Les interventions en séance

Budget
Vincent Delahaye 17/07/2012

«Projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l՚année 2011»

M. Vincent Delahaye

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de règlement des comptes intervient à un moment tout à fait particulier du calendrier politique : c’est un nouveau Gouvernement, avec une nouvelle majorité, qui doit présenter les résultats de gestion de ses prédécesseurs. On a vu le trouble que cela a jeté en commission des finances puisque, à ma grande surprise, il en est résulté un vote favorable des sénateurs socialistes et une abstention de nombreux membres du groupe UMP. C’est le monde à l’envers! Permettez-moi de revenir sur les comptes de l’année 2011, avant de formuler quelques observations sur la certification par la Cour des comptes. Enfin, j’aimerais que vous nous précisiez, monsieur le ministre, la voie que vous comptez suivre pour redresser les comptes dans la justice, un objectif que nous partageons bien sûr tous ! Lorsque j’ai pris connaissance des résultats de gestion de l’année 2011 qui nous ont été présentés, ma première réflexion a été de me dire, de façon un peu triviale : « C’est mieux que si c’était pire ! » D’un côté, il y a ceux qui se réjouissent d’un déficit inférieur aux prévisions de la loi de finances initiale, avec 5,2 % du PIB. C’est un signal plutôt positif envoyé à nos créanciers. De l’autre, il y a ceux qui déplorent la situation actuelle et accusent le passé, mais sans montrer le chemin du redressement. Mes chers collègues, essayons d’y voir un peu plus clair. Le taux de couverture de la dépense publique par nos recettes est négatif, à hauteur de 28,2 %. Cela signifie tout bonnement que la puissance publique, en général, vit à crédit pendant 3,4 mois de l’année, c’est-à-dire du 20 septembre au 31 décembre. Imaginez un salarié, un ouvrier, un employé ou un cadre qui ne percevrait aucune rémunération durant les trois derniers mois de l’année ! Il ne tiendrait évidemment pas longtemps… Certes, les objectifs de réduction du déficit ont été meilleurs que ce qui a été annoncé, et c’est bien la première fois depuis 2008 ! Y ont contribué la disparition des dépenses exceptionnelles qui avaient creusé le déficit en 2010 et les recettes d’impôts sur le revenu et sur les sociétés qui ne progresseront peut-être pas tous les ans dans les mêmes proportions : elles ont augmenté respectivement de 5,6 % et de 18 %. Même si de véritables efforts ont été consentis en 2011 pour maîtriser les dépenses et réduire le déficit, il est encore beaucoup trop tôt pour parler d’une amélioration structurelle de notre situation financière. À ce propos, je voudrais insister sur les frais de personnel de l’État, la prévision de croissance et, bien sûr, l’endettement. Le précédent gouvernement avait établi un principe de gestion clair : la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. C’était l’un des piliers de feu la RGPP, la révision générale des politiques publiques. Certes, on peut discuter du bilan de cette politique, mais elle avait au moins le mérite d’exister, et je pense, pour ma part, qu’elle allait dans le bon sens. Pourtant, et sans doute à cause de la trop grande générosité du précèdent gouvernement dans la redistribution du surplus économisé, ce principe n’a pas permis de réduire les dépenses de personnel, y compris en 2011 : malgré la suppression de 30 000 postes environ, la masse salariale a encore augmenté. La Cour des comptes n’avait pas manqué de rappeler dans un rapport de décembre 2009 que le principe du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite n’avait pas entraîné les économies escomptées et qu’il ne serait plus opérationnel après 2016 du fait de l’évolution démographique de la fonction publique. Aujourd’hui, je suis inquiet d’entendre que le Gouvernement actuel abandonne ce principe et qu’il veuille vouloir stabiliser les effectifs et maintenir le pouvoir d’achat. Avec ces annonces, il est clair que les dépenses de personnel, notamment avec le fameux GVT, le glissement vieillesse technicité, augmenteront bien plus vite que la croissance et continueront d’alimenter le déficit. Concernant la croissance, nos prévisions sont presque toujours trop optimistes. Je rappellerai que nous avions prévu en 2011 une croissance de 2 %, qui s’est établie à 1,7 % et, en 2012, une croissance de 1,75 %, qui n’a été que de 0,3 %. En matière de budget, l’optimisme