Les interventions en séance

Education et enseignement supérieur
Jean-Léonce Dupont 19/06/2013

«Projet de loi relatif à l՚enseignement supérieur »

M. Jean-Léonce Dupont

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Parlement apprécie visiblement de débattre de l’enseignement supérieur et de la recherche vers la fin de l’année universitaire ! L’été 2007, c’était l’élaboration de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite loi LRU, dont l’intitulé, modifié par le Sénat, renvoyait avec sens et volonté à celui de la première loi de décentralisation territoriale, la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions. Nous voici, en juin 2013, examinant un projet de loi que vous avez simplement qualifié, madame la ministre, de « relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche ». Cet intitulé neutre n’exprime pas de véritable ambition de la part de ce gouvernement pour un service public qui joue pourtant un rôle essentiel dans notre pays. Il est vrai qu’une partie de vos soutiens politiques exigeait rien de moins que l’abrogation de la loi LRU, et tient encore des discours dignes des contestataires du siècle passé. Cela m’inspire une permanente désolation… Vous avez tenté de résister, madame la ministre, et nous vous en donnons acte. Pour autant, votre texte, tel qu’il se présente à l’issue des travaux de la commission, ne peut nous satisfaire et recueillir notre soutien. Texte d’orientation, et non de programmation, il fait l’impasse sur les moyens financiers et humains, alors que nombre d’établissements sont à la peine. Cela fait douter de l’applicabilité d’une loi qui ne serait alors qu’une liste d’intentions, une loi bavarde, disent certains. Son contenu nous fait surtout craindre un inquiétant retour en arrière dans le fonctionnement d’établissements qui n’ont pas encore eu le temps nécessaire pour acculturer l’autonomie. Je le disais mardi dernier devant vous, et je crois cette donnée essentielle : l’accès aux responsabilités et aux compétences élargies s’est fait par vagues annuelles successives à compter de janvier 2009, et les universités ont aujourd’hui entre quatre ans et demi et moins de trois ans, pour certaines, de pratique de l’autonomie. Le temps nécessaire à l’acquisition d’une pleine maîtrise du dispositif de la loi s’accommode mal du temps politique. C’est profondément dommage. La discussion générale ne devant pas se substituer à celle des articles, j’illustrerai l’esprit très pragmatique avec lequel nous abordons trois sujets clés au cœur de ce texte : gouvernance et stratégie, formation et réussite étudiante, enfin, plus brièvement, recherche et valorisation. L’exercice de l’autonomie suppose un pilotage fort, et le rôle exécutif du président d’université a justement été conforté par la loi LRU, notamment au travers de son accompagnement par un conseil d’administration resserré. Aujourd’hui, si nous saluons l’inscription dans le présent texte de la participation des personnalités extérieures à l’élection du président d’université, d’autres dispositions nous inquiètent. Il en est ainsi de l’augmentation du nombre des membres des conseils d’administration : la réflexion stratégique est plutôt un exercice se pratiquant en formation restreinte. Ne redonnons pas aux universités un conseil d’administration où les expressions syndicales et corporatistes reprendraient le dessus, dilueraient l’essentiel et finiraient par détourner des séances, et donc de l’université, les personnalités extérieures venues du monde économique et des collectivités. Autre point d’inquiétude : la renonciation à l’obligation d’une représentation de tous les secteurs de formation présents dans l’établissement. L’exclusion est préjudiciable au sentiment d’appartenance et d’identité, déterminant pour obtenir l’adhésion aux décisions prises localement propres à l’autonomie. Il me semble regrettable que la parité disciplinaire n’ait pas la même force que la parité des sexes. Celle-ci, qui n’est constitutionnellement qu’un objectif, s’impose absolument partout, y compris dans la composition du collège des personnalités extérieures. La création d’un conseil académique, regroupant les actuels CEVU et CS, est une idée intéressante, mais le format de cette instance reste tout de même assez éloigné du sénat académique que nous souhaitions. Il est doté de compétences décisionnaires ; dès lors se pose le problème du cap que peut tenir un bateau muni de deux gouvernails. Il est impératif que la loi impose que le conseil académique et le conseil d’administration – étrange identité des acronymes – aient le même président ; nous y tenons. Relève également de la gouvernance et de la stratégie l’instauration des communautés