Les interventions en séance

Aménagement du territoire
Vincent Capo-Canellas 18/11/2013

«Projet de loi, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin »

M. Vincent Capo-Canellas

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, l’accord qui est soumis ce soir à notre approbation porte sur le projet de liaison ferroviaire nouvelle Lyon-Turin, projet majeur d’infrastructure de transport qui a pu faire débat, qui fait toujours quelquefois débat – on l’a entendu – et qui trouve dans le présent texte un nouvel élan. Le Gouvernement souhaite que nous adoptions ce projet de loi dans la perspective du sommet bilatéral franco-italien qui aura lieu dans deux jours seulement. Ce projet de ligne Lyon-Turin remonte au début des années quatre-vingt-dix et répond à un triple objectif. Il s’agit d’abord de développer un réseau ferroviaire transeuropéen par connexion des réseaux nationaux et de sécuriser les échanges entre la France et l’Italie à travers les Alpes. Ce projet répond également à un objectif de protection du massif alpin par le report sur le rail d’une large part du transport routier des marchandises. Je reviendrai sur ce point et sur l’aspect écologique du projet. En premier lieu, la ligne Lyon-Turin fait partie des axes prioritaires du réseau transeuropéen de transport, lequel doit permettre l’harmonisation, la jonction et le développement à l’échelle du continent européen des infrastructures indispensables pour permettre la circulation des marchandises et des personnes. Je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions de l’accord signé le 30 janvier 2012 dont nous devons autoriser l’approbation ce soir, car nos rapporteurs l’ont fait avec une précision et une exhaustivité que je salue. Je rappellerai seulement que ce nouvel accord, après ceux conclus en 1996 et en 2001, a pour objectif principal d’avancer significativement vers la réalisation de la section internationale du projet. Il porte en particulier sur la section transfrontalière, c’est-à-dire le tunnel de cinquante-sept kilomètres et ses abords immédiats. C’est la partie du projet qui est la plus délicate. Il s’agit donc d’une étape intermédiaire : ce projet a été décidé dès 1994 dans le cadre de l’Union européenne, puis lancé par les gouvernements français et italien. L’accord constitue la troisième étape du processus. Le lancement des travaux définitifs de construction devra, quant à lui, faire ultérieurement l’objet d’un nouvel accord bilatéral. Il s’agit donc ce soir non d’autoriser le premier coup de pelle, mais de permettre la poursuite du projet. Ce texte représente néanmoins une étape importante de la réalisation du Lyon-Turin dans sa partie internationale, puisqu’il précise la gouvernance du projet par les deux États, la définition du droit applicable au règlement des différends, et qu’il clarifie enfin le partage des coûts de la section internationale. Au-delà de l’accord que je viens d’évoquer ici rapidement, nous n’ignorons pas les incertitudes que comporte ce projet et les inquiétudes qu’il peut susciter. Le rapporteur les a évoquées, notre collègue écologiste y est également revenue, chacun à sa façon. Ainsi, le monde agricole craint que le projet de Lyon-Turin ne conduise à une consommation excessive de terres agricoles. Il faudra sans doute, monsieur le ministre, porter une attention particulière à cette question pour assurer la pérennité des exploitations agricoles. Un dispositif dédié pourrait être utile. S’agissant des incertitudes, j’évoquerai d’abord la question du calendrier de réalisation : il est indéterminé, compte tenu du fait que le plan de financement n’est pas bouclé et de la complexité technique du projet. Les inquiétudes financières, quant à elles, sont liées en partie au chiffre de 26 milliards d’euros avancé par la Cour des comptes pour évaluer le coût total du projet, initialement estimé à 12 milliards d’euros. Compte tenu de ce coût, certains élus s’inquiètent du financement des autres projets d’infrastructures de transport, qui risqueraient d’être sacrifiés, étant donné les contraintes de nos finances publiques. (Mme Kalliopi Ango Ela opine.) La question se pose en effet : comment financer un tel investissement ? Notre rapporteur a donné tout à l’heure des éléments rassurants et des pistes sur ce point. Il est bien évidemment souhaitable, monsieur le ministre, que vous acheviez de nous tranquilliser. Ces éléments