est à proscrire et la prudence doit prévaloir. Il nous faut remettre à plat la construction de notre hypothèse de croissance initiale de manière à éviter les corrections à outrance de la prévision. Vous en conviendrez, mes chers collègues, mieux vaut une cagnotte qu’un déficit trop élevé. Aussi, je renouvelle ici ma proposition d’établir la prévision de croissance sur le consensus des économistes, avec moins 0,5 point de PIB, à l’instar de ce qui se fait au Danemark. Après la nécessaire réduction des dépenses de personnel et l’adoption d’une ligne claire sur les prévisions de croissance, il convient d’adopter un troisième principe : réhabiliter la rigueur ! l n’y a rien de honteux ou de scandaleux à gérer rigoureusement ses comptes, et le mot « rigueur » n’est pas à mettre sur la liste noire du vocabulaire politique. D’ailleurs, Mme Lebranchu a eu raison de le prononcer. Nous pourrions ainsi établir une norme ambitieuse de réduction du déficit : pour chaque euro prélevé en plus, un euro de dépense en moins. La dette publique est un autre souci majeur de nos finances publiques. Elle représente 86 % du PIB, soit l’équivalent de plus de sept années de recettes fiscales à périmètre constant. En dépit de la meilleure tenue, très modeste, de notre déficit public, cette dette a continué de croître de près de 6 % en 2011. Nous ne sommes plus qu’à quatre points du seuil d’alerte, soit 90 % du PIB. Or de nombreux économistes, notamment MM. Reinhart et Rogoff, ont indiqué dans un article publié en 2009 qu’une dette supérieure à 90 % du PIB nuirait radicalement à la croissance économique. Le service de notre dette deviendrait alors vraiment trop lourd et évincerait le financement de nos politiques publiques au profit du seul coût de refinancement de notre dette. En clair, l’impôt finirait par se confondre avec la seule rémunération de nos investisseurs et prêteurs. Dès aujourd’hui, plus de 90 % des recettes fiscales de l’impôt sur le revenu sont littéralement avalés par le paiement du service de la dette. Cette situation est bien sûr inacceptable. Nous en avons tous conscience, nous devons refuser de laisser une montagne de dettes à nos enfants et petits-enfants. Moralement, c’est impossible à tenir. Que penseront les nouvelles générations, sachant que nous aurons vécu à crédit, au-dessus de nos moyens, en leur laissant en héritage le soin de rembourser nos dettes ? Face au drame national de la dette publique, il est plus que temps de réagir vivement. M. Arthuis a eu l’occasion de le rappeler à de nombreuses reprises, il n’y a plus de souveraineté possible dans une telle situation financière. Or n’est pas si loin le jour où la France se retrouvera contrainte de demander l’assistance de l’Europe au travers du Fonds européen de stabilité financière et bientôt du mécanisme européen de stabilité, le MES. Ce jour-là, ce ne sera plus devant nous, mes chers collègues, que le Gouvernement devra rendre des comptes, mais devant les fonctionnaires de la Commission européenne, de la Banque centrale et du FMI. J’en suis convaincu, aucun de nous, sur quelque travée que nous siégions, de gauche comme de droite, n’a envie de vivre de pareils moments qui seraient forcément extrêmement douloureux. L’enchaînement très négatif que nous observons depuis trente ans et qui apparaît très clairement dans ce projet de loi de règlement, avec l’augmentation des dépenses publiques et des déficits, l’explosion de la dette et la croissance permanente des prélèvements obligatoires, doit absolument être stoppé. Ce n’est pas la Cour des comptes qui dira le contraire : elle l’a suffisamment affirmé dans son dernier audit des comptes publics et elle nous offre un outil intéressant, mais encore perfectible : la certification des comptes. La France est l’un des seuls pays au monde à faire certifier ses comptes par une juridiction indépendante, ce dont on doit se féliciter, même si le chemin n’a été parcouru qu’à moitié. Depuis la première certification en 2006, belle initiative à saluer – rendons à César ce qui est à César ! –, le nombre de réserves substantielles émises par la Cour a presque diminué de moitié. Cela signifie que des efforts ont été réalisés. Félicitions-nous-en ! Toutefois, il semble, cette année, que les engagements de l’État plafonnent. Le nombre de réserves n’a pas diminué et, surtout, le montant du risque lié à ces réserves est très significatif par rapport au total du budget