute une génération d’hommes. Permettez au président du conseil général de la Meuse que je suis d’avoir un regard particulier et une sensibilité aiguë sur le sujet. Vous avez tous lu Ceux de 14 de Maurice Genevoix. Aussi, vous n’êtes pas sans savoir que, chaque jour, la mémoire de Verdun, de l’Argonne, des Éparges s’impose à mon département. Un siècle après, nous nous souvenons, et c’est à nous qu’il incombe d’honorer la mémoire de ceux qui ont fait le sacrifice ultime pour la liberté de notre pays et de ceux qui sont tombés du fait de la seule absurdité de la guerre. Près d’un million et demi de soldats français perdirent la vie. Parmi eux, il y aurait eu plus de 600 « fusillés pour l’exemple ». À ce nombre, corrigé par M. le secrétaire d’État à l’instant, s’ajoutent tous ceux qui ont été abattus sans jugement. Pour quel exemple ? Parlons-nous de ces soldats de dix-huit ans, parfois moins, qu’on envoyait à la mort dans des conditions dramatiques et qui ont été fusillés pour n’avoir su sortir assez vite de la tranchée ? Parlons-nous de ceux qui, après avoir essuyé l’horreur de l’assaut contre une tranchée ennemie, ne pouvaient se retenir de regarder leurs officiers en murmurant « assassin, assassin ! ». Est-ce cela « l’exemple » justifiant le fait de fusiller nos propres compatriotes ? Est-ce cela le prix de la discipline dans les rangs ? Une justice militaire intransigeante quand elle était exercée, des conditions de guerre épouvantables, des circonstances terribles, voilà les raisons pour lesquelles ces hommes furent fusillés. Il s’agissait d’exécuter pour dissuader. On a brisé des vies. Dans le rapport remis au Gouvernement par le comité d’historiens présidé par Antoine Prost sur la question des fusillés pour l’exemple est cité un cas qui m’a spécialement interpellé. C’est celui des sous-lieutenants Henri Herduin et Pierre Millant, tous deux à la tête d’une compagnie du même bataillon, qui, en juin 1916, se replièrent avec les rescapés lors d’un assaut manqué plutôt que de se faire prendre par l’ennemi. Ils ont été fusillés le lendemain ! Le sous-lieutenant Herduin se savait victime d’une injustice. Néanmoins, il commanda lui-même son peloton d’exécution. Et voilà ce qu’il a déclaré avant de mourir : « Soldats, vous allez me fusiller, mais je ne suis pas un lâche, mon camarade non plus. Mais nous avons abandonné la position ; nous aurions dû rester jusqu’au bout, jusqu’à la mort. Si vous vous trouvez dans le même cas, n’abandonnez pas, restez jusqu’au bout… et maintenant, visez bien, droit au cœur... ». Encore une fois, je me pose la question : était-ce cela le prix de la discipline dans les rangs ? Je suis très sensible à leur drame. Alors qu’ils ont été réhabilités en 1926, le département de la Meuse, avec l’accord unanime des associations locales d’anciens combattants, a érigé une stèle en leur honneur en novembre 2009, dans un lieu proche de leur exécution, à savoir le village de Fleury, qui est l’un des neuf villages détruits par les combats et non reconstruits dans la zone rouge de Verdun. Vous comprendrez donc ma sensibilité sur ce sujet. La proposition de loi déposée par Guy Fischer et ses collègues a pour objet de réhabiliter collectivement les fusillés pour l’exemple. Dans un contexte commémoratif important, cette question est plus que légitime pour les familles, pour les associations et pour notre mémoire nationale. Je remercie chaleureusement notre collègue de nous permettre ainsi d’évoquer ces faits terribles dans l’enceinte de cet hémicycle. Pendant trop longtemps, ces hommes ont été qualifiés de soldats indignes ; pendant trop longtemps, le sceau de la honte a marqué leurs familles. Le chagrin devenait une souffrance morale : « comment pleurer quelqu’un qui a déshonoré l’uniforme ? ». Ces fusillés pour l’exemple font aujourd’hui et à jamais partie de la mémoire nationale. Avez-vous vu, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le film Joyeux Noël de Christian Carion ? Parfois, il devient évident que, lorsque l’on a atteint les limites de l’intolérable, on devient tout simplement incapable de se battre, sans pour autant trahir son pays. Qu’aurions-nous fait, nous tous, dans les mêmes conditions, à tout juste dix-huit ans ? Les orateurs qui m’ont précédé ont cité les propos tenus par MM. Jospin et Sarkozy. Ce dernier s’est exprimé en 2008 à Verdun, à l’ossuaire de Douaumont, où, je vous le rappelle, plus de 130 000 corps de soldats français et allemands sont ensevelis. Le Président de la République François Hollande a réaffirmé, quant à lui, le 7 novembre dernier, ce qui avait été dit par son prédécesseur : les fusillés pour l’exemple ne doivent pas être oubliés. Si une réhabilitation morale a donc eu lieu, reste à mener une véritable réhabilitation législative, qui conduirait à rendre hommage aux soldats tombés injustement, en inscrivant leurs noms sur nos monuments aux morts. C’est pourquoi, à titre personnel, je suis tenté d’adhérer à la démarche initiée par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen. J’y suis tenté en mémoire non seulement de ces vies perdues pour des motifs absurdes, mais aussi de mon département de la Meuse, qui a été l’un des théâtres de cette guerre atroce. Cette proposition de loi possède une véritable portée. À mes yeux, elle est un signal très fort envoyé au Gouvernement et au Président de la République en cette année de commémoration. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai écouté avec attention votre intervention. Tous les fusillés, vous avez raison, ne peuvent pas forcément être réhabilités. Je retiens donc votre proposition, qui, si je l’ai bien comprise, permettra une réhabilitation au cas par cas, sur demande des familles concernées. Il y a là, je crois, une voie permettant d’élever le débat, d’en sortir par le haut et d’apporter le supplément d’âme nécessaire aux prochaines commémorations. Je regrette simplement qu’aucun amendement n’ait été déposé pour introduire vos propositions. Tout comme mon groupe, j’y aurais adhéré très volontiers. Aujourd’hui, nous ne pouvons accepter la réhabilitation de tous les fusillés sans examen des dossiers. C’est pourquoi, dans sa grande majorité, le groupe UDI-UC ne prendra pas part au vote. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, du groupe socialiste et du groupe CRC.)