d’universités ou d’établissements. Elles seront de création obligatoire, dotées d’une structure d’établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel. Elles auront la même nature juridique que les universités elles-mêmes et les mêmes organes de gouvernement : conseil d’administration et conseil académique notamment. Est-ce bien raisonnable pour leur gouvernance et la compréhension de leurs missions par la communauté universitaire et ses partenaires territoriaux ? Nous venons d’admirer la créativité normative sans pareille du Gouvernement avec le premier projet de loi de l’acte III de la décentralisation, qu’il s’agisse des conférences territoriales de l’action publique ou de la métropolisation à géométrie variable. Nous avons là un nouvel exemple de cette imagination institutionnelle ! Le millefeuille se dégustera aussi dans l’enseignement supérieur et la recherche. Le débat à venir permettra d’en mesurer le caractère indigeste… Les PRES et les réseaux thématiques de recherche avancée, les RTRA, que vous supprimez, n’étaient sans doute pas parfaits, mais ils avaient le mérite de la souplesse et d’une certaine liberté dans le vivre ensemble et la construction de la maison commune. Ils facilitaient aussi la nécessaire rencontre avec les établissements d’enseignement supérieur non universitaires. Nous sommes très attachés à ces actes choisis. Le caractère obligatoire de groupements structurellement identiques va mal avec l’autonomie, sauf à vouloir, pour l’État, contrôler et recentraliser par le biais de ces superstructures. Nous ne sommes pas dupes, et l’analogie avec l’acte III de la décentralisation rend suspecte cette organisation complexe et sans doute peu réactive. La nouvelle politique contractuelle qui s’installe avec les contrats de site va dans le même sens. Conclus avec les seules communautés, ils remplaceront les actuels contrats d’établissement. Nous restons dubitatifs, eu égard à la lourdeur de fonctionnement qu’ils risquent d’induire entre la communauté d’universités ou d’établissements et ses membres et dans la relation avec les grands organismes de recherche. Nous nous interrogeons aussi sur leur articulation avec les schémas d’enseignement supérieur et de recherche à la charge des régions. Entre l’État et les régions, interlocuteurs sourcilleux mais sources de financements en voie de raréfaction, que restera-t-il de l’autonomie ? La question risque d’être plus sensible encore lorsque les communautés d’universités sont bi-académiques, comme c’est le cas en Normandie ! L’État stratège n’est pas incompatible avec la pratique de l’autonomie : visiblement, il ne le sait pas encore ; oserais-je dire que, probablement, il ne le veut pas encore. Tout indique, dans ce texte, que l’État entend se préserver de l’autonomie, plutôt que la favoriser et en faire un levier de sa modernisation et de celle de l’économie de notre pays, au risque d’un rendez-vous manqué. La construction institutionnelle proposée se veut au service des missions assignées au service public de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous avons bien compris que l’essentiel était pour vous, au travers de ce projet de loi, l’amélioration de la réussite étudiante. En restant sur le seul terrain des universités, comment ne pas partager cet objectif ? Nous prenons acte de l’échec manifeste du plan pour la réussite en licence et de l’orientation active. Sans vraie surprise, car nos universités accueillent des cohortes de jeunes bacheliers qui s’y inscrivent trop souvent par défaut, pour « faire étudiant » ou faute d’avoir vu leur candidature retenue dans les filières sélectives… Combien de générations devront être ainsi malmenées –le mot est faible ! – avant que le tabou de la sélection soit levé ? Je suis sans illusion sur la probabilité que le gouvernement actuel s’y attaque ! Il ne faudra pas ensuite qu’il s’étonne que les bonnes intentions accumulées dans son projet de loi ne produisent pas les effets qu’il escompte. Je prends date dès aujourd’hui. À vrai dire, derrière ces bonnes intentions, nous ne voyons pas les outils, et je ne parle pas là des seuls moyens financiers. La boîte à outils est, là aussi, plutôt vide ! Vous vous souciez du devenir des bacheliers professionnels et technologiques dans les parcours de licence. Nous partageons complètement cette préoccupation. Vous envisagez d’exiger que les IUT et les STS qui ont vocation à les accueillir leur réservent un quota. C’est parfait, mais comment contrôlerez-vous le respect du quota négocié localement ? Que ferez-vous des bacheliers technologiques et professionnels qui ne seront pas retenus ? Vous voulez inscrire dans la loi l’obligation de porter à la connaissance des futurs