Les interventions en séance

Agriculture et pêche
18/05/2010

«Projet de loi de modernisation de l՚agriculture et de la pêche »

M. Daniel Soulage

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis l’été dernier, nous n’avons cessé de parler de la crise agricole et de la chute exceptionnelle de revenus que subissent nos agriculteurs.
À l’automne, le Gouvernement a identifié les besoins et conçu un plan de soutien à la profession. Pour l’essentiel, les besoins ont été bien ciblés et des crédits très importants ont été débloqués. Mais une grande partie d’entre eux a été accordée sous forme de prêts bonifiés, qui, malheureusement, viennent s’ajouter à la dette, déjà très lourde, des agriculteurs.
Bien entendu, au lendemain du bilan de santé de la PAC et à la veille de l’ouverture des négociations en vue d’aboutir à une nouvelle PAC pour 2013, les marges de manœuvre nationales pour moderniser et dynamiser l’agriculture sont bien étroites. Elles le sont d’autant plus dans ce contexte de crise générale, et tout particulièrement de crise budgétaire qui impose une rationalisation de la dépense publique.
Le défi est pourtant de taille : trouver des réponses appropriées à des problématiques différentes en agriculture, qu’il s’agisse des grandes cultures, de l’élevage ou de la production de fruits et légumes.
Deux de mes collègues de l’Union centriste interviendront aussi lors de la discussion générale : Daniel Dubois abordera le problème de la compétitivité et Jean-Claude Merceron vous fera part de ses réflexions au sujet de la pêche.
En ce qui me concerne, je souhaite aborder ici le chapitre des assurances, qui constitue selon moi l’innovation principale de ce projet de loi.
Dans le Sud-Ouest, de nombreux agriculteurs se sont retrouvés dans des situations dramatiques après de violentes intempéries. J’attache donc une importance toute particulière à tout ce qui touche à la problématique des assurances, et je souhaite ardemment que les choses avancent au plus vite.
Il faut sécuriser les revenus des agriculteurs. Dans cette perspective, l’assurance est un point fondamental. Autour du président de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, Jean-Paul Emorine, nous sommes nombreux dans cet hémicycle à souhaiter depuis de nombreuses années la mise en place d’une assurance récolte à l’image de ce qui est fait dans de nombreux pays.
Grâce à la participation de Bruxelles et au cofinancement de l’État et grâce à vous, monsieur le ministre, qui vous êtes battu pour ce texte, ce sera chose faite avec la LMAP que vous nous présentez. C’est un texte court, mais très important.
Je suis heureux d’avoir apporté ma pierre à l’édifice, au travers de l’amendement de réécriture de l’article 9, adopté en commission et fusionné avec celui du rapporteur, Gérard César. Je me réjouis d’avoir permis l’amélioration du fonctionnement du futur fonds national de gestion des risques en agriculture, et je remercie sincèrement tous les acteurs ayant contribué à cette avancée, particulièrement vos services, monsieur le ministre.
J’exprimerai cependant un regret : contrairement à ce qui avait été annoncé par le Président de la République, le projet de loi ne prévoit pas l’intervention de l’État en tant que réassureur.
Je suis convaincu que l’assurance publique conditionne le bon développement des assurances, comme c’est le cas dans bien des pays, notamment en Italie, en Espagne et aux États-Unis.
Certes, nous sommes sur le bon chemin, mais nous risquons de perdre beaucoup de temps. Il nous faut aller plus loin.
Si, aujourd’hui, le projet de loi sécurise les agriculteurs face aux risques climatiques et sanitaires, demain, cette assurance devra être étendue aux risques économiques ; c’est à ce prix que les exploitations agricoles pourront être pérennisées dans leur diversité.
Cela étant, il n’y aura pas de développement important de l’assurance récolte sans réassurance de l’État.
En effet, il est certain que les assureurs ne seront pas en mesure de couvrir les exploitants agricoles contre ces risques, puisque les contraintes prudentielles auxquelles ils sont soumis les en empêchent, sans compter que ces règles seront considérablement renforcées avec l’entrée en vigueur de la directive européenne dite « Solvabilité II ».
Pour la France, en cas d’une couverture complète – j’insiste sur ce terme – des exploitations, le risque maximal serait de l’ordre de 4,4 milliards d’euros, plus de quatre fois le montant annuel des primes d’assurance ainsi collectées. Les assureurs seront donc dans l’impossibilité de supporter un tel risque, qui mettrait en péril cette assurance et potentiellement leur existence.
Aujourd’hui, le niveau de protection contre ces risques susceptible d’être apporté par la réassurance privée ne dépasse guère 600 millions d’euros.
Si certains réassureurs présents sur le marché français ont pu affirmer que la réassurance privée serait à même de répondre intégralement aux besoins des assureurs, d’autres réassureurs majeurs ont exprimé des avis opposés. C’est le cas de Swiss Re et Munich Re, les deux plus grands réassureurs mondiaux, qui sont par ailleurs les deux plus gros réassureurs agricoles.
Il paraît en effet irréaliste que la France, qui peut être soumise à des aléas climatiques majeurs, ne se dote pas d’un système de réassurance à la hauteur de ses besoins. Pourquoi y aurait-il une exception française en la matière ?
Un mécanisme de réassurance publique est nécessaire. Sans cela, il n’y aura pas de développement de l’assurance multirisque climatique sur les récoltes. À l’instar de la protection contre les attentats et le terrorisme, la Caisse centrale de réassurance interviendrait ainsi en surplus des capacités de réassurance privée, avec la garantie de l’État, pour couvrir les assureurs contre des événements extrêmement coûteux, mais très peu probables. Ce mécanisme ne serait donc pas du tout mobilisé en temps normal.
Par ailleurs, les assureurs paieraient bien entendu le coût de cette réassurance à son tarif habituel. Aucun effet d’aubaine ne sera donc possible.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, la question des assurances constitue l’un des enjeux essentiels de l’agriculture de demain, que le projet de loi se doit de porter.
Monsieur le ministre, nous avons confiance en vous. Vous vous êtes battu, et bien battu, je l’ai déjà dit. Le Président de la République vous a entrouvert la porte sur cette question. Nous sommes derrière vous pour vous aider à entrer ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
L’amendement que j’ai déposé sur la réassurance publique ayant été frappé par le couperet de l’article 40 de la Constitution, j’espère que vous jugerez utile de le reprendre ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)