Les interventions en séance

Budget
Vincent Delahaye 17/11/2011

«Projet de loi de finances pour 2012»

M. Vincent Delahaye

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cela fait plus de trois décennies que le Parlement n’a pas voté un budget en équilibre. Depuis 1975, nous vivons à crédit. Comme l’a écrit le fabuliste, « ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ». L’État, notre système de protection sociale, nos retraites, nos collectivités territoriales, nos fonctionnaires et nous-mêmes, mes chers collègues, vivons à crédit du mois de septembre au mois de décembre… Heureusement que nous avons encore des prêteurs, car sinon nous serions sur la paille ! Pendant trop longtemps, nous avons attendu le retour d’une croissance économique providentielle pour soulager notre addiction à la dépense publique ; pendant trop longtemps, nous avons dépensé à crédit sur le compte des générations à venir. Nous n’avons tout simplement pas compris que le modèle de secteur public bâti pendant les Trente Glorieuses, quand notre croissance annuelle était de 5 % et que notre démographie nous permettait de financer notre protection sociale par des cotisations, est aujourd’hui révolu. L’actuelle crise des dettes souveraines nous ramène brutalement à la triste réalité : nos créanciers nous demandent des comptes et perdent confiance en notre signature. Je ne suis pas sûr que, si nous lancions aujourd’hui un emprunt d’État, les Français seraient très nombreux à transformer leur épargne en obligations de l’État français… L’augmentation des taux auxquels nous empruntons alourdira la charge de notre dette lors des prochains exercices. Nous sommes engagés dans un cercle vicieux ou, pis, dans une spirale infernale ! La loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 a fixé la trajectoire que doit suivre la réduction de notre déficit. Les marchés n’ont pas été aussi patients ; ils nous ont pris de court. On peut les juger excessifs, mais la réalité demeure. Le projet de loi de finances pour 2012 est décisif : en sus d’envoyer un signal clair et fort à nos investisseurs, nous devons nous engager fortement et durablement dans la voie du désendettement et du retour à l’équilibre. Si l’objectif est connu, les moyens de l’atteindre le sont moins ; ils appellent d’importants choix politiques. Trois possibilités nous sont offertes : augmenter les recettes et alourdir notre fiscalité, diminuer nos dépenses à fiscalité constante ou combiner ces deux options. Le projet de loi initial du Gouvernement, voté par l’Assemblée nationale et renforcé par les annonces que le Premier ministre a faites le 7 novembre dernier, combine précisément augmentation des recettes et réduction des dépenses. Malheureusement, les recettes nouvelles sont beaucoup trop nombreuses par rapport à l’effort consenti sur les dépenses : sur les 18 milliards d’euros d’efforts annoncés, 2 milliards d’euros seulement proviennent d’une baisse des dépenses. Nous proposons d’aller plus loin en liant l’effort sur les recettes et l’effort sur les dépenses. Pourquoi ne pas nous mettre d’accord sur cette norme générale : un euro de dépense en moins pour un euro de recette en plus ? Je souhaite faire deux remarques générales au sujet des hypothèses sur lesquelles repose en partie la construction du budget. Pour ma part, je m’attends en 2012 à une croissance économique malheureusement plus proche de 0 % que de l’hypothèse de 1 % retenue par le Gouvernement. Sans prétendre avoir une compétence scientifique comparable à celle des services du ministère des finances, je m’interroge sur la sincérité de ce budget. J’espère obtenir quelques précisions dans le cours de la discussion. De nombreux États membres de l’Union européenne construisent leurs budgets sur des hypothèses volontairement restrictives : c’est notamment le cas du Danemark et des Pays-Bas. Nous pourrions retenir cette méthode : prendre pour référence la moyenne des estimations des économistes – elle est aujourd’hui de 0,9 %, au mieux – et retrancher un demi-point par mesure de prudence. La prudence, principe de base de la comptabilité, est aussi une vertu s’agissant de budget. Elle nous épargnera, j’en suis sûr, des mauvaises surprises ; et, en matière financière, elles sont toujours particulièrement désagréables... En examinant les dispositions du projet de loi de finances relatives aux recettes, nous avons aussi remarqué