Les interventions en séance

Collectivités territoriales
François Zocchetto 18/09/2013

«Projet de loi sur le cumul des mandats»

M. François Zocchetto

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, quand il est question de réformer nos institutions, les maîtres mots inspirant nos travaux devraient être la concorde, la confiance et la prudence. Malheureusement, je ne peux pas débuter mon propos sans évoquer les conditions déplorables dans lesquelles cette réforme est examinée par le Sénat. Depuis la première réunion de la conférence des présidents où ce sujet a été abordé, nous n’avons cessé, avec d’autres présidents de groupe – je pense en particulier à Jacques Mézard, mais il n’est pas le seul –, de dénoncer un travail parlementaire réalisé à la hache avec, pour seule finalité, le fait d’arracher au forceps un texte dont les enjeux ne sont pas maîtrisés. Nous avons tout tenté pour rectifier le tir… Mais il n’y avait rien à faire ! Il est particulièrement surprenant de mépriser à ce point le Parlement lorsqu’il est question de transformer les conditions mêmes de l’exercice du mandat parlementaire ! Ce contexte de travail difficile tient d’abord, bien sûr, au recours à la procédure accélérée, alors même que les dispositions examinées ont vocation à entrer en vigueur en... 2017 ! (M. Alain Gournac s’esclaffe.) Serait-ce donc là que se situe l’urgence pour le Gouvernement, et pas dans la désindustrialisation qui lamine notre économie, la lutte contre le chômage ou encore l’insécurité et ses conséquences sur notre pacte social ? En réalité, cette procédure accélérée n’a qu’un seul objectif : brider le Parlement, brimer le Sénat, limiter au maximum le travail qui pourrait ressortir de notre assemblée. Le Gouvernement a effectivement compris que le Sénat était plutôt réticent, pour ne pas dire rétif, devant ses propositions et qu’il valait mieux ne pas laisser ses membres s’exprimer trop longtemps. La méthode est donc claire depuis le début : allons vite, le plus vite possible, à l’étape du dernier mot donné à l’Assemblée nationale, afin que les députés adoptent définitivement le texte qu’ils ont voté le 9 juillet dernier ! D’ailleurs, certains d’entre eux s’étaient empressés d’annoncer, dès cette date, que la réforme du non-cumul des mandats étaient adoptée. Et les propos que vous avez tenus tout à l’heure à la tribune, monsieur le ministre, allaient tout à fait dans le même sens puisque vous nous avez dit en fait : « Circulez, y’a rien à voir ! Tout est déjà décidé ! » (Vifs applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – M. Raymond Vall applaudit également.) Quant à mes éminents collègues président et rapporteur de la commission des lois, ils doivent convenir que l’élaboration du rapport a été tout aussi expéditive ! Ceux qui ne sont pas membres de cette commission seront peut-être intéressés de savoir que le rapporteur a été désigné dans les tout derniers jours de la précédente session et que le rapport a été examiné dans les tout premiers jours de la présente session, ce qui n’a laissé qu’un mardi après-midi pour procéder à quelques auditions. D’ailleurs, le rapport était prêt pour son examen en commission dès le lendemain de ces auditions ! Bravo, monsieur le rapporteur ! Nous savions que vous avez de grandes qualités, mais, là, tous les records sont battus ! (Applaudissements sur les mêmes travées.) Selon l’article 46 de la Constitution, « les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées ». Je ne me lancerai pas dans une exégèse des dernières décisions du Conseil constitutionnel, mais il y a matière à réfléchir… Ne devrions-nous pas procéder autrement ? Le Conseil constitutionnel ne pourrait-il pas considérer que devraient nous être soumis, en l’espèce, non pas un, mais deux projets de loi organique ? Il répondra à cette question s’il est saisi ! Évidemment, tout cela n’est pas du tout sérieux et dégrade l’image du Parlement. Alors que ce sujet est essentiel pour son avenir, et plus généralement celui de nos institutions, et que rien n’imposait, au fond, une telle urgence, il est scandaleux – je pèse mes mots – que le débat soit aussi contraint. Les sénateurs de notre