Les interventions en séance

Agriculture et pêche
Jean-Jacques Lasserre 17/07/2014

«Projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt »

M. Jean-Jacques Lasserre

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, chacun sait que l’agriculture française est dans une situation extrêmement préoccupante. Nous connaissons les crises auxquelles elle est confrontée : la crise de l’élevage – Dieu sait que nous en avons parlé –, le déficit d’installations, la déprise agricole, la situation de plus en plus difficile des zones montagneuses, etc. La liste est longue. Face à ce constat, la recherche de la triple performance économique, écologique et sociale est bien entendu un bel affichage. Pour faire court, ce texte nous inspire deux remarques. Tout d’abord, nous aurions souhaité une ambition supérieure, des perspectives pouvant réellement redonner de la confiance à notre agriculture, qui en manque cruellement. Ensuite, le travail parlementaire, notamment sénatorial, s’est bien déroulé et a permis d’enrichir le projet de loi. À ce titre, je salue l’excellent travail de nos deux rapporteurs, ainsi que celui de la commission, sous l’autorité de son président. Concernant la première remarque, j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet en première lecture, mais j’éprouve toujours les mêmes sentiments : nous devons donner un souffle nouveau et un véritable élan à notre agriculture, car elle manque de perspectives. La France est en perte de vitesse, à l’heure où la concurrence non seulement avec nos voisins européens les plus proches, comme l’Allemagne et les Pays-Bas, mais aussi à l’échelon mondial est de plus en plus rude. Ce texte, qui contient de nombreux ajustements et des aménagements, est ce que j’appellerais un toilettage intéressant et non une grande loi d’avenir.
À mon sens, la place de l’environnement atténue complètement l’ambition économique et donc la compétitivité.
La priorité de ce texte, depuis le départ, est essentiellement le volet environnemental. Pourtant, la compétitivité de la France dans le domaine agricole est primordiale ; il est nécessaire de toujours innover, avec de nouveaux outils économiques, de nouvelles pistes. Il convient surtout de stabiliser et de sécuriser la situation financière des agriculteurs qui, pour beaucoup, vivent dans la désespérance. Le projet de loi ne prend pas la mesure exacte des efforts faits par la profession agricole en matière de respect de l’environnement. Personne ne conteste l’importance de l’écologie, sa nécessaire prise en compte, mais il est faux de penser que, sur le terrain, les agriculteurs négligent cet aspect. Ils sont souvent passionnés par leur métier, leur environnement de travail et soucieux, bien entendu, de la qualité de leurs produits. Il faut donc trouver un juste équilibre entre performances économiques et agro-environnement. Malheureusement, de notre point de vue, l’élan économique est insuffisant. L’accent aurait dû être mis davantage sur le rôle économique de l’agriculture, sa contribution à l’équilibre de la balance des paiements, sa fonction nourricière de la population et son rôle de support de l’animation territoriale. Certains thèmes fondamentaux ne sont pas repris dans le projet de loi, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire. En premier lieu, je pense à la protection contre les risques naturels. Nous en avions déjà parlé en première lecture et les événements de ces jours derniers n’ont fait que conforter notre opinion sur le sujet. En second lieu, rien n’est dit sur l’application des mesures de la PAC. Nos inquiétudes demeurent quant à la politique agricole commune et son lot de mesures concernant le verdissement, secteur dans lequel les États ont gardé une marge de manœuvre. Il faut savoir que 30 % des aides directes vont être subordonnées à la mise en place de mesures « vertes », avec trois conditions alarmantes : l’obligation de diversification des cultures, le maintien des prairies permanentes, ce qui est justifié, et le maintien des surfaces d’intérêt écologique. Ces obligations d’assolement seront catastrophiques, notamment pour les régions de monocultures ; je pense bien entendu aux régions maïsicoles.
J’en viens à ma seconde remarque.