étudiants les données sur les débouchés professionnels des formations qu’ils souhaitent suivre. L’initiative n’est pas mauvaise, mais que se passera-t-il ? La loi LRU dispose qu’on leur communique les statistiques de réussite ou d’échec dans les filières qu’ils visent, selon leur parcours dans le secondaire : ils les ignorent ; pourquoi prendraient-ils davantage en compte les données sur l’insertion professionnelle ? Vous voulez construire des passerelles longues entre lycée et université. En quoi cela modifiera-t-il l’orientation, puis la réussite, d’étudiants qui n’ont pas les pré-requis ? J’insiste sur ce point. À force de périodes d’enseignements pluridisciplinaires et généralistes supposées faciliter les réorientations, à quel stade l’étudiant se spécialisera-t-il enfin ? Au terme de sa formation, le jeune entre dans la vie active. Dans le bagage universitaire de celui qu’il recrute, l’employeur peut légitimement s’attendre à trouver un certain niveau de précision dans les savoirs et les compétences. Madame la ministre, vous réservez une certaine place aux stages et à leur encadrement, à l’ouverture, autant que possible, des formations en alternance, à l’usage des outils numériques en complément de la formation sur site. Là encore, c’est très bien, mais quels moyens mettrez-vous à la disposition des établissements ? Quels moyens pourront-ils dégager eux-mêmes dans le contexte actuel ? Au final, quels effets réels tout cela aura-t-il sur la réussite individuelle des étudiants ? Comment éviterez-vous des ruptures d’égalité entre les étudiants selon l’université où ils sont inscrits, selon la réalité du tissu entrepreneurial du territoire où ils étudient ? Ces questions, auxquelles le texte ne répond pas clairement, nous ramènent à une évidence : sans une orientation contraignante, assortie naturellement d’aides sociales étudiantes, il serait illusoire de croire que l’université pourra faire réussir chacun de ses inscrits. En outre, l’énergie qu’elle investira vainement dans la mise en œuvre des dispositifs que vous présentez sera autant d’énergie en moins pour les parcours d’excellence qu’elle doit aussi garantir, car il y va de sa légitimité et de sa pérennité. J’en viens à la recherche. Au-delà des déclarations d’intention toujours un peu théoriques sur la stratégie nationale de recherche, notre inquiétude est double. Tout d’abord, le projet de loi tend à remplacer l’AERES par une nouvelle autorité remplissant les mêmes missions. Certes, les évaluations sont un poids supplémentaire dans le travail quotidien des équipes, mais la mesure du résultat et de la performance est inhérente à la compétitivité. L’AERES a su construire sa méthodologie et a pris sa place dans le paysage institutionnel, au-delà même de nos frontières. Ne cédons pas à cette facilité qui consiste à changer l’enveloppe matérielle pour faire accepter une contrainte incontournable. C’était aussi l’avis de notre rapporteur, dont j’ai sincèrement apprécié le travail, mais qui est bien malmené, en définitive, par sa propre majorité. Les équipes et les établissements retenus au titre des appels à projets des investissements d’avenir ont accepté les règles du jeu de l’évaluation. Ils en ont retiré les fruits, notamment en termes de reconnaissance internationale de leur excellence. La mission de transfert des résultats de la recherche, de leur valorisation, est absolument inséparable de la recherche publique. La reléguer au second plan pour des raisons purement idéologiques serait contraire à ce qui se pratique dans toutes les universités du monde. Vous le savez, madame la ministre, la mise en place d’une université ouverte sur son environnement, participant pleinement, par la diffusion des travaux de ses chercheurs, tant à la compétition mondiale qu’au développement de son territoire de proximité, est un objectif non négociable. Le refuser serait simplement irresponsable. En guise de conclusion, je rappellerai cette formule d’Edgar Faure que j’ai déjà faite mienne ici : « L’université n’est pas seulement l’affaire des universitaires, mais de la nation toute entière. » Par l’accumulation de dispositions techniques, vous cherchez à donner des gages politiques à ceux qui voulaient la fin de l’autonomie de nos universités. Vous prenez ainsi le risque de favoriser un repli identitaire que la loi LRU s’attachait à combattre. Madame la ministre, nous saluons encore une fois votre volonté initiale de conserver les acquis fondamentaux. Pour autant, vous n’avez pas le droit de laisser la porte des campus se refermer devant la société et le monde qui les entourent. Il y va de l’avenir de nos enfants et du destin de notre pays. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)