financiers expliquent, avec la complexité technique de l’ouvrage, l’étalement du projet sur plusieurs décennies. On parle en effet d’une ouverture en 2030, ce qui renforce le scepticisme quant à la réalisation finale de ce projet. C’est pourquoi, comme l’a indiqué excellemment Yves Pozzo di Borgo, la contribution du budget de l’Union européenne est décisive. En effet, l’Union s’est fermement engagée à participer au financement de la partie transfrontalière à hauteur de 40 %. Cela réduirait la participation de la France à environ 2,15 milliards d’euros sur les 8,5 milliards d’euros que représente le tunnel transfrontalier, financement échelonné évidemment sur plusieurs années, voire sur une décennie. Enfin, précisons que les 26 milliards d’euros cités concernent l’ensemble du coût du projet pour la France et l’Italie. Le financement à la charge de notre pays serait en réalité plus proche des 10 milliards d’euros. En outre, comme cela a été rappelé par les rapporteurs, la clé de répartition financière arrêtée dans l’accord est favorable à la France : l’Italie financera 60 % des dépenses concernant le tunnel, qui est pourtant bien plus long sur le territoire français. Ce n’est pas négligeable. La nouvelle ligne Lyon-Turin bénéficiera aux déplacements régionaux, nationaux et européens à travers les Alpes. Ce n’est pas seulement un projet d’infrastructure de transport, mais un projet de territoire aux enjeux environnementaux, économiques et sociaux importants pour les régions concernées et bien au-delà, compte tenu de son aspect européen. La question des enjeux environnementaux est discutée – elle l’a été tout à l’heure à la tribune. Examinons les enjeux économiques et sociaux avant de revenir sur la problématique environnementale. Cela a été rappelé par d’autres, cette ligne permettra de relier deux régions importantes du point de vue économique – l’Italie est en effet notre deuxième partenaire commercial – et de leur donner un nouvel élan. Elle est également un élément du développement économique de toute l’Europe du Sud et, au-delà, du renforcement des liens entre les régions du Grand Paris et de Milan, comme l’a rappelé le rapporteur de la commission des affaires étrangères. L’enjeu économique du projet est donc réel : il favorisera les échanges européens. La ligne est l’un des chaînons du corridor transeuropéen de transport, qui va du sud de l’Espagne à la frontière orientale de l’Union européenne. Avec la ligne ferroviaire Lyon-Turin, il s’agit bien de créer une offre de très haute qualité, performante et donc compétitive par rapport à la route, permettant un report efficient de la route vers le rail. Selon les projections, la nouvelle ligne devrait attirer 4,7 millions de voyageurs à l’horizon 2035, dont une grande partie par transfert de la route sur le rail. Mais le report modal pour le fret est la justification majeure du Lyon-Turin. De nos jours, 40 millions de tonnes de marchandises transitent chaque année par les Alpes franco-italiennes ; 85 % des flux de fret entre la France et l’Italie sont routiers ; près de 7 400 poids lourds circulent chaque jour dans cette zone transalpine. En transférant sur la nouvelle ligne ferroviaire la moitié du fret circulant entre les deux pays à l’horizon 2035, on éviterait 1 million de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre par an. Cela limiterait aussi grandement les nuisances environnementales dans les Alpes françaises et les risques dus au trafic routier. La nouvelle ligne sera, en cela aussi, un élément d’amélioration de la sécurité des passages routiers alpins. Atteindre effectivement cet objectif environnemental doit être essentiel pour les régions alpines franco-italiennes, qui sont fragilisées sur le plan écologique par les nuisances sonores et par la pollution atmosphérique. Nous ne pouvons que soutenir cette politique de développement du fret ferroviaire. Elle doit être accompagnée par des mesures réglementaires et tarifaires, comme l’a souligné notre collègue rapporteur pour avis de la commission du développement durable. Même si des inquiétudes existent sur ce projet – je les ai évoquées –, il me semble qu’il n’existe pas d’alternative ferroviaire crédible au Lyon-Turin. C’est pourquoi le groupe UDI-UC autorisera l’approbation de cet accord. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, du groupe socialiste et de l’UMP, ainsi que sur les travées du RDSE.)