Les interventions en séance

Agriculture et pêche
Daniel Dubois 18/05/2010

«Projet de Loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche»

M. Daniel Dubois

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche est censé répondre à la crise structurelle que traverse notre agriculture, laquelle plombe le revenu de nos agriculteurs depuis 2009.
Dans mon intervention, je voudrais m’attacher plus particulièrement au titre II, qui traite de la compétitivité. Il se propose notamment, en s’appuyant sur la filière et le contrat, de mieux réguler les quantités et les prix et, ainsi, de mieux sécuriser les revenus.
Mais ces instruments sont-ils à la hauteur des défis que l’agriculture doit relever sur les marchés européens ? Ces instruments sont-ils suffisants pour que la France reste la deuxième puissance agricole mondiale ?
L’agriculture française connaît, depuis une dizaine d’années, une dégradation de sa compétitivité sur les marchés, alors même que toutes les conditions sont réunies pour en faire un secteur dynamique : d’importantes surfaces disponibles, des sols et un climat assurant un bon rendement, ainsi qu’une réelle compétence technique de nos agriculteurs.
Je commencerai par dresser un tableau de la compétitivité de l’agriculture française.
Nos exportations ont diminué de 20 % entre 2008 et 2009, soit une perte de 3,1 milliards d’euros. Les secteurs les plus touchés sont les produits laitiers, avec une diminution de 16 % ; les vins et le champagne, dont les exportations ont chuté de 22 % ; les céréales et les produits à base de céréales, qui accusent respectivement une baisse de 24 % et de 22 %.
De même, au cours des dix dernières années, les surfaces cultivées en légumes ont diminué de 15 %, alors qu’elles progressaient dans le même temps de 21 % en Allemagne et de 22 % aux Pays-Bas. C’est en particulier le cas de la culture des asperges, des fraises, des carottes.
Quant à la production porcine, elle stagne depuis une dizaine d’années, alors que l’abattage allemand de porcs a connu une croissance de plus de 35 % en dix ans.
L’Allemagne et les puissances agricoles émergentes de l’Europe de l’Est récupèrent ces parts de marché que nous perdons.
Nos producteurs, en cette période de crise, se voient offrir pour leurs produits un prix d’achat parfois inférieur au coût de revient, et cela sans que le consommateur en tire un quelconque profit !
Face à ce constat alarmant, nous doutons de l’efficacité de la proposition relative aux filières et à la contractualisation pour répondre aux défis que l’agriculture française doit relever sur les marchés européens et mondiaux.
Nous n’ignorons pas que de nombreuses réponses sont bruxelloises et que cette proposition de texte fait partie d’un ensemble plus vaste de mesures. Toutefois, nous considérons que le pilier de la compétitivité n’est pas suffisamment pris en compte dans la démarche présentée.
Nous disons oui à la filière !
Il est évident qu’une meilleure organisation des producteurs leur permettra de peser dans les négociations commerciales, à la condition qu’elles ne soient pas excessivement sectorisées territorialement.
Nous souhaitons que ces filières interprofessionnelles puissent développer des instruments favorisant la compétitivité des produits. Il s’agirait par exemple de soutenir la généralisation du transfert de propriété pour les organisations de producteurs, afin d’en augmenter la capacité commerciale.
Elles pourraient également intervenir comme médiateur auprès des parties à un contrat de vente, dans le but de prévenir les conflits entre les acteurs et non de réparer les pots cassés. Nous nous réjouissons d’ailleurs d’avoir obtenu satisfaction en commission sur ce point.
Nous disons également oui au contrat, qui fixe une quantité, une durée et un prix entre deux cocontractants.
Nous regrettons cependant que, dans des filières qui comptent parfois cinq ou six cocontractants, nous nous limitions à des accords qui prennent insuffisamment en compte le circuit global de la commercialisation.
J’attire également votre attention sur le fait que ces deux instruments, filière et contrat, n’auront une efficacité réelle qu’à condition que notre agriculture retrouve des marges de manœuvre !
C’est pourquoi le troisième étage de la fusée doit être constitué d’un observatoire de la compétitivité qui comprendrait deux sections, celle des prix et des marges et celle des distorsions de concurrence, en réalité très liées.
Pour casser la boîte noire des prix et des marges, la première section aurait la possibilité, donnée par décret, de demander l’affichage des informations et statistiques dont elle dispose devant les caisses des supermarchés dont les centrales d’achat ne jouent pas le jeu de la transparence des marges.
Le name, blame and shame cher aux Anglo-Saxons nous paraît bien plus efficace que de dérisoires amendes. Il imposerait le consommateur comme arbitre des réelles distorsions de marge entre le prix d’achat au producteur et le prix payé par le consommateur.
Enfin, la deuxième section de cet observatoire devra réaliser chaque année une étude exhaustive des distorsions de concurrence imposées à nos agriculteurs, tant dans l’application des directives communautaires que dans les multiples réglementations et normes franco-françaises. Ces dernières ont en effet, au fil du temps, corseté une agriculture à qui on demande de courir un 400 mètres haies pour résister à la crise !
Puisque la situation budgétaire du pays n’admet plus les largesses, donnons de l’air à notre agriculture en demandant à cette section d’établir d’ici à la fin de l’année le diagnostic de ces distorsions. La connaissance des distorsions européennes nous permettra de mieux négocier à Bruxelles ; le diagnostic proprement français pourra lui aboutir à un moratoire visant à supprimer rapidement tous les règlements et les normes qui pèsent anormalement sur la compétitivité de notre agriculture.
Cela rejoint l’annonce faite récemment par le Président de la République de la légalisation du seuil de 44 tonnes pour le transport des produits des secteurs agricole et agroalimentaire.
Sous ces conditions, monsieur le ministre, nous admettons que la filière et le contrat, s’appuyant sur une réelle transparence des marges et sur un réel toilettage des normes qui asphyxient notre compétitivité, pourraient redonner une partie de l’oxygène nécessaire à notre agriculture.
Voilà l’avis du groupe de l’Union centriste sur ce sujet particulier. Nous attendrons cependant la fin des débats et le vote des amendements pour arrêter une position définitive sur ce texte, car nous considérons que filière, contrat, compétitivité et transparence doivent être au cœur du dispositif visant à redonner de l’oxygène à notre agriculture ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur certaines travées de l’UMP.)