Les interventions en séance

Affaires sociales
Chantal Jouanno 18/02/2014

«Projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l՚emploi et à la démocratie sociale »

Mme Chantal Jouanno

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la position que je vais soutenir ne vous surprendra pas, puisque c’est celle que nous avons défendue à l’Assemblée nationale. Je me concentrerai sur le sujet de la formation professionnelle, mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe s’apprêtant à traiter de manière plus approfondie les questions relatives au dialogue social. Ce texte comporte énormément de points positifs. Nous sommes très favorables au compte personnel de formation, qui vise à créer un droit attaché à la personne, et non au contrat de travail. Vous le savez, c’est une évolution que nous souhaiterions voir élargie à l’essentiel des droits sociaux. Nous sommes également favorables, étant adeptes de la décentralisation, au principe de responsabilisation des régions. Nous aurions même aimé que vous alliez beaucoup plus loin dans cette logique, monsieur le ministre, en confiant une responsabilité pleine et entière aux régions, notamment pour gérer les fonds de la formation professionnelle, tandis que les partenaires sociaux auraient été simplement associés à l’élaboration et l’évaluation des plans et programmes de formation. Il s’agit d’ailleurs là d’un point de divergence fondamental, qui explique que nous soyons très réservés sur l’ensemble du texte. Jean-Louis Borloo s’est d’ailleurs beaucoup exprimé à ce propos. Sur le fond, nous ne partageons pas le principe selon lequel la formation professionnelle relève uniquement de l’initiative des partenaires sociaux, le législateur étant lié par leur accord. Cette vision était juste dans les années soixante-dix, quand le chômage constituait un phénomène marginal. Il était alors logique de consacrer l’essentiel des moyens à l’adaptation des salariés à leurs postes de travail. Tel n’est plus le cas aujourd’hui, les enjeux contemporains de la formation professionnelle relevant fondamentalement de l’intérêt général et, donc, du législateur. Ces enjeux, vous les connaissez. Premièrement, il s’agit de lutter contre les inégalités, comme l’a évoqué Jean Desessard. L’école ne les corrige plus et la formation professionnelle, finalement, les aggrave, celle-ci bénéficiant essentiellement aux personnes les plus qualifiées. Deuxièmement, il convient de lutter contre le déclassement et l’exclusion liés au chômage de longue durée. Troisièmement, il faut s’adapter aux secteurs d’avenir, identifiés par les investissements d’avenir. En d’autres termes, ce que nous aurions souhaité, c’est non pas l’évolution d’un système mutualisé vers un système incitatif, mais au contraire un système où la mutualisation tiendrait une plus grande place, le législateur définissant prioritairement les orientations de la formation professionnelle. De fait, la philosophie de ce texte nous pose problème. Une autre difficulté réside dans le fait que le projet de loi ne remédie pas complètement aux trois grandes insuffisances de la formation professionnelle. Première insuffisance : nous dépensons beaucoup – 32 milliards d’euros – pour de maigres résultats. Le problème, ce n’est pas de dépenser beaucoup, ce n’est pas non plus que les grandes entreprises consacrent le double de leurs obligations légales à la formation professionnelle. Le vrai problème, c’est la faiblesse des résultats, notamment pour les salariés les moins qualifiés. Ce n’est pas parce qu’on va réduire de 70 % l’obligation de financement des plans de formation et qu’on va augmenter de 0,1 point la mutualisation des fonds – en la portant de 0,8 % à 0,9 % – qu’on va améliorer la situation. Nous aurions préféré qu’on mette réellement l’accent sur la qualité des formations. Or le texte ne contient rien sur la certification des organismes de formation – ce point est régulièrement soulevé – et ne prévoit aucun accompagnement des PME pour les aider à mieux identifier leurs besoins et les organismes qui sont capables d’y répondre. Il contient très peu de mesures relatives à l’évaluation ; même si le CNEFOP, dans sa structure même, est un bon outil de concertation, il n’a a priori pas du tout vocation à faire de l’évaluation. Deuxième insuffisance : si je m’en réfère au rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, la formation professionnelle ne bénéficie pas à ceux qui en ont le plus besoin, à savoir les personnes sans qualification ou les moins qualifiées ainsi que les demandeurs d’emploi. Ce sont pourtant eux, nous en conviendrons tous ici, qui devraient être prioritaires. Ce public est presque totalement absent de ce texte. En réalité, le compte personnel de formation bénéficiera à ces personnes, mais de manière marginale – de manière collatérale, irai-je jusqu’à dire –, et non principalement. Si l’on avait voulu qu’il en soit ainsi, il aurait fallu abonder le compte personnel de formation de manière inversement proportionnelle au niveau de qualification initiale des personnes. Il aurait même fallu le surabonder pour les personnes en situation de chômage de longue durée. Pareillement, il aurait fallu quasiment doubler les crédits du congé individuel de formation, identifié dans la plupart des rapports comme un système extrêmement efficace pour les demandeurs d’emploi. Or tel n’est pas le cas. Nous vous proposerons donc plusieurs amendements directement tirés du rapport de l’IGAS. Troisième insuffisance, notée également dans la plupart des rapports, dont celui de M. Jeannerot : nous sommes confrontés à un problème de redistribution entre les financeurs puisque ce sont les petites entreprises qui payent pour les grosses. Demain, ce sera un peu chacun pour soi. On ne voit pas vraiment quels avantages en retireront les PME, qui sont justement celles que nous devons aujourd’hui le plus aider – cela a été dit par l’ensemble des membres du Gouvernement. Alors qu’il est nécessaire de les faire grossir, ce sont précisément elles qui sont les plus insatisfaites de cet accord, quoi que vous en disiez, monsieur le ministre. Cela nous pose un problème, parce qu’elles ne sont pas accompagnées dans le cadre de ce plan. D’ailleurs, certains de nos collègues de l’Assemblée nationale ont plutôt tendance à considérer que cet accord est un beau cadeau qui a été fait aux grandes entreprises. Pour résumer notre position, nous sommes assez réservés sur ce texte, qui ne répond que de manière extrêmement marginale aux orientations politiques que défend le groupe UDI-UC. Par conséquent, nous serons très attentifs au contenu du débat parlementaire. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)