groupe estiment qu’une réflexion complète sur la question du cumul ne peut se limiter à la situation des parlementaires. Il est impératif d’étudier aussi la question de l’exercice concomitant de plusieurs mandats locaux, et ce n’est pas la première fois que nous faisons cette remarque. Ce fameux cumul horizontal, cher notamment à Mme Martine Aubry, doit être revu. Or ce thème n’est absolument pas abordé dans les textes que vous nous présentez, monsieur le ministre. En réalité, vos arguments sont assez limités. Le principal d’entre eux est celui d’une prétendue « modernité » du système proposé,…par opposition au droit positif actuel, qui serait donc dépassé. Vous ne craignez pas de le qualifier de « ringard » et avez insisté, à maintes reprises, sur la nécessité de ne pas rater le « train de la modernité ». Convenez que cet argument est bien faible – je ne suis pas certain qu’il vous convainque vous-même –, car il sous-entend que le système actuel n’est pas démocratique. Il semblerait aussi que certains d’entre vous, mes chers collègues, n’aient pas compris la spécificité de la Ve République. Dès lors que l’État est omniprésent et omnipotent, dès lors que tous les leviers de commandement sont concentrés dans les mains de l’exécutif, il n’est pas étonnant que la première tentative de rééquilibrage des institutions ait été, pour les parlementaires, de s’affranchir de la mainmise du Gouvernement avec le soutien du terrain et la connaissance de ses réalités. D’ailleurs, vous vous en êtes bien rendu compte, monsieur le ministre puisque – c’est un simple rappel, et non une critique – vous étiez encore, voilà peu, député de la première circonscription de l’Essonne, maire d’Évry, président de la communauté d’agglomération Evry Centre Essonne, pour ne citer que ces fonctions… (Exclamations amusées sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.) Il est vrai que, depuis, vous êtes passé du côté de l’omnipotence du pouvoir exécutif ! On peut légitimement poser la question du cumul ou du non-cumul des mandats. Mais faire croire qu’il y aurait, par nature, un système supérieur à l’autre, surtout sans faire de connexion avec la réalité institutionnelle, c’est engager un faux débat. En revanche, les choix que vous proposez auront des conséquences institutionnelles importantes et personne ne sait dans quelle mesure le travail parlementaire sera soutenable avec des assemblées composées d’élus « hors-sol ». Vous n’aimez pas ce terme, je le sais, mais il correspond à la réalité de ce que seront ces assemblées. Il suffit de regarder les statistiques pour constater qu’il n’y a aucune corrélation entre le fait de cumuler les mandats et le fait d’être un bon parlementaire. Tous les cas de figure existent. C’est d’ailleurs cette diversité qui enrichit le processus démocratique. Aucune réflexion n’a été menée quant à l’évolution des prérogatives et des méthodes de travail parlementaire après une telle réforme. Les parlementaires disposeront-ils de moyens de contrôle plus importants, ce qui signifierait que, à budget constant, il faudrait diminuer leur nombre ? Nous attendons les explications du Gouvernement à ce sujet car, pour l’instant, nous n’avons rien entendu. Deuxième grand argument invoqué : dans les autres démocraties occidentales, il n’y aurait pas de cumul. Permettez-moi de vous rappeler, comme M. le rapporteur l’a d’ailleurs fait tout à l’heure très honnêtement, que, dans une majorité de pays fonctionnant comme le nôtre, le cumul n’est absolument pas interdit : simplement, il n’est pas pratiqué ou n’est pratiqué que par une minorité de parlementaires. Pourquoi ? Parce que l’organisation des pouvoirs publics dans un pays comme la France n’a rien à voir avec ce qu’elle est dans des pays comme l’Allemagne ou l’Italie, pour ne parler que de deux de nos voisins. La tradition du centralisme français n’existe pas dans les pays où, curieusement, le cumul des mandats n’existe pas ! Par ailleurs, on ne peut pas parler du cumul des mandats sans évoquer le statut de l’élu, véritable serpent de mer de notre vie politique. Le débat qui s’ouvre aujourd’hui est également, en filigrane, un débat sur la décentralisation, ou