Les interventions en séance

Droit et réglementations
Yves Détraigne 18/10/2011

«Projet de loi relatif à la répartition des contentieux»

M. Yves Détraigne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis en nouvelle lecture aujourd’hui a été examiné pour la première fois par notre assemblée le 14 avril dernier. Il l’a été ensuite par l’Assemblée nationale le 4 juillet dans le cadre de la procédure accélérée. Il nous revient aujourd’hui après l’échec de la commission mixte paritaire du 6 juillet, après une nouvelle lecture à l’Assemblée nationale le 12 du même mois. Conformément à l’article 45 de la Constitution, après l’examen du texte auquel nous allons procéder aujourd’hui, le Gouvernement pourra demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement, cette dernière ayant toute liberté de retenir ou non les amendements que nous aurons adoptés. Nous sommes donc dans une situation exceptionnelle. À cet égard, nous devons avoir à l’esprit que c’est l’Assemblée nationale qui aura le dernier mot et qui décidera du sort qui sera réservé à ce texte. Ce projet de loi, qui reprend notamment certaines recommandations du rapport sur la répartition des contentieux remis le 30 juin 2008 par le recteur Guinchard au garde des sceaux – plusieurs des autres propositions qu’il contenait ont d’ailleurs déjà été reprises dans divers textes législatifs ou réglementaires – porte sur des aspects assez variés de l’activité judiciaire. Je n’en citerai que quelques-uns. Tout d’abord, ce texte supprime les juridictions de proximité. Les juges de proximité sont maintenus et rattachés au tribunal de grande instance. Ensuite, il crée de nouvelles juridictions, à savoir un pôle judiciaire spécialisé en matière de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre au sein du tribunal de grande instance de Paris, ainsi que des juridictions spécialisées en matière d’accidents collectifs, tels que les accidents industriels ou les catastrophes aériennes. Par ailleurs, il prévoit une réforme de la justice militaire. Ce texte modifie certaines règles de procédure en matière de divorce et de médiation familiale. Enfin, il étend les domaines d’application de certaines procédures pénales simplifiées, telles que la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou l’ordonnance pénale. Sur ces dispositions, qui constituaient l’essentiel du projet de loi initial, un accord global avait pu être trouvé en commission mixte paritaire. La commission des lois, qui s’est réunie la semaine dernière, vous proposera donc, à quelques ajustements près, de reprendre les conclusions de la CMP. La question est en revanche plus complexe s’agissant des articles additionnels de portée diverse introduits par l’Assemblée nationale sur l’initiative du président de sa commission des lois, M. Warsmann. Le Sénat n’a découvert l’existence de ces articles, qui portent notamment sur les juridictions financières et les juridictions administratives, qu’au moment de la réunion de la commission mixte paritaire. C’est parce que notre assemblée n’a pu examiner ces dispositions nouvelles avant cette réunion et parce qu’elle s’est trouvée mise devant le fait accompli qu’un accord global n’a pas pu être trouvé le 6 juillet. Où en sommes-nous aujourd’hui ? En nouvelle lecture, le 12 juillet, l’Assemblée nationale a apporté peu de modifications au texte qu’elle avait adopté en première lecture. Elle a pris en compte plusieurs des points d’accord de la CMP, en particulier le maintien de la multipostulation des avocats entre les barreaux de Bordeaux et de Libourne, d’une part, et ceux de Nîmes et d’Alès, d’autre part. Outre le rétablissement de la compétence actuelle des juges de proximité pour connaître des contentieux civils d’une valeur n’excédant pas 4 000 euros – disposition adoptée au Sénat et confirmée en CMP, avant d’être supprimée par nos collègues députés –, je vous proposerai quelques ajustements afin de revenir au texte qui avait fait l’objet d’un accord en CMP et qui prenait en compte les apports de chacune des deux assemblées parlementaires. Les dispositions nouvelles introduites par l’Assemblée nationale concernant les juridictions administratives sont d’ampleur limitée. Elles visent notamment à faciliter un règlement rapide du contentieux, lorsque l’affaire le justifie, grâce à l’amélioration du recours à la conciliation, à l’ordonnance de jugement ou à la dispense de conclusions du rapporteur public, d’une part, et à rapatrier dans le droit commun des juridictions administratives des procédures exceptionnelles qui ne se justifient plus aujourd’hui, telles que le contentieux de l’indemnisation des Français dépossédés de biens situés dans d’anciennes colonies, d’autre part. La commission des lois vous proposera donc d’adopter ces dispositions dans la rédaction issue de l’Assemblée nationale. Les modifications introduites par nos collègues députés concernant les juridictions financières sont, elles, de plus grande ampleur puisqu’elles visent à permettre la mise en œuvre partielle d’une réforme de l’organisation des chambres régionales des comptes, laquelle est