de l’État. Cela est dû aux incertitudes pesant sur les actifs et les passifs de l’État, qui posent des questions quant à la fiabilité des comptes qui nous sont présentés. Des réserves formulées voilà six ans n’ont toujours pas trouvé réponse ! Je pense notamment aux actifs et passifs du ministère de la défense. Dans le secteur marchand, il serait inimaginable de certifier les comptes d’une entreprise avec autant de réserves sur l’exhaustivité et la sincérité de ceux-ci. Aussi, je m’interroge sur la méthode employée par la Cour des comptes. Avec autant de réserves substantielles, pourquoi la Cour n’en viendrait-elle pas, un jour, à refuser de certifier nos comptes ? Ce risque existe, et ce serait alors un signal cataclysmique envoyé à nos partenaires européens comme à nos investisseurs. Cette séance publique doit donc être l’occasion pour le Gouvernement de réaffirmer sa volonté de poursuivre les efforts en vue de lever progressivement toutes les réserves, de suivre les recommandations de bon sens de la Cour émises en matière de gestion et d’afficher, enfin, quelques principes de saine gestion financière. Or, sur ce point, il y a beaucoup de choses à dire. Le précédent gouvernement avait au moins quelques principes de gestion, clairement énoncés et totalement revendiqués. Aujourd’hui, j’ai beau chercher, je ne vois pas ceux du nouveau Gouvernement. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) En la matière, comme sur d’autres sujets, j’ai l’impression d’une certaine navigation à vue.... C’est visiblement une pratique appréciée de notre nouveau président de la République... Mais j’espère vraiment que cela ne va pas durer cinq ans parce que cinq ans sans savoir où l’on va, ça risque d’être sacrement long ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) ! J’attends de votre réponse, monsieur le ministre quelques éclaircissements à ce sujet. En effet, l’affirmation de tels principes est une nécessité impérieuse aujourd’hui. Il nous faut une garantie plus fiable des comptes de l’État. Les zones d’ombre sont encore trop nombreuses. Certains risques ne sont même pas couverts, ou du moins pas assez. La provision pour litige reste opaque ; cela s’explique, bien évidemment, mais nos engagements hors bilan mériteraient d’être mieux évalués à la lumière des risques souverain et bancaire qui existent aujourd’hui. Nous ne savons pas à quelle hauteur le budget de l’État pourrait être engagé au titre de la couverture des garanties accordées. Il y a un moment où la confiance ne peut plus servir de monnaie symbolique ; le jour où le risque associé à nos garanties se réalisera, nous perdrons ce que Gilles Carrez, président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, a décrit comme notre plus précieux héritage : la confiance de nos investisseurs. Or les risques prolifèrent : nous sommes engagés pour plus de 12 milliards d’euros auprès de la Grèce, de l’Irlande, du Portugal et bientôt de l’Espagne, et poure presque 17 milliards auprès de Dexia. Pour conclure sur cette partie concernant la certification de nos comptes, je vous propose que nous nous donnions collectivement jusqu’en 2016 – soit, de manière symbolique, dix ans après la première certification – pour mettre au point un outil de certification fiable. Cet objectif, qui pourrait sembler lointain à certains, ne me paraît pas insensé : la France a eu raison de créer un outil de certification de ses comptes, comme l’on fait d’autres pays, les États-Unis par exemple. Cependant, il faut du temps pour qu’un tel outil soit pleinement opérationnel. Refuser de faire semblant, c’est dévoiler cette vérité : l’outil n’est pas encore au point. L’objectif que je propose inciterait l’administration à se montrer encore plus volontariste dans le suivi des recommandations de la Cour des comptes. Face aux incertitudes financières et à une telle faiblesse de nos instruments comptables, nous nous retrouvons aujourd’hui pris dans la spirale infernale d’un déficit irréformable qui accroît indéfiniment une dette rendant nécessaire inlassablement de nouveaux impôts, au détriment de la bonne santé de notre économie. Nous traitons les symptômes et non la racine du mal, à savoir la décorrélation structurelle entre notre taux de dépenses publiques, supérieur à 54 % du PIB, et notre taux de prélèvements obligatoires, supérieur à 46 % du PIB. Il n’est pas envisageable, compte tenu de la nature de notre système fiscal