l’inscription, au titre des recettes non fiscales, de 5 milliards d’euros provenant d’opérations de cession de participations de l’État. Or nous ne disposons d’aucune indication sur les actifs qui pourraient être concernés. Quelles participations seraient cédées et selon quel calendrier ? Est-il vraiment réaliste de compter sur cette recette très hypothétique ? La sincérité de notre budget n’est-elle pas compromise ? Ces remarques étant faites sur la prudence et la sincérité, j’aborde la question des recettes fiscales. Le groupe de l’Union centriste et républicaine est attaché à une évolution de la fiscalité favorisant davantage la compétitivité économique, donc la création d’emplois. Nous ne souhaitons pas nous lancer dans une concurrence fiscale préjudiciable aussi bien à nos finances publiques qu’à celles de nos voisins européens ; loin de nous l’idée de soutenir un quelconque dumping à l’irlandaise. Notre projet est tout différent : nous militons pour que l’impôt ne pénalise pas les entreprises. Pourquoi, en effet, imposer lourdement la production, alors que l’impôt est toujours supporté in fine par le consommateur ? Comme les États-Unis, nous accusons un double déficit : à celui de notre budget s’ajoute celui de notre balance commerciale, qui représente 75 milliards d’euros. C’est autant de richesses qui ne sont pas réinvesties au profit de nos entreprises. Une fiscalité moins compétitive signifie de l’activité en moins, des chômeurs en plus et des recettes d’impôt sur le revenu, de CSG et de TVA grevées à mesure que les caisses d’assurance chômage se vident. Au-delà de la seule mécanique économique de l’impôt, notre système s’enfonce dans des subtilités byzantines qui le rendent aussi illisible qu’injuste. L’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés sont grevés par plus de 65 milliards d’euros de niches fiscales. Elles sont une source d’iniquité dans notre société et contribuent à rendre notre système fiscal de plus en plus dégressif, donc injuste envers les moins favorisés. L’impôt sur les sociétés est marqué par une divergence sans cesse plus grande entre son taux facial, que toutes les entreprises devraient supporter, et son taux réel, qui peut s’avérer dérisoire pour certains groupes. Il ne s’agit pas d’aligner l’imposition de toutes les sociétés sur le taux le plus élevé, mais de refonder globalement la fiscalité des entreprises pour éviter de pénaliser la production tout en disposant d’impôts justes, aux rendements performants. Songez, mes chers collègues, que l’imposition de la production représente dans notre pays près de quinze points de la richesse annuelle, soit deux points de plus que dans l’ensemble de l’Union européenne et quatre points de plus qu’en Allemagne. Structurellement défavorisés par rapport à nos principaux partenaires commerciaux, nous devenons de moins en moins compétitifs. Or moins de compétitivité, c’est moins de croissance, moins d’emplois, donc moins de recettes fiscales de toute sorte. En matière de taxes, les récents débats ont montré que l’imagination était au pouvoir, y compris au Sénat. Tout, décidément, aura été essayé : même la création, en une seule soirée, de dix-sept nouveaux prélèvements pour un montant global de 5 milliards d’euros… Des mesures s’imposent pour restaurer la compétitivité et l’efficacité fiscales. Pour leur part, les sénateurs du groupe de l’Union centriste et républicaine sont attachés à une réforme profonde et globale, qui nous permette de sortir de l’ornière du déficit public structurel. Notre collègue Aymeri de Montesquiou a, dans son excellente intervention, évoqué l’instauration une « TVA-compétitivité » destinée à soutenir la modernisation de notre économie. Nous proposons également une réduction importante des niches fiscales, propre à restaurer l’efficacité de nos impôts dans la forme, c’est-à-dire selon l’assiette et le taux qui sont réellement les leurs. Cette réforme doit servir de préalable à la création d’une nouvelle tranche de l’impôt sur le revenu, voire de deux, ce qui permettra d’accroître le produit de ce prélèvement. C’est la raison pour laquelle nous proposerons, sur l’initiative de Jean Arthuis, de remplacer la contribution exceptionnelle prévue à l’article 3 du projet de loi de finances par deux tranches supplémentaires d’impôt sur le revenu. De la sorte, l’alourdissement de l’imposition des hauts revenus sera plus