plus exactement sur la relation entre nos territoires, nos collectivités et le pouvoir central. N’ayons pas peur de le dire, notre pays n’est pas réellement décentralisé, et c’est bien parce que la majorité des décisions politiques sont prises à Paris que les élus locaux, toutes tendances politiques confondues, ont depuis longtemps compris l’importance de détenir un mandat parlementaire les rapprochant des vrais lieux de pouvoir et augmentant ainsi l’efficacité de leur action. Sans cela, comment seraient-ils si souvent élus et réélus ? On ne peut donc faire l’économie d’une réflexion sur l’équilibre des pouvoirs au sein de notre démocratie. Dans notre régime hyper-présidentialisé, la présence de responsables d’exécutifs locaux au Parlement contribue à cet équilibre. À cet égard, on peut se référer à cet extrait d’un article d’un auteur universitaire : « L’exception française du cumul des mandats est donc une réponse, imparfaite certes, mais un incontestable contrepoids à l’exception française du cumul des pouvoirs, de la concentration extrême des pouvoirs entre les mains du Président de la République. Il ne faut donc pas interdire le cumul des mandats sans réduire en parallèle les pouvoirs du président et rééquilibrer nos institutions. » « Autrement dit, cette thèse soulève une question en quelque sorte préjudicielle à la fin du cumul des mandats : "vous ne pouvez pas supprimer le cumul des mandat s si vous maintenez le système institutionnel actuel, car vous allez forcément aboutir à un renforcement de la toute-puissance présidentielle." » (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.) Nous ne pourrions pas mieux dire que ces auteurs très inspirés ! Au-delà de notre groupe, le Sénat est prêt à débattre de la question du cumul des mandats. Il l’a d’ailleurs fait à de nombreuses reprises, car nous savons bien que c’est l’avenir du Parlement et de notre assemblée qui est en jeu. Votre projet, monsieur le ministre, n’est qu’une simple mise à jour qui ne va pas au fond des problèmes. Quel Sénat voulons-nous pour demain ? Voulons-nous un Sénat monolithique, composé de retraités,… … certes compétents et efficaces, de fonctionnaires, tout aussi efficaces mais très nombreux, et, même si vous n’aimez pas le terme, d’apparatchiks de partis politiques ? Croyez-moi, chers collègues, si vous votez cette réforme, nous irons plus vite que vous ne le croyez vers cette forme de Parlement ! Il n’est que de voir ce qui s’est produit aux dernières élections législatives : 50 % des nouveaux députés sont des permanents de partis politiques ou des membres de cabinets politiques ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE.) Cela est parfaitement vérifiable ! Nous n’acceptons pas cette dérive vers un Parlement monolithique et aussi peu représentatif des Français. Nous formulons des propositions pour que notre Sénat soit comme celui qui avait eu la force de s’opposer au général de Gaulle, à l’époque de Gaston Monnerville ? Nous voulons que le Sénat de demain soit tel que celui qui a su dire non au ministre de l’intérieur qui souhaitait développer les tests ADN lors des contrôles migratoires, qui a su dire non à la déchéance de nationalité. Le Sénat que vous semblez vouloir dessiner pour demain saura-t-il s’opposer à l’incurie budgétaire, quand la majorité de l’Assemblée nationale, issue de la majorité présidentielle, donc sous la dépendance du Président de la République, paraît, l’avaler sans trop de difficultés ? Notre vision du Sénat n’est pas la vôtre. Nous voulons un Sénat indépendant, qui ne soit pas sous la tutelle de partis politiques. Nous voulons un Sénat qui continue à représenter les collectivités territoriales de la République. Voilà les propositions que nous ferons et qui seront détaillées par plusieurs de nos collègues. Un certain nombre d’entre nous vont en effet proposer un texte. Nous ne disons pas non à la réforme du cumul des mandats, mais nous allons proposer notre réforme, et nous demandons aux sénateurs de voter celle-ci de façon que la voix du Sénat soit entendue, qu’elle prospère et, si possible, qu’elle l’emporte. (Vifs applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE.)