Les interventions en séance

Collectivités territoriales
Hervé Maurey 19/01/2010

«Projet de loi de réforme des collectivités territoriales»

M. Hervé Maurey 

Madame la présidente, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le moment est venu d’aborder réellement une réforme essentielle de ce quinquennat : la réforme des collectivités locales, qualifiée la semaine dernière par le Président de la République de « réforme ambitieuse qui renforcera les communes dans leur rôle ». J’espère qu’il en sera vraiment ainsi, car je fais partie de ceux, nombreux ici, qui pensent que cette réforme est indispensable.
Le nombre de strates territoriales est en effet beaucoup trop élevé : commune, communauté de communes, pays, département et région auxquels s’ajoutent l’État et l’Europe ; il y a quarante ans, je le rappelle, n’existaient, au niveau local, que la commune et le département. L’enchevêtrement de compétences qui en résulte est tout à fait invraisemblable et fait que plus personne ne s’y retrouve, pas même les élus que nous sommes.
C’est pour cela qu’il faut réformer la « sacro-sainte » clause générale de compétence, chère à certains d’entre vous, mes chers collègues. Que tout le monde s’occupe de tout n’est certainement pas un gage d’efficacité, de rationalité ni de maîtrise des coûts ! Est-il normal, à titre d’exemple, que la commune, la communauté de communes et le département, sans oublier la région, interviennent en matière économique et qu’à tous ces niveaux des services administratifs soient saisis ?
La réforme est donc nécessaire et elle est même indispensable. Je regrette donc que certains tentent d’exploiter sur le terrain, à quelques semaines des élections régionales, la peur du changement. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Je participe à des manifestations dans mon département où certains élus, que je ne nommerai pas, sauf si vous insistez, expliquent que la réforme entraînera la disparition des communes, la disparition des départements, la fin des financements et, par là même, la fin des investissements communaux. Bref, on nous annonce le grand soir de la décentralisation ! Fort heureusement, il n’en est rien et les élus ont tout à gagner d’une réforme qui doit simplifier et rationnaliser les processus décisionnels. Il est vrai qu’il reste à les en convaincre !
Mais cette réforme est nécessaire, si et seulement si elle permet réellement d’assurer une meilleure lisibilité de l’action publique, une clarification des compétences, une simplification des processus décisionnels et une gestion plus rationnelle et plus économe de l’argent public. Il faut donc veiller à la concrétisation de ces objectifs et je ne suis pas certain que la création d’un nouvel échelon, « la métropole », y réponde pleinement.
Concernant la méthode choisie par le Gouvernement, je regrette qu’une réforme d’une telle ampleur fasse l’objet de quatre textes distincts : la loi sur la concomitance des élections que nous avons déjà examinée, celle dont nous commençons l’examen, celle qui portera sur les modes de scrutin et, enfin, celle qui définira les compétences. Pourquoi ne pas avoir abordé globalement la question (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste), ce qui aurait permis d’avoir une vision de l’ensemble de la réforme ? Certains mauvais esprits, dont je ne suis pas, pensent que c’est précisément pour que nous n’ayons pas une vision globale que le Gouvernement procède ainsi. Je ne peux naturellement l’imaginer ! (Sourires sur les mêmes travées.)
Le Gouvernement nous propose aujourd’hui de créer, avec ce projet de loi, le conseiller territorial. Cette création est la mesure phare de ce projet de loi, la clef de voûte de la réforme, puisqu’elle doit permettre de rapprocher le département et la région sans supprimer aucun de ces deux niveaux.
Je ne suis pas, loin s’en faut, opposé à cette mesure, mais comment se prononcer sur la création du conseiller territorial quand on ne connaît ni son mode d’élection, ni la taille de sa circonscription, ni les conditions dans lesquelles il exercera ce lourd mandat – qui fera vraisemblablement de lui un élu à temps plein, et nécessitera donc un véritable statut de l’élu local –, ni comment sera réglée l’importante question de la parité ?
Les élus du groupe de l’Union centriste ont d’ores et déjà fait savoir que le mode de scrutin actuellement envisagé par le Gouvernement, c’est-à-dire le scrutin uninominal à un tour avec une « dosette » de proportionnelle, n’était pas acceptable. Ce mode de scrutin est contraire à toute la tradition électorale et démocratique française, il n’est qu’une machine à broyer le pluralisme politique pour tenter d’imposer le bipartisme à marche forcée : notre groupe ne l’acceptera donc pas ! Pour cette raison, il a déposé un amendement posant le principe d’un mode de scrutin juste et efficace, c’est-à-dire un scrutin mixte, conciliant le scrutin uninominal, pour la représentation des territoires, et le scrutin proportionnel, afin d’assurer le pluralisme politique, la représentation démographique et la parité. Cette dose réelle de proportionnelle que nous appelons de nos vœux permettra de créer des cantons à taille humaine, élaborés sur la base des territoires et des bassins de vie, dont les disparités démographiques seront corrigées par le scrutin proportionnel, qui corrigera également les effets négatifs du scrutin uninominal quant à la parité et au pluralisme politique.