durable qu’avec le dispositif proposé par le Gouvernement. Ces orientations fiscales sont seulement le premier pilier d’une véritable politique d’assainissement de nos finances. Après la question des recettes, il me faut aborder celle de la nécessaire réduction de nos dépenses publiques. Le secteur public est comptabilisé dans notre produit intérieur brut par le montant de ses dépenses : celles-ci représentent aujourd’hui près de 56 % de notre production nationale. Mais, derrière la réalité comptable, il convient de se représenter les grandes masses en jeu. Certaines dépenses semblent – j’insiste bien sur ce verbe – incompressibles. C’est le cas du service de notre dette, deuxième poste de dépenses de l’État, qui représentera près de 49 milliards d’euros en 2012. À moins de vouloir nous placer tout de suite en situation de défaut, nous ne pouvons pas y toucher : il y va de la qualité de notre signature. Les prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne sont rendus obligatoires par notre participation aux institutions de l’UE : nous ne pouvons pas non plus y toucher. De la même manière, les rémunérations et pensions de retraite nous sont présentées comme intouchables. Quant aux dotations aux collectivités territoriales, elles ont d’ores et déjà été limitées dans le cadre du gel de l’enveloppe, en volume comme en valeur. N’y touchons plus ! Ainsi, avant même le début de tout examen détaillé, il apparaît que 240 milliards d’euros de dépenses sur les 360 milliards d’euros inscrits au budget de l’État ne peuvent être rognés… Restent les missions de la deuxième partie du projet de loi de finances, qui représentent 120 milliards d’euros de dépenses, hors rémunérations. Or, à ma grande surprise, les propositions de réduction de dépenses se font rares, y compris sur les travées de la majorité sénatoriale, qui, en commission des finances, vote souvent contre des crédits qu’elle juge insuffisants… Force est de le constater, nous sommes face au paradoxe des grandes et des petites missions. Les missions les plus importantes sont gourmandes en moyens : jamais l’éducation nationale n’a disposé de crédits aussi importants, mais les moyens paraissent toujours manquer ! À l’inverse, on nous répète à l’envi que les crédits des missions plus modestes peuvent croître : les montants en cause seraient « indolores », ce seraient autant de gouttelettes dans l’océan de la dépense publique… Par exemple, j’ai été choqué de découvrir le budget de l’audiovisuel et de l’aide à la presse. Un petit budget, disent certains. Mais il représente tout de même 2,7 milliards d’euros : beaucoup s’en contenteraient ! Je n’ai entendu nulle part, ni au Gouvernement ni sur les travées de l’opposition, ou plus exactement de la majorité sénatoriale – excusez-moi, mes chers collègues ! –, que l’audiovisuel et la presse étaient des priorités en ces temps de crise aiguë de nos finances publiques. Figurez-vous que ces crédits augmenteront en 2012 de 2,7 %, soit 60 millions d’euros. Pas question d’y toucher, c’est trop dangereux ! Avec des raisonnements comme celui-ci, nous n’y arriverons jamais ! Aucune administration ne souhaite voir ses crédits réduits. L’effort est toujours effrayant. Il est pourtant possible, comme vous nous en avez fait la démonstration, madame la ministre, en annonçant une économie supplémentaire de 200 millions d’euros sur l’exercice 2011. Madame la ministre, mes chers collègues, il nous faudra faire preuve d’un supplément de courage pour 2012. La période électorale, qui s’est ouverte très tôt, n’est pas propice à la rigueur. Nous le savons bien, cette rigueur est pourtant indispensable pour échapper à la catastrophe. L’effort ne portera pas que sur les autres. Nous devons tous y participer de manière juste et équitable. En des temps aussi troubles, la justice et la transparence sont plus que jamais impératives. On a coutume de dire que la sagesse est une vertu largement répandu sur les travées de notre Haute Assemblée. Je suis sûr que le courage l’est aussi. Il y a parmi nous beaucoup plus de courageux qu’on ne le pense: Le moment sera bientôt venu de le montrer. Après le festival de taxes de la première partie, qui m’a, il faut bien le dire, plutôt donné la nausée, j’ai hâte d’assister, madame la ministre, mes chers collègues, au réveil des courageux. Vivement la seconde partie ! (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)