Les interventions en séance

Droit et réglementations
Nathalie Goulet 17/07/2013

«Projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et projet de loi organique relatif au procureur de la République financier »

Mme Nathalie Goulet

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce stade du débat, tout a déjà été dit ou presque. Aussi vais-je essayer de m’y retrouver dans les notes que j’ai complétées au fur et à mesure de la discussion… (Sourires.) La première question est de savoir à quoi servent nos commissions d’enquête. La saison 1 du travail de la commission d’enquête du Sénat, marquée par soixante et une propositions, n’a guère connu jusqu’à aujourd’hui de transcription dans notre droit positif ; je le regrette évidemment. Votre texte, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, marque une volonté réelle et un affichage, mais il nous laisse quelque peu sur notre faim. Il est vrai que vous faites face à trop de fraude, trop d’évasion fiscale, trop de réglementation et, partant, trop de failles bien exploitées par trop de limiers trop bien formés, trop de carences en moyens humains et en formation, trop peu de moyens pour les parquets, trop peu de coopération internationale, trop d’insuffisances dans les échanges d’informations, trop d’organismes trop étanches aux missions trop séquencées… J’hésite assez rarement, mais, très franchement, ce fut le cas s’agissant des axes de cette intervention. Je me contenterai à ce stade de vous citer deux auditions de notre précédente commission d’enquête et de vous inviter à réfléchir sur l’inversion de la charge de la preuve.   Lors de son audition, retranscrite aux pages 142 et suivantes du rapport de la commission d’enquête, M. Jérôme Fournel, ancien directeur général des douanes et des droits indirects, nous déclaré avoir été récemment confronté au cas d’une personne circulant sur le périphérique avec 800 000 euros cachés dans la roue de secours de son véhicule. (Exclamations amusées.) Les gens sont vraiment distraits, me direz-vous… Dans ce cas, nous a-t-il expliqué, « je ne suis pas nécessairement face à un manquement à l’obligation déclarative. Rien ne me prouve que cette personne ait voulu franchir une frontière. » Il est vrai qu’elle roulait simplement sur le périphérique… M. Fournel poursuivait ainsi : « l’un des premiers enjeux pour les douaniers, même s’ils ont trouvé l’argent dans la roue de secours, c’est d’arriver à démontrer qu’il y a un lien. En soi, porter de l’argent et le faire circuler à l’intérieur du territoire n’est pas une infraction. Derrière, il faut juridiquement appuyer la distraction sur quelque chose de solide. Ce qu’on essaie de faire dans ces cas-là, c’est, éventuellement, via l’article 40, de renvoyer une enquête judiciaire pour une saisie, soit de la douane judiciaire, soit d’un autre service d’ailleurs, qui peut être un service de l’État, afin d’essayer d’arriver à démontrer que cet argent provient effectivement d’une opération de blanchiment ou d’une infraction sous-jacente. » En l’espèce, faute de preuves, l’argent a été rendu ! Au cours de son audition, M. Bock nous a, quant à lui, déclaré : « Je vais vous donner l’exemple d’une situation certes caricaturale, mais devant laquelle nous nous sommes trouvés il y a quinze jours : elle est d’ailleurs assez gênante. Nous avons intercepté des personnes se déplaçant entre les Pays-Bas, la France et l’Espagne, et transportant, chose tout à fait interdite, un montant excessif d’espèces imprégnées de cocaïne. » Il s’agissait en l’occurrence de 300 000 euros. On a beaucoup parlé de notions théoriques, mais je suis un parlementaire de terrain ; je vous livre donc quelques exemples pratiques : 800 000 euros dans une roue de secours, 300 000 euros imprégnés de cocaïne… L’histoire s’est terminée de la manière suivante, précisait M. Bock : « On applique une amende de 25 % et on renvoie le reste […] Là, on atteint vraiment les limites du système. » Je voudrais également évoquer les problèmes liés au remboursement de TVA au profit de personnes qui jonglent manifestement avec plusieurs passeports sans que quiconque puisse vérifier la réalité de leur domiciliation. Il serait extrêmement intéressant de donner des moyens plus importants aux douaniers de Roissy pour qu’ils puissent procéder à des vérifications complémentaires. On nous a cité plusieurs remboursements de 750 000 euros, et même de 200 000 euros avec des doutes réels et sérieux sur la domiciliation des bénéficiaires, les remboursements s’effectuant quasiment automatiquement et sans contrôle. Avant de conclure, je voudrais insister sur un point. La conférence de presse à laquelle nous avons assistée tout à l’heure à l’Assemblée nationale était intéressante. Il est en effet évident que ces sujets sont non seulement « transpartis », mais également « transassemblées » et que nous pouvons y travailler ensemble. En attendant le grand soir d’une autre grande loi fiscale, il faudrait tout de même essayer de mettre en place une cellule de suivi, même informelle, des diverses propositions de nos commissions d’enquête. Les propositions formulées font rarement l’objet d’un suivi. Or il faudrait pouvoir remettre l’évasion fiscale au cœur du débat parlementaire. Le sujet est extrêmement mouvant ; nous sommes dans la guerre de l’obus et du blindage : le fraudeur va toujours plus vite que la législation ! Une commission d’enquête dure six mois. Nous avons eu la saison 1, nous sommes en train de réaliser la saison 2 et nous organiserons peut-être les saisons 3 voire 4, mais il n’y a pas de lien entre elles et le suivi en matière d’introduction dans notre droit positif n’est pas assuré. Il convient donc, comme nous l’avons suggéré dans le cadre de la commission d’enquête présidée par Philippe Dominati et rapportée par Éric Bocquet, de mettre en place une structure permanente de relation entre Parlement et Gouvernement. Pour conclure, je voudrais attirer votre attention sur des questions loin d’être anecdotiques pour qui s’intéresse à la fraude fiscale. Je pense aux 4 500 euros joués nonchalamment en espèces par des joueurs de handball ou encore aux 100 000 euros offerts, toujours en espèces, par un jeu télévisé ! Alors que certains nous expliquent qu’il faut supprimer les billets de 500 euros et que la circulation d’espèces pose problème, avouez que l’attribution d’un lot de 100 000 euros en espèces dans un jeu télévisé aux heures de grande écoute devrait nous interpeller ! Il s’agit de sujets très graves. Le temps est trop court, trop de questions demeurent en suspens pour pourvoir être traitées au cours d’un débat faisant l’objet d’une seule lecture, en fin de session extraordinaire… Bref, vous n’aurez pas trop de quatre ans pour répondre à toutes ces interrogations, madame la garde des sceaux. Je crois en tout cas que vous aurez le soutien de l’ensemble du Parlement. Pour ce qui me concerne, je voterai évidemment ces deux textes. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – M. Éric Bocquet applaudit également.)