envisagée depuis plusieurs années. Un premier schéma de réforme avait été conçu par Philippe Séguin. Il consistait en une fusion organique des chambres régionales des comptes et de la Cour des comptes, ce qui n’aurait laissé survivre que six à huit chambres de la Cour, chargées des collectivités territoriales et de leurs établissements publics. Le nouveau schéma retenu par l’Assemblée nationale consiste à renvoyer au pouvoir réglementaire la définition du siège et du ressort des chambres régionales des comptes et à limiter leur nombre à vingt, contre vingt-sept aujourd’hui. Parmi les dispositions relatives aux juridictions financières, il faut également relever l’élaboration de normes professionnelles que devront respecter les magistrats financiers, ainsi que le relèvement des seuils de l’apurement administratif, lequel sera étendu aux communes dont la population est comprise entre 3 500 et 5 000 habitants et à leurs établissements publics, ainsi qu’à la plupart des établissements publics locaux d’enseignement. En conséquence, les chambres régionales des comptes ne contrôleront plus directement et systématiquement que 3 606 communes, au lieu de 9 354 aujourd’hui, mais elles pourront toujours examiner la gestion des collectivités soumises à l’apurement administratif, comme elles l’ont fait, par exemple, pour une trentaine de communes et pour quatre établissements publics de coopération intercommunale au cours de l’année 2010. J’ajoute que, comme aujourd’hui, seules les chambres régionales des comptes pourront mettre en jeu la responsabilité des comptables publics de façon définitive, y compris lorsque celle-ci est engagée au titre d’organismes dont les comptes seront soumis à l’apurement administratif. Parmi les dispositions nouvelles relatives aux chambres régionales des comptes figure également la simplification du fonctionnement des formations inter-juridictions, qui devrait permettre de réduire les délais de réalisation des enquêtes et des contrôles relevant de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes, ainsi que l’inscription dans la loi de la possibilité, pour le Premier ministre, de demander à la Cour de réaliser des enquêtes. Au regard du développement des enquêtes menées conjointement par la Cour et par les chambres, la plupart de ces mesures paraissent utiles. La disposition la plus sensible est donc bien celle qui concerne le nombre et le ressort des chambres régionales des comptes. L’article 24 novodecies, introduit par l’Assemblée nationale, fixe à vingt le nombre maximal de chambres régionales des comptes, ce qui pourrait conduire à la suppression de sept chambres en métropole. Au cours de l’examen de ces dispositions le 12 octobre dernier, la commission des lois a, dans un premier temps, rejeté l’amendement que je lui proposais visant à fixer un nombre minimum de chambres et à permettre, le cas échéant, au pouvoir réglementaire de conserver dix-huit chambres en métropole sur les vingt que l’on y compte actuellement. Dans un second temps, elle a purement et simplement supprimé l’article 24 novodecies. La discussion des articles nous donnera sans doute l’occasion de revenir sur cette importante question, mais nous ne devons pas oublier que ce sont les députés qui auront le dernier mot sur ce texte, comme je le rappelais au début de mon intervention. Pour terminer, permettez-moi de revenir sur la nouvelle lecture du texte à l’Assemblée nationale, le 12 juillet dernier. Un député, par ailleurs bon connaisseur des juridictions financières, a cru utile – je pense que M. le garde des sceaux s’en souvient – de s’exprimer de la manière suivante : « Que souhaite donc le Sénat ? Veut-il enterrer cette réforme qui va dans le sens de l’amélioration de l’efficacité des juridictions financières ? [...] L’argument employé par les sénateurs pour bloquer la commission mixte paritaire n’est pas sérieux ! [...] Je saurai m’en souvenir lors de la discussion des lois de finances, monsieur le garde des sceaux, car c’est nous – les députés – qui sommes les représentants du peuple français, et personne d’autre dans ce pays ! ». Vous aurez compris que je ne fais pas mienne cette citation ! Je souhaitais juste la porter à votre connaissance, mes chers collègues. Un certain nombre d’entre vous auront compris qui en est l’auteur… (Nouveaux sourires.) Comme vous tous, je ne peux que regretter de tels propos, que je qualifierai d’outranciers. Permettez-moi, en réponse, de citer Talleyrand : « Tout ce qui est exagéré est insignifiant. » Quelle que soit la décision que nous prendrons aujourd’hui, celle-ci sera, s’agissant d’une disposition qui concerne directement les territoires et les collectivités territoriales, dont nous sommes constitutionnellement les représentants, tout aussi légitime, pour ne pas dire plus, que celle qu’ont prise les députés. À nous donc de faire en sorte que le Sénat joue pleinement son rôle cet après-midi et ce soir, pour que l’Assemblée nationale soit, bon gré mal gré, obligée de tenir compte de nos apports. (Applaudissements sur les travées de l’UCR, de l’UMP, du RDSE et du groupe socialiste-EELV.)