Il va sans dire, messieurs les ministres, que le sort réservé à cet amendement déterminera notre vote sur la création du conseiller territorial. Nous ne pouvons pas, vous le comprendrez, voter cette création sur la seule base de l’article 1er du projet de loi qui précise simplement que le conseiller territorial est créé et qu’il siégera au conseil général et au conseil régional. Vous conviendrez tous que cette définition est un peu courte ! J’ajoute, pour dédramatiser le débat, que le conseiller territorial pourrait très bien ne pas être créé dans ce projet de loi, mais dans un texte ultérieur, puisqu’on nous en annonce un certain nombre.
De même, il me semble regrettable que nous n’abordions pas les conditions de désignation des conseillers communautaires et, par là même, le mode de scrutin des conseillers municipaux. J’en profite pour rappeler l’hostilité – je dis bien « l’hostilité » – des élus de terrain quant à l’abaissement à 500 habitants du mode de scrutin actuellement applicable dans les communes de 3 500 habitants et plus.
Contrairement à ce qui nous est dit, je n’ai pas rencontré un seul maire – or je rencontre chaque semaine les associations cantonales de maires de mon département – qui souhaite ce changement de mode de scrutin. Tous craignent, à juste titre, la politisation des élections et, par là même, de la vie municipale. Il faudra donc au minimum relever ce seuil, le moment venu.
Enfin, pourquoi attendre plus d’un an pour se pencher sur la très complexe question de la répartition des compétences et se limiter, dans ce projet de loi, à proclamer des principes dont beaucoup d’entre nous ont déjà souligné le caractère purement incantatoire : le principe de « compétences exclusives » est affirmé, tout en posant celui des « compétences partagées » à titre exceptionnel, ainsi que « la capacité d’initiative » dès lors qu’elle est justifiée par un intérêt local. Il ne faudrait pas que cette double exception nous ramène, peu ou prou, à la clause générale de compétence ! Pour ma part, je le répète, je souhaite que les blocs de compétences soient bien définis, et que l’on ne puisse s’en affranchir qu’à titre réellement exceptionnel.
Un autre sujet me paraît tout à fait essentiel et je m’étonne de son absence totale de ce débat : il s’agit du cumul des mandats. (Mme Maryvonne Blondin opine.) Comment peut-on envisager de réformer les collectivités territoriales, de moderniser la vie politique et de renforcer l’efficacité des élus sans aborder cette question ?
Alors que les structures intercommunales jouent un rôle de plus en plus important et que l’objet de la réforme est de renforcer leur rôle, il n’est plus possible de ne pas prendre en compte les fonctions exercées au sein de ces structures au titre du cumul des mandats. Il n’est plus possible que l’on puisse être parlementaire et maire, ou président de conseil général, et en plus président d’une intercommunalité, parfois très importante, et de divers syndicats.
A contrario, le mandat du conseiller municipal, dès lors qu’il ne s’accompagne d’aucune responsabilité exécutive, doit être exclu de cette prise en compte.
Cette question du cumul des mandats est, je le répète, extrêmement importante. Aussi, elle fait l’objet d’un amendement déposé par notre groupe.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, telles sont les quelques réflexions que je voulais vous livrer au début de l’examen de cette réforme.
Nous sommes, je le crois sincèrement, à un moment décisif. En effet, il est indispensable d’entendre les attentes et les aspirations des élus et, en même temps, il ne faut pas, pour apaiser chaque inquiétude susceptible de se manifester, que ce texte soit vidé de sa substance et qu’une fois de plus une réforme se transforme en « réformette ». Ce serait la pire des choses qui puisse arriver pour notre démocratie, notre République et pour nos collectivités territoriales.
La voie est donc étroite et le chemin difficile, mais je pense, messieurs les ministres, que nous pouvons ensemble parvenir à réaliser la réforme ambitieuse dont notre pays et nos collectivités ont besoin. Nous sommes prêts à vous y aider, pour peu que vous acceptiez de nous entendre. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur plusieurs travées de l’UMP.)