Le travail sénatorial qui a été fait sur ce texte est à mon sens remarquable. Je remercie une fois de plus nos deux rapporteurs, MM. Guillaume et Leroy, de la qualité de leur travail. Les auditions et les différentes réunions ont laissé toute leur place à l’écoute et au dialogue. C’est notamment grâce à cet état d’esprit que certains consensus et accords ont pu être trouvés pour avancer. Des améliorations significatives et équilibrées ont pu être apportées. Je pense notamment au sujet délicat des pesticides et des conditions d’épandage, sur lequel un compromis a été trouvé. Si, à l’évidence, nous sommes tous d’accord pour user du principe de précaution face à cet enjeu capital de santé publique, qui touche tout le monde et pas seulement les écoles et les hôpitaux, une telle évolution ne se fera pas au détriment des exploitants agricoles, ce qui est une bonne chose. Dans les points positifs, notons également les débats sur le foncier, sujet toujours très complexe sur lequel il convient d’avancer prudemment sans rester arc-bouté sur des visions extrêmes ou antinomiques. Grâce à ce projet de loi, nous avons pu convenablement en débattre et évoquer certaines pistes. S’agissant de la fameuse « clause miroir », un compromis a été trouvé dès la première lecture à la suite de nombreuses discussions, ce qui nous satisfait. Je n’y reviens donc pas. Par ailleurs, je partage le point de vue positif exprimé par M. le rapporteur sur le bail environnemental et cette évolution on ne peut plus pragmatique. Autre point positif que je souhaite évoquer : le registre de l’agriculture. Je salue cette évolution et la mise en place de ce répertoire, appelé désormais registre, que nous avions d’ailleurs fortement encouragé lors de la première lecture. Ce dispositif vient renforcer et préciser le statut de l’agriculteur. Je me félicite également des efforts faits en direction de la pluriactivité, dès l’instant qu’ils sont marqués par la rigueur et le réalisme. Il s’agit d’un élément nouveau dont on parle dorénavant plus sérieusement. Vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, aujourd’hui, nous attendons encore beaucoup de vous et de ce débat. Nous espérons que les avancées permises par le travail sénatorial seront actées, et nous attendons que certains sujets d’actualité soient de nouveau évoqués. Je pense notamment aux PGM : les débats que nous avons eus dans cette assemblée ont montré combien il était nécessaire non pas de légiférer au coup par coup, selon les inscriptions aux répertoires variétaux, mais de réfléchir à une loi-cadre globale. Je pense également aux risques climatiques et à la couverture des risques. Dans le contexte météorologique actuel, nous ne pouvons pas ignorer ce sujet qui désempare trop souvent les agriculteurs. Il y a là un grand chantier à mettre en route. Il est un sujet sur lequel le texte nous laisse un peu sur notre faim : la relation entre production et distribution. À nos yeux, cette loi est insuffisante dans ce domaine.
Chacun connaît l’âpreté des discussions et le caractère « angélique » des interlocuteurs en présence. Dans une ambiance de discussion acharnée entre production et distribution, nous considérons que la mise en place d’un médiateur, si elle constitue une avancée, n’est pas à la hauteur du problème posé.
Enfin, je souhaite évoquer un problème qui me tient à cœur et sur lequel nous devons essayer d’évoluer : la situation des chambres d’agriculture. Nous avons été alertés par beaucoup de ces chambres consulaires et par leur organe de représentation nationale sur leur situation financière. La période 2015-2017 s’annonce extrêmement rude : perte de ressources fiscales et prélèvements sur les fonds de roulement, ce qui ne peut pas durer éternellement. Bref, les chambres d’agriculture sont dans une situation très préoccupante. Nous sommes en outre très inquiets de l’évolution du statut de ces chambres. Nous espérons qu’une RGPP bis ne va pas les détruire, la première étant déjà assez lourde de conséquences.
J’ai été longtemps enfant de chœur.(Nouveaux sourires.)
Ainsi, une espèce de « tutelle » des chambres régionales sur les chambres départementales nous semble aberrante et totalement déconnectée de la réalité et des besoins du terrain. Nous avons donc déposé un amendement sur le sujet, qui est de surcroît rendu encore plus complexe avec le débat sur la réforme territoriale en cours. Je suis Aquitain et construire l’avenir des Pyrénées-Atlantiques avec les Limougeauds me paraît tout de même assez délicat… Je terminerai en évoquant un problème jamais soulevé ici, à savoir les décrets d’application. Le triste et récent exemple du « fait maison » montre un dévoiement total du débat parlementaire. C’est pourquoi je vous demande, madame la secrétaire d’État, de nous rassurer sur la rédaction des décrets qui seront pris en application de ce projet de loi, que nous voterons peut-être en fonction des avancées obtenues, mais sur lequel nous nous abstiendrons plus probablement.
Les décrets d’application doivent respecter l’esprit de la loi que nous votons dans nos assemblées. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP, ainsi qu’au banc de la commission.)