et de la fragilité de notre économie, d’aligner ces deux taux. Personne n’oserait affirmer qu’un taux de prélèvements obligatoires de 46 % n’est pas déjà très élevé ; c’est donc qu’il faut réduire la dépense publique ! Je suis d’ailleurs certain que, au fond de vous-même, monsieur le ministre, vous avez envie de suivre la voie que trace le président de la Cour des comptes, que vous voulez suivre ses conseils afin d’être un grand ministre budget, celui qui aura su retrouver le chemin de l’équilibre. Alors ne vous laissez pas prendre par vos prétendus amis, qui veulent nous faire croire qu’augmentation des dépenses publiques est toujours synonyme de progrès social, que les déficits et les dettes ne sont pas graves et que l’on pourra toujours faire payer demain ces investisseurs imprudents qui nous font confiance aujourd’hui... Ils vous engagent à prendre l’autoroute de l’Histoire à fond, mais à contresens ! Contrairement à eux, nous ne croyons pas que le progrès social découle de l’augmentation de la dépense publique. Nous pensons que le progrès social ne peut venir que du progrès économique, du dynamisme de nos entrepreneurs et investisseurs, de leur capacité à être créatifs et porteurs d’activités nouvelles. Il ne faut donc pas alourdir en permanence leur sac à dos ! L’augmentation ininterrompue des taxes et impôts qui pèsent sur eux constitue un véritable boulet qu’ils doivent traîner. Au début, à la sueur de leur front et grâce à leur énergie vitale, ils continueront à avancer. Mais plus lourde sera leur charge et moins vite ils avanceront... Et si l’augmentation des prélèvements confine au matraquage fiscal, ils peineront de plus en plus et finiront par s’arrêter et mourir. Pour éviter cette issue tragique, monsieur le ministre, vous devez absolument – même si la pression de vos « amis » est forte – refuser la voie de la facilité. Or les quelques annonces que l’on entend ici ou là vont malheureusement dans ce sens… On commence, ainsi que l’illustre notamment le cas des lignes TGV, à tailler allègrement dans les dépenses d’investissement, qui sont pourtant celles qui préparent l’avenir et font vivre beaucoup d’entreprises et de salariés français. On envisage de réduire sérieusement les budgets du ministère de la défense, au risque d’affaiblir fortement nos capacités d’intervention. On annonce une augmentation massive des impôts et taxes qui, contrairement à ce qui est dit, ne touchera pas exclusivement les gros patrimoines ; je pense en particulier à l’augmentation du forfait social pour l’intéressement et la participation, qui concerne 5 millions de salariés, et à la suppression des avantages sur les heures supplémentaires. Il faut également mentionner la communication faite autour des soi-disant économies à réaliser, alors que ce sont des impôts nouveaux qui vont être mis en place ! Je crains d’ailleurs – mais j’espère que vous dissiperez mes craintes – que les réductions de dépenses annoncées ne concernent que principalement, voire exclusivement, les dépenses dites fiscales dans notre jargon technique, derrière lesquelles se cachent en réalité les fameuses niches fiscales. La suppression ou la réduction de ces niches se traduit en fait par des augmentations d’impôts, qui sont clairement ressenties comme telles par les citoyens-contribuables : il conviendrait donc de ne pas taire leur nom. Je suis désolé ; je vais m’efforcer de conclure au plus vite. Vous l’avez compris, mes chers collègues, la voie de la facilité n’est pas celle que nous devons emprunter. Monsieur le ministre, je vous propose de suivre le chemin de la vertu. C’est vrai qu’il est difficile et que, à court terme, il est sans doute moins payant politiquement et électoralement, mais ne sombrez pas dans le court-termisme que vous dénoncez chez les investisseurs ; levez plutôt la tête du guidon pour voir loin. Poursuivez la politique de réduction des effectifs de la fonction publique, réduisez de façon sélective les dépenses publiques, favorisez l’investissement d’avenir et mobilisez l’épargne des Français au profit de notre économie ! Si vous choisissez cette voie de la vertu, monsieur le ministre, nous vous suivrons dans une démarche d’opposition constructive. En revanche, si vous optez pour la voie de la facilité, nous serons toujours contre vous. N’oubliez pas le proverbe bien connu : la vertu trouve